Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Dans un sombre tableau du vieux Albert Dürer, — 1848 (1)

Charles FournelPoésies

Dans un sombre tableau du vieux Albert Dürer,
Un cavalier pensif par la forêt chevauche,
Il porte lance à droite et longue épée à gauche,
Il ne sait point jusqu’où sa route va durer:

Les goules, qui des morts courent se saturer,
Lui montrent griffe et dents; le vieux spectre qui fauche
Lui sourit tendrement, et l’ombre en foule ébauche
Des visions, que l’oeil ose à peine endurer.

Quand là-bas, sous le ciel et sur la verte côte,
Ton bourg luit au soleil, en chemin côte-à-côte
Avec l’affreuse Mort, où vas-tu compagnon?

Quand, nous tendant les bras, le bonheur nous invite
A passer avec lui nos ans, qui vont si vite,
Où nous entraînes-tu, perfide ambition?

Q15 – T15

Poète à la voix pure, aux pensers ravissants — 1847 (7)

Hippolyte Tampucci Poésies nouvelles

Millevoye

Poète à la voix pure, aux pensers ravissants
Millevoye apparut dans cette sombre vie
Comme un ange d’amour et de mélancolie,
Pour séduire l’oreille et le cœur et les sens.

Le front tout parfumé de baisers caressants,
Il exhalait son âme en douce mélodie.
L’ardente volupté, pour lui n’eut point de lie,
Mais des flots de nectar, sans cesse renaissants.

Il lègue à l’avenir une page immortelle.
Enfin, las de bonheur, comme une fleur nouvelle,
Il tombe en son midi, brisé, sans se flétrir.

O soir délicieux d’une belle journée !
O sort digne d’envie ! ô sainte destinée !
Jeune, aimer, être aimé, le chanter, puis mourir !

Q15  T15

O doux baiser, qu’au milieu des alarmes, — 1847 (6)

Gabriel Monavon Jeunes fleurs

Un baiser

O doux baiser, qu’au milieu des alarmes,
J’osai ravir au sein de la beauté,
Riant larçin, trésor de volupté,
Dont les périls ont redoublé les charmes.

A tes élans, pour opposer des armes,
La crainte en vain s’unit à la fierté,
Tu sus t’ouvrir un passage enchanté,
Et la pudeur t’a pardonné ses larmes.

O doux baiser ! tendre espoir d’un amant,
Sois le prélude et le gage charmant
Des biens promis à ma flamme discrète.

Sur ce beau sein que tu pris en vainqueur,
Laisse à jamais ton empreinte secrète,
Et sois le sceau des mystères du cœur.

Q15  T14  déca – banv

Quel caprice vivant qu’Alice! — 1847 (3)

Charles Hugo in Album d’Alice Ozy

Quel caprice vivant qu’Alice!
Par caprice elle eut pour amant
Un prince. On ne sait pas comment
Elle le quitta. – Par caprice!

L’éclat n’a rien qui l’éblouisse.
Elle préfère à tout moment
L’humble fleur au fin diamant,
Du beau rayon le pur calice.

Aujourd’hui sans savoir pourquoi,
Par caprice elle m’aime, moi! –
Par caprice, elle m’est fidèle.

Je ne connais dans ses amours
Qu’un caprice qu’elle a toujours:
C’est le caprice d’être belle.

Q15 – T15 – octo  Un des poèmes écrits par un des fils de Victor Hugo, rival (malheureux) de son père pour les faveurs de la belle Alice Ozy .

Amazone aux reins forts, solide centauresse, — 1847 (2)

Théodore de Banville Le sang de la coupe

Amazone nue

Amazone aux reins forts, solide centauresse,
Tu tiens par les cheveux, sans mors et sans lien,
Ton cheval de Titan, monstre thessalien;
Ta cuisse avec fureur le dompte et le caresse.

On voit voler au vent sa crinière et sa tresse.
Le superbe coursier t’obéit comme un chien,
Et rien n’arrêterait dans son calme païen
Ton corps, bâti de rocs comme une forteresse.

Franchissant d’un seul bond les antres effrayés,
Vous frappez du sabot, dans les bois non frayés,
Les pâtres chevelus et les troupeaux qui bêlent.

Toi, Nymphe, sans tunique, et ton cheval sans mors,
Vos flancs restent collés et vos croupes se mêlent,
Solide centauresse, amazone aux reins forts!

