Archives de catégorie : Q16 – abba baab

L’homme qui sait dormir en wagon, je l’honore. — 1869 (14)

Louis Veuillot Les couleuvres

Préface

L’homme qui sait dormir en wagon, je l’honore.
Il est doué ! Dormir, échapper aux benêts,
Le profit est plus franc, et je le reconnais,
Que d’un œil engourdi voir frissonner l’aurore .

– Ce n’est pas cet air là qu’autrefois je sonnais ;
Mais du point où je suis, l’horizon se dédore ! –
Bref, que faire éveillé ? Qui bâille, qui pérore,
Qui rêve vingt pour cent; moi, je fais des sonnets.

Repassant mes chemins, revoyant mille choses,
Je fais sonnets de tout, de l’épine et des roses.
Or, j’en ai mis à part un bon tas, Dieu merci.

Ils sont divers ; l’un rit, l’autre siffle ou soupire.
Je trouve à la plupart quelque tort ; mais le pire,
Tous ne sont pas rimés dru comme celui-ci.

Q16 – T15

Car les bois ont aussi leurs jours d’ennui hautain, — 1868 (10)

coll sonnets et eaux-fortes

Léon Dierx

Révolte

Car les bois ont aussi leurs jours d’ennui hautain,
Et, las de tordre au vent leurs grands bras séculaires,
S’enveloppent alors d’immobiles colères;
Et leur mépris muet insulte le destin.

Ni chevreuils, ni ramiers chanteurs, ni sources claires;
La forêt ne veut plus sourire au vieux matin,
Et, refoulant la vie aux plaines du lointain,
Arborera l’orgueil des douleurs sans salaires.

O bois! premiers enfants de la terre! grands bois!
Moi, dont l’âme en votre âme habite, et vous contemple,
Je sens les piliers prêts à maudire le temple.

Un jour, demain peut-être, arbres aux longs abois,
Quand le banal printemps reverdira nos fêtes,
Tous, vous resterez noirs, des racines aux faîtes.

Q16 – T30

C’est une chambre où tout languit et s’effémine; — 1866 (24)

Le Parnasse contemporain

L’absente

C’est une chambre où tout languit et s’effémine;
L’or blême et chaud du soir, qu’émousse la persienne,
D’un ton de vieil ivoire ou de guimpe ancienne
Apaise l’éclat dur d’un blanc tapis d’hermine.

Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d’ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine,
Pleure les doigts défunts de la musicienne.

Sous des rideaux imbus d’odeurs fades et moites,
De pesants bracelets hors du satin des boîtes
Se répandent le long d’un chevet sans haleine.

Devant la glace, auprès d’une veilleuse éteinte,
Bat le pouls d’une blanche horloge en porcelaine,
Et le clavecin noir gémit quand l’heure tinte.
Catulle Mendès

Q16 – T14 Rimes toutes féminines

Je sais que toute joie est une illusion, — 1866 (22)

Le Parnasse contemporain

Ennui

Je sais que toute joie est une illusion,
Il faut que tout se paie et que tout se compense,
Et je devrais bénir la dure providence
Que m’impose l’épreuve ou l’expiation.

Les stériles regrets, la menteuse espérance
N’atteignent pas la pure et calme région
Où le sage s’endort, libre de passion,
Dans la sereine paix de son intelligence,

Je le sais; mais je garde au coeur le souvenir
D’un rêve éblouissant, qui ne peut revenir
Ni dans ce monde-ci, ni dans l’autre: personne,

Ange, Démon ou Dieu, n’y peut rien; j’ai perdu
Un bonheur bien plus grand que ceux que le ciel donne,
Et ce bonheur jamais ne me sera rendu.
Louis Ménard

Q16 – T14

La fleur de volupté vient enfin de s’ouvrir. — 1866 (9)

Edmond Thiaudière Sauvagerie

Sonnet

La fleur de volupté vient enfin de s’ouvrir.
Un papillon ce soir s’y pose avec délice.
Timidement elle offre au baiser son calice:
A ce premier baiser qui la fait tant souffrir.

