Archives de catégorie : Q16 – abba baab

Si quelqu’un venait dire avec un front sévère: — 1850 (1)

Alphonse Le FlaguaisOeuvres poétiques complètes

Chateaubriand

Si quelqu’un venait dire avec un front sévère:
– Tout homme dans le siècle ou s’égare ou faiblit.
Toute vertu s’éteint, tout nom brillant pâlit;
Il n’est pas un mortel digne qu’on le révère!

D’audacieux acteurs la scène se remplit:
Un peu de renommée est leur triste chimère.
Chacun veut respirer un encens éphémère,
Et pour un faux honneur tout homme s’avilit!

– Je répondrais:  » Voyez ce sage qui s’isole:
Lui dont le monde entier adorait la parole,
Dans son manteau sans tache il s’est enveloppé.

Oh! Qu’il est noble, grand, loin du chaos immense,
Oeuvre d’ambitieux, qui ne l’ont pas trompé,
Et qu’il est éloquent jusque dans son silence ».

Q16 – T14

Comme je revenais hier de la fontaine, — 1849 (5)

Antonio Spinelli Sur les grèves

La sœur cadette

Comme je revenais hier de la fontaine,
A l’heure où les oiseaux finissent leur chanson,
Dans les bois, où fleurit en la belle saison
La fleur que j’aime tant, la douce marjolaine ;

J’aperçus Marguerite avec un beau garçon.
Je m’arrêtai soudain, retenant mon haleine ;
Puis sur l’herbe posant ma cruche toute pleine
Je me cachai tremblant à l’ombre d’un buisson.

Longtemps, oh bien longtemps, au milieu du silence,
J’écoutai ces deux voix qui parlaient d’espérance,
Et je compris enfin le mot de leur bonheur.

Le jeune homme disait en son ivresse extrême,
Oh Marguerite …. – eh bien ! que disait-il, ma sœur ?
La fleur avait raison, il lui disait : Je t’aime.

Q16  T14

C’est dans l’isolement, sur l’arbuste effeuillé, — 1845 (12)

Auguste Desplaces La couronne d’Ophélie

La dernière couronne de l’été
sonnet imité de Thomas Moore

C’est dans l’isolement, sur l’arbuste effeuillé,
Que brille le carmin de la rose dernière,
Ses compagnes ayant vu tomber en poussière
Leur calice battu de l’orage, et souillé.

Sans y languir encore, ô triste solitaire !
Comme elles disparais du rameau dépouillé,
Tes sœurs ont, loin de toi, par les champs sommeillé,
Va rejoindre en débris leurs débris sur la terre.

Puissè-je, de mon ciel quand fuiront sans retour
Les espoirs les plus chers, les visions d’amour
Suivre ainsi dans la mort ces étoiles éteintes !

Quand tout a fui, quand sont couvertes du linceul
Les ferventes amours et les amitiés saintes,
En ce monde désert qui voudrait vivre seul ?

Q16  T14  tr

Dans mon coeur, sombre abîme, où, sous le pont du doute, — 1844 (1)

Pétrus Borel in L’Artiste

30 septembre

Dans mon coeur, sombre abîme, où, sous le pont du doute,
A flots silencieux coule l’impiété,
Où toute passion a son anxiété,
Où le rire poursuit ce que l’homme redoute,

Comme sur un rocher aride et culbuté,
Où jamais le chevreuil ne se suspend et broute,
Parmi les noirs débris de son épaisse croûte,
Au fond d’une profonde anfractuosité,

Depuis bientôt six ans une herbe humble et craintive,
Mais vivace, a grandi. Son front est soucieux,
Sa tige est pâle et frêle. Elle souffre captive!

Pourtant comme le chêne elle irait jusqu’aux cieux;
Pourtant, si vous vouliez, de cette chétive herbe,
Madame, vous feriez l’arbre le plus superbe!

Q16 – T23

Pour bâtir aujourd’hui, l’art de l’architecture — 1843 (19)

– Moyse Alcan à Pierre Perrat

Sonnet

Pour bâtir aujourd’hui, l’art de l’architecture
N’a plus que le compas, la pierre et le ciment.
Des œuvres d’autrefois éternel élément,
La croyance a fait place à la science impure.

Vos noms, divins auteurs d’un pieux monument,
Sont jetés par l’oubli dans une nuit obscure ;
Sous les sombres piliers l’oiseau seul les murmure,
Et le vent les redit comme un gémissement.

Mais que t’importe à toi notre mortelle gloire !
Perrat*, qu’as-tu besoin des pages de l’histoire,
Toi qui sus abriter le juste & le pécheur.

De prière et d’encens cette nef embaumée
Ne nous dit-elle pas mieux que la renommée :
Heureux qui construisit la maison du Seigneur !

* Architecte de la Cathédrale de Metz

Q16  T15

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux — 1841 (7)

Antoine Tenant de La Tour Poésies complêtes

Le chemin de fer

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux
De ses nouveaux chemins aura tissu la trame,
Et pour mettre à ses pieds les deux ailes de l’âme,
Aura doué ses chars de magiques essieux,

En bas de ces côteaux où vous rêvez, madame,
Peut-être passera le sillon lumineux,
Et ce Paris aimé fera luire à vos yeux,
Dans sa blanche fumée, un éclair de sa flamme.

Alors si le matin m’offre une douce fleur,
Ou qu’un sonnet, le soir, s’envole de mon coeur,
Au souffle de la brise ou de la fantaisie;

J’irai vous le porter, pour qu’avant de mourir,
Les deux fleurs du printemps et de la poésie,
Entre vos belles mains achèvent de s’ouvrir.

Q16 – T14

La poésie du chemin de fer n’a pas tardé à naître, avec les premières locomotives. On se souvient de Vigny:  » Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle, / L’homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor / Quels orages en lui porte ce rude aveugle, / Et le gai voyageur lui livre son trésor; /  »

(critique de la Revue de Paris) : « C’est au sonnet que M.de Latour a le plus souvent confié l’expression de sa pensée, et maintes fois avec bonheur. Le sonnet, qui, depuis quelques années, fait de bien grands efforts pour devenir populaire et reconquérir cette importance qu’on lui attribuait à l époque fortunée des fameuses querelles engagées entre les jobistes et les uranistes, le sonnet, il en faut convenir, est le mode de versification le plus apte à recevoir une impression fugitive qui gagne à se trouver condensée en une forme bizarre peut-être, mais dont les quatre pans, taillés à facettes, la font admirablement reluire, quand on l’y sait embrasser avec adresse. La réhabilitation de ce petit poème date de 1828. L’écrivain, qui s’adonnait alors à l’intéressante étude des poètes trop oubliés du xvième siècle, séduit par toutes les grâces coquettes des sonnets de Ronsard, de Desportes, de Dubellay et des autres membres de la Pléiade, ne put résister dès-lors à la fantaisie de cristalliser en sonnets quelques minces courans d’idée poétique, ce qui a fait dire de lui avec raison : « Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme. Pour n’avoir pas encore trouvé d’accueil bien décidément favorable auprès du public, cette tentative n’en a pas moins été très activement suivie par bien des poètes. Il est à remarquer toutefois, que ni M. de Lamartine, ni M.Hugo n’ont adopté le sonnet . Cette réserve s’explique, quant à M. de Lamartine, par la nature même de ses inspirations ; leurs grandes ailes se trouveraient à l’étroit et froissées dans cette enceinte anguleuse et fragile ; il leur faut une plus vaste atmosphère pour se déployer dans toute leur majesté d’allure ; mais M.Hugo, qui a tant élaboré de rhythmes divers, n’avait pas les mêmes motifs de s’abstenir, et l’on doit regretter qu’il l’ait fait. Toutefois, pour deux qui ne l’ont pas admis, bien d’autres sont venus disputer à son régénérateur contemporains la palme du sonnet. L’auteur des Iambes s’est efforcé de reproduire dans ce médaillon ciselé quelques physionomies de peintres italiens. M. Théophile Gautier , dans sa Comédie de la Mort, deux ou trois petites merveilles en ce genre. M. Antoine de Latour ne s’y est pas non plus exercé vainement. Beaucoup de ses sonnets ont une aisance, une souplesse de démarche, et sont découpés avec une si élégante symétrie, qu’il peut s’applaudir d’avoir choisi cette forme d’où la pensée, quand on l’y pousse savamment en relief, jaillit comme l’eau d’un tube étroit. »

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure, — 1838 (12)

A.M. de Mornans (Alexis Muston) Les Néolyres

L’automne

On dit que de Léda l’oiseau mélodieux
Dans les chants les plus doux à mourir se résigne.
De la nature, hélas, est-ce le chant du cygne ;
Les beaux jours en sont-ils à leurs derniers adieux ?

` Jamais plus vivement les feuilles de la vigne
N’ont encor déployé leur pourpre sur les cieux ;
Le phare, en expirant, semble plus radieux :
Est-ce la mort qu’aussi cet éclat nous désigne ?

Les prés dans tout leur lustre apparaissent encor ;
Le peuplier royal verse des larmes d’or ;
Le bois, à l’horizon, prend un manteau de flamme.

Les monts sont couronnés de panaches vermeils …
Ah ! que ces jours d’automne, à nos âmes pareils
Ont de mélancolie et d’attraits pour mon âme.

Q16  T15

Je ne sais qui me porte à peindre tout cela, — 1838 (8)

Hipployte de  La Morvonnais La Thébaïde des grèves

La cabane  éboulée, II

Je ne sais qui me porte à peindre tout cela,
Mais malgré moi, mon vers coule à sa destinée;
C’est là ma mission. – Seras-tu fortunée,
Ma mission d’amour? Suis-je ici, suis-je là?

Toujours quelque détail que recèle une année
Voisine du berceau, m’arrive, et me voilà
Laissant courir ma plume; or qui donc m’appella
A cette oeuvre où s’en va mon âme abandonnée.

Qu’en sais-je, mes amis? Qui fait chanter l’oiseau,
Ou sourire l’enfant dormant dans le berceau?
Qui donne les parfums au laurier des ruines?

Un esprit est en moi qui chante tout d’abord,
Quand on fait la prière, ou bien lorsque la mort
Visite le village et les fermes voisines.

Q15 – T15 – bi