Q15 – T14 – banv

Ni dans les cieux étoiles voyageuses, — 1847 (1)

Emma Méhul Cent cinquante sonnets … traduits… de Pétrarque

Ni dans les cieux étoiles voyageuses,
Ni dans les champs beaux et fiers étrangers,
Ni dans les bois faons joyeux et légers,
Ni sur les mers voiles blanches nombreuses;

Ni d’un bien cher des nouvelles heureuses,
Ni de l’amour les discours mensongers
Ni dans les près ou sous les orangers
Douces chansons de femmes vertueuses;

Ni rien jamais ne touchera mon coeur,
Tant a su bien sous sa pierre avec elle
L’ensevelir, ma clarté, mon miroir.

Pour moi la vie est un poids de douleur:
Je veux mourir afin de revoir celle
Qu’il eût valu beaucoup mieux ne pas voir.

Q15 – T36 – déca – rvf  Traduction du sonnet 312 ( ‘Né per sereno ciel ir vaghe stelle« ) de Pétrarque qui respecte (chose rarissime) la disposition des rimes de l’original (ce qui implique aux vers 11-12 une violation de la règle d’alternance)

Au beau cauchois, la plus humble chaumière, — 1846 (11)

Victor Fleury, secrétaire de la mairie d’Ingouville Lointains

Sonnet

Au beau cauchois, la plus humble chaumière,
Sur son toit vert de mousse a des Iris d’azur,
Et sa vigne, accrochée à des clous sur les murs,
Pour jeter l’ombre au seuil inondé de lumière ;

Quelques poules, un coq, dont la voix la première
Salue à l’orient le jour encore obscur ;
Une mare dormante, ou bien un ruisseau pur,
Ou vient souvent puiser une fraîche fermière.

Et, devant la masure, un jardin, où les fleurs
– Doux emblêmes laissés comme choses fertiles, –
Ne poussent qu’au hasard parmi les biens utiles.

Une haie, en été, la défend des chaleurs,
Et les sureaux touffus, et la blanche aubépine
Y neigent, vers le soir, au vent de la colline.

Q15  T30

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance, — 1846 (10)

Philippe d’Arbaud-Jouques Idylles antiques et sonnets

XII

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance,
Quand d’une aïeule, heureux, je revoyais le seuil,
Et le Rhône flattait des bruits de son écueil,
Par sa mère conduit, l’enfant de la Durance.

Aujourd’hui, dans tes murs, étranger je m’avance,
Car ses remparts ont vu mon aïeule au cercueil,
Hélas ! depuis ce jour ton différent accueil
Glace en moi du passé la douce souvenance.

Bel âge, où, de la vie hôtes encor nouveaux,
Entre-voyant ses biens, nous ignorons ses maux !
Partout d’un jour serein je croyais voir l’aurore.

N’avez-vous plus, beaux lieux auxquels j’ai tant songé ,
Ce charme ? …. quel séjour me l’offrirait encore ?
L’illusion n’est plus, et le monde est changé.

Q15  T14 – banv

O lecteur ! tu n’es pas sans avoir fait ce rêve : — 1846 (8)

Alphonse Esquiros Les vierges martyres

Le puits

O lecteur ! tu n’es pas sans avoir fait ce rêve :
Le long d’un escalier je suivais mon chemin ;
Sans balustre de fer pour appuyer ma main,
Je descendais à l’heure où la lune se lève.

Le voyage était long, sans soleil et sans trève ;
C’était toujours hier, c’était toujours demain :
Près de moi j’entendais marcher le genre humain
Comme un troupeau sans maître et perdu sur la grève.

Je disais à mon ame : Allons-nous en enfer ?
Ma lampe s’éteignait comme n’ayant plus d’air ;
Tout était à l’entour d’un gris couleur de cendre.

La science est ce puits éternel et profond ;
Et, depuis six mille ans que l’on sue à descendre,
Nul encor ne peut dire en avoir vu le fond.

Q15  T14 – banv

L’allée en longs détours sous la feuille qui tremble — 1846 (7)

Paul Mantz in L’Artiste


Poésie

L’allée en longs détours sous la feuille qui tremble
S’égare. – je descends ses méandres ombreux,
Et, pendant que j’ébauche un sonnet amoureux,
Une mère et son fils, devant moi, vont ensemble.

La mère est jeune et belle, et son fils lui ressemble;
Ils sont blonds l’un et l’autre et l’un par l’autre heureux ;
Je crois les voir s’aimer et se sourire entre eux
Comme deux frais pastels qu‘un seul cadre rassemble.

Retenus tout le jour dans l’austère maison,
Oiseaux à l’aile vive, ils quittent leur prison
Quand les loisirs du soir à leurs ennuis font trève ;

Ils prennent un sentier dans le bois, et souvent
Jusques à la nuit close ils s’en vont poursuivant
L’enfant ses papillons et la mère son rêve.

Q15  T15