Et le sylphe indiscret qui chaque nuit se glisse
Au lit des vierges pour inculquer du plaisir,
Cet être, par malheur, impossible à saisir,
Fait place à l’homme; il faut que l’amour s’accomplisse.

Désormais ce n’est plus en songe seulement
Que passera sur toi la caresse enflammée;
Tu pourras dans l’éveil étreindre ton amant.

Mais le sylphe est sincère, et l’homme parfois ment.
L’un est toujours divin, l’autre est sot fréquemment.
Par l’homme, pauvre enfant, tu seras moins aimée.

Q16 – T21

Un jour, j’étais assis sur une terre anhydre, — 1866 (4)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville

III

Un jour, j’étais assis sur une terre anhydre
Au pied d’un châtaignier, gros comme un baobab,
J’avais soif à rêver tous les puits de Moab,
Et, quoique Bourguignon, j’aurais lampé du cidre.

J’aurais même, je crois, bu l’eau d’une clepsydre, …
Lorsque vint à passer la fille de Joab,
Vieux juif parcheminé, plus riche qu’un nabab,
Dont l’or très-mal acquis renaissait comme l’hydre!

Il était laid, vorace, et sale comme un porc;
Mais Elle … on aurait dit la soeur du dieu de Delphes;
Elle avait, en courant, le vaporeux des elfes.

Et ma soif disparut. Cet enfant de New-York
Pouvait tout transformer .. jusqu’aux haines des Guelfes.
Son amour était doux comme un vers des Adelphes.

Q15- T29 Rimes rares, mais quatre seulement: – idre -ab – orc – elphes

Pour ses yeux, – pour nager dans ces lacs, dont les quais — 1864 (9)

Mallarmé manuscrit du « carnet de 1864 »


Le pitre châtié

Pour ses yeux, – pour nager dans ces lacs, dont les quais
Sont plantés de beaux cils qu’un matin bleu pénètre,
J’ai, Muse, – moi, ton pitre, – enjambé la fenêtre
Et fui notre baraque où fument tes quinquets.

Et d’herbes enivré, j’ai plongé comme un traître
Dans ces lacs défendus, et, quand tu m’appelais,
Baigné mes membres nus dans l’onde aux blancs galets,
Oubliant mon habit de pitre au fond d’un hêtre.

Le soleil du matin séchait mon corps nouveau
Et je sentais fraîchir loin de ta tyrannie
La neige des glaciers dans ma chair assainie,

Ne sachant pas, hélas! quand s’en allait sur l’eau
Le suif de mes cheveux et le fard de ma peau,
Muse, que cette crasse était tout le génie!

Q16 – T27 Dans cette version première, disposition  abba  baab  cdd  ccd

Que sera-ce à la fin si déjà rougissant — 1860 (2)

J.E. Guy L’écrin d’un amateur

Sonnet sur l’amour

Que sera-ce à la fin si déjà rougissant
A ce titre anodin rempli d’hypocrisie,
Je vois sur votre front la teinte cramoisie
Qu’enfante la pudeur, ce beau fruit d’un beau sang?

Allez puiser ailleurs de plus noble ambroisie
Dans la coupe d’argent d’un esprit mieux pensant,
O belle dame! car, en y réfléchissant,
Il faut, pour m’approuver, se nommer Aspasie …

Et maintenant, messieurs, que nous sommes ici
Entre hommes, ou du moins à peu près, Dieu merci!!
Je dois, pour mes neveux, être un auguste ancêtre,

Puisque, sans nul besoin du moindre remorqueur,
J’ai, tout en rêvassant du côté de Bicêtre
Su trouver que l’amour est le sperme du coeur!

Q16 – T14

O muse de mon coeur, amante des palais, — 1857 (7)

Baudelaire Les fleurs du mal

La muse vénale

O muse de mon coeur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées?

Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de choeur, jouer de l’encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

Q16 – T15

J’ai perdu ma force et ma vie, — 1850 (2)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité
J’ai cru que c’était une amie;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.

Q16 – T15 – octo