Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux — 1841 (7)

Antoine Tenant de La Tour Poésies complêtes

Le chemin de fer

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux
De ses nouveaux chemins aura tissu la trame,
Et pour mettre à ses pieds les deux ailes de l’âme,
Aura doué ses chars de magiques essieux,

En bas de ces côteaux où vous rêvez, madame,
Peut-être passera le sillon lumineux,
Et ce Paris aimé fera luire à vos yeux,
Dans sa blanche fumée, un éclair de sa flamme.

Alors si le matin m’offre une douce fleur,
Ou qu’un sonnet, le soir, s’envole de mon coeur,
Au souffle de la brise ou de la fantaisie;

J’irai vous le porter, pour qu’avant de mourir,
Les deux fleurs du printemps et de la poésie,
Entre vos belles mains achèvent de s’ouvrir.

Q16 – T14

La poésie du chemin de fer n’a pas tardé à naître, avec les premières locomotives. On se souvient de Vigny:  » Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle, / L’homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor / Quels orages en lui porte ce rude aveugle, / Et le gai voyageur lui livre son trésor; /  »

(critique de la Revue de Paris) : « C’est au sonnet que M.de Latour a le plus souvent confié l’expression de sa pensée, et maintes fois avec bonheur. Le sonnet, qui, depuis quelques années, fait de bien grands efforts pour devenir populaire et reconquérir cette importance qu’on lui attribuait à l époque fortunée des fameuses querelles engagées entre les jobistes et les uranistes, le sonnet, il en faut convenir, est le mode de versification le plus apte à recevoir une impression fugitive qui gagne à se trouver condensée en une forme bizarre peut-être, mais dont les quatre pans, taillés à facettes, la font admirablement reluire, quand on l’y sait embrasser avec adresse. La réhabilitation de ce petit poème date de 1828. L’écrivain, qui s’adonnait alors à l’intéressante étude des poètes trop oubliés du xvième siècle, séduit par toutes les grâces coquettes des sonnets de Ronsard, de Desportes, de Dubellay et des autres membres de la Pléiade, ne put résister dès-lors à la fantaisie de cristalliser en sonnets quelques minces courans d’idée poétique, ce qui a fait dire de lui avec raison : « Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme. Pour n’avoir pas encore trouvé d’accueil bien décidément favorable auprès du public, cette tentative n’en a pas moins été très activement suivie par bien des poètes. Il est à remarquer toutefois, que ni M. de Lamartine, ni M.Hugo n’ont adopté le sonnet . Cette réserve s’explique, quant à M. de Lamartine, par la nature même de ses inspirations ; leurs grandes ailes se trouveraient à l’étroit et froissées dans cette enceinte anguleuse et fragile ; il leur faut une plus vaste atmosphère pour se déployer dans toute leur majesté d’allure ; mais M.Hugo, qui a tant élaboré de rhythmes divers, n’avait pas les mêmes motifs de s’abstenir, et l’on doit regretter qu’il l’ait fait. Toutefois, pour deux qui ne l’ont pas admis, bien d’autres sont venus disputer à son régénérateur contemporains la palme du sonnet. L’auteur des Iambes s’est efforcé de reproduire dans ce médaillon ciselé quelques physionomies de peintres italiens. M. Théophile Gautier , dans sa Comédie de la Mort, deux ou trois petites merveilles en ce genre. M. Antoine de Latour ne s’y est pas non plus exercé vainement. Beaucoup de ses sonnets ont une aisance, une souplesse de démarche, et sont découpés avec une si élégante symétrie, qu’il peut s’applaudir d’avoir choisi cette forme d’où la pensée, quand on l’y pousse savamment en relief, jaillit comme l’eau d’un tube étroit. »

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