Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

Or, le grand Hu-Gadarn, fils de Math, va mourir — 1996 (4)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française

La mort de Hu-Gadarn

Or, le grand Hu-Gadarn, fils de Math, va mourir
L’Invaincu, qui régnait sur trente nations,
A été pris dans son sommeil par trahison.
Au noir poteau lié, il attend sans faiblir.

Ceux qui jadis étaient ses sujets sont tous là:
Uggdrasill le cruel, Gundruna aux yeux clairs,
Murdoch, la Call-Bibi, et Dylan, et Ymer,
Les enfants de Gwiddonn et ceux d’Uheldida.

Tel, autour d’un lion déchiré et sanglant,
Un cercle de chakals se resserre, jappant,
Et vers la proie offerte ils avancent sans hâte.

Le bourreau attentif a levé son penn-baz
Aux pommeau incrusté de fines chrysoprases,
Et la tête dessine une courbe écarlate.
(Leconte de Lisle)

Q63 – T15

Sous la planche de fer ses jambes semblent moudre — 1995 (10)

Pierre Louÿs Ces fleurs secrètes


Couturière

Sous la planche de fer ses jambes semblent moudre
Elles se croisent, vint, viennent, en haut,en bas,
Et scandent pied à pied, d’un geste faible et las,
Le mouvement rythmé de la machine à coudre.

Mes les cuisses à nu se frôlent hardiment,
Le clitoris s’éveille et s’excite et raidit
C’est encore le désir de baiser qui grandit
La rage d’être jeune et chaude et sans amant.

O joie !  au fottement la vulve s’exaspère :
La masturbation clandestine s’opère ;
Dans l’atelier causeur personne n’en sait rien.

Et l’étau convulsif des cuisses opprimées
Fait jaillir au hasard dans les jupes fermées
Le pâle écoulement du flôt vénérien.

Q63  T15

Le sonnet vient de loin dans sa forme concise — 1993 (15)

André VelterDu Gange à Zanzibar

Remember Henry J-M Levet

Le sonnet vient de loin dans sa forme concise
Qui garde cependant avec l’alexandrin
Une haute rumeur serrée dans un écrin
Comme en un coquillage la houle très précise.

On glissait sur la paume d’une belle princesse
Un doux billet de feu et de désir ardent:
Deux quatrains deux tercets passaient bien sous le gant
Avant de mettre au coeur la langueur qui oppresse.

Mais les jeux de l’amour ont changé de tempo,
Le sonnet ne vaut plus un coup de téléphone
Pour emballer presto une jeune personne …

Le salut a surgi d’un usage nouveau
