Archives de catégorie : Q16 – abba baab

Il faut bien satisfaire au sens national, — 1990 (4)

Jacques RédaSonnets dublinois

Au pub

Il faut bien satisfaire au sens national,
Boire un jus noir qui semble extrait d’une tourbière,
Mais une fois suffit, le goût de cette bière
M’ayant paru, j’avoue, un peu médicinal.

Et comment découvrir, dans cette fourmillière,
L’accès du bar où dans un tapage infernal,
Des rangs d’habitués forment un tribunal
Ironique? La rue est plus hospitalière.

Mais courage, avançons pour boire à la santé
De la vociférante et forte humanité
Qui plonge dans la mousse amère et les volutes

D’un tabac dont le nard macère dans du miel,
Cependant qu’au dehors des souffles insolites
Font tituber du bleu sur les marches du ciel.

Q16 – T14

Demain, devant le premier pain, le premier lait, — 1966 (5)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Demain, devant le premier pain ….

Demain, devant le premier pain, le premier lait,
la première lumière et le premier moi-même,
devant ce qui n’est plus, devant ce que je sème,
comme la cause reste en face de l’effet,

Tu sortiras debout dans mes bras, mon problème,
la cause de ma mort, et je te referai,
Toi, soleil de mes yeux, miroir de mon reflet,
toi qui pèses du poids de tout ce qu’en moi j’aime,

Tu sortiras, tu resteras, comme le noir
reste au bord de ce blanc par quoi le rouge arrive.
Tu resteras le mieux, le pire, et ce qui prive
l’amour d’être l’amour, le matin d’être soir.

Tu resteras, tu reviendras, tu fermeras
le matin sur le soir et la mort sur les rats.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2

Or dans quelle ombre, à peine ouverte, — 1951 (2)

Henri de Lescoët Dix sonnets occultes

Nuit du 2 août 1947

Or dans quelle ombre, à peine ouverte,
Pointe un oiseau, s’engage un vers?
Le ciel mélange un cri pervers
Aux fils défaits des mains inertes.

Une vague qui pousse, perd
Ici la raison d’être verte.
Plus bas du vent qui déconcerte,
Au bord de l’oeil, plus près des chairs,

Comme le sang pensé, le rêve
Le temps altère aux divers coeurs
Les gestes vrais, la seule ardeur.

Quel vieux soupçon cependant crève
A travers le mot nu de froid
D’un jour, cent fois maudit, pourquoi?

Q16 – T30 – octo

Sur les drymides verts et sur les blancs clistax — 1947 (2)

Claude VidalLe cheval double


Bonheur  près de l’Apurimac

Sur les drymides verts et sur les blancs clistax
volète un cnétocampe, étrange rubicelle
vivante, et qu’un cinabre artistement ocelle.
Mais dans un psathyra guette un calothorax.

Le beau trochillidé lance un cri de crécelle,
Lissant son rostre fin sur l’or de son thorax.
L’insecte, butinant aux grappes d’un styrax,
brusquement est saisi dans l’experte précelle.

Gourmand, le colibri déguste l’abdomen
d’abord. Le corselet, gras comme un cérumen,
se déchiquète alors mieux qu’avec des quenottes.

Puis, les six pattes. Puis, les deux ailes. Et quand
Il a tout avalé le bombyx urticant,
du grand air de « Louise’ il siffle quelques notes.

Q16 – T15

Je ne veux pas que tu sois triste — 1945 (6)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

Romance

Je ne veux pas que tu sois triste
Puisque tu sais que je le suis,
Ma lointaine, moi qui ne puis
Ignorer que l’amour existe

Depuis que mes jours et mes nuits
De tes yeux mirent l’améthyste
Et m’agitent cette batiste
Qui voilait ce que je poursuis …

Amèrement ma bouche avide
Baise une place que je vois :
Mes mains se perdent dans le vide

Où se perd l’ombre de ma voix …
Ö fantôme du château mien,
Ne sois pas triste : c’est mon bien.

T16  Q23 – octo

Gaspiller sa pensée en un dévergondage — 1943 (4)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Gaspiller sa pensée en un dévergondage
Est impudique: avant l’acte, la volupté
Est parjure et cruelle, âpre et sans loyauté,
Funeste, extrême, rude et menteuse et sauvage.

Plaisir des sens, maudit, dès qu’expérimenté;
Déraison poursuivie, et qui, sitôt l’usage,
Est déraison haïe: ainsi, sur son passage,
Serait l’appât rendant un chasseur hébété.

Hébété dans la chasse et dans la réussite;
Passé, Présent, Futur surexcitant l’ardeur;
Un bonheur devant soi, mais derrière, un malheur;

Avant, une âpre joie; un mauvais rêve, ensuite ….
Le Monde sait cela – mais nul n’est bien expert
A l’éviter, l’Eden qui mène à cet Enfer.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée, — 1943 (2)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

… « ma traduction laisse subsister (la) disposition anglaise, mais elle maintient les groupes de rimes, qui dans l’autre système, donnent leur caractère aux deux premiers quatrains »

I

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée,
Que Rose de Beauté ne disparaîtra pas,
Et, si la plus ouverte est vouée au trépas,
Qu’un tendre rejeton soit sa suite assignée.

Toi qui, dans tes yeux vifs concentrant tant d’appâts,
Nourris de ta substance une lumière ignée,
Tu réduis à la gêne une abondance innée –
Ennemi de toi-même et de ton propre cas!

Si bien que désormais, frais ornement du Monde,
Toi l’unique Héraut d’un Printemps généreux,
Tu renfermes ton être en un bourgeon frileux,
Et répands, tendre ami, ta lésine à la ronde.

Pitié pour l’Univers! ou bien, gloutonnement,
Absorbe l’Univers et toi, rien qu’en mourant.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

J’ai compris ce billet, je connais l’écriture. — 1927 (5)

P. D’Aniell Solange

Chérubin

J’ai compris ce billet, je connais l’écriture.
L’homme, presque un enfant, est aussi blond que toi.
Il est beau, mais naïf, puisqu’il offre sa foi.
Ne désespère pas sa timide nature.

Tu te refuserais à Chérubin ? … Pourquoi ?
Tu crains ma jalousie. En sens-tu la morsure ?
Puis-je abolir l’amour, cette tendre imposture
Qui rive deux amants et dévore la loi ?

Non ! je veux par vos chairs, aux ivresses conquises
Animer d’impudeur des étreintes exquises,
Te rendre sous son corps les nuits où tu vibras,

Confondre nos baisers sur ta lèvre encor pleine
Du spasme adolescent  de sa mourante haleine…
Te prendre, ivre de lui, pâmée, entre mes bras.

Q16  T15

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales, — 1926 (1)

Emile CottinetBallades contre et sonnets pour

Les ruines (Assyrie, Perse, Egypte)

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales,
Vos palais où trônaient Sarçon, Sardanapale, Assur,
Où les soldats tombaient comme des épis de blé mûr,
Ninive, Baghdad, ô cités vaines et vassales!

Des archers défilaient, vêtus d’émail bleu, sur les purs
De Suze et de Persépolis, les jumelles royales,
Et l’Egypte dressait, dans le sable aux profondeurs pâles,
Son sphinx immarescible aux yeux noyés d’ombre et d’azur.

Passé, désert de cendre où des mirages formidables
Appellent notre rêve, ô Passé, pour tes yeux de fables,
Chemin mystérieux jalonné de tombeaux sans fin,

Tes colosses de pierre ou de métal, forces obscures,
Gisent anéantis parmi tes attributs divins.
Kronos a passé là – Dieu sourd qui détruit et qui dure.

Q16 – T14 – 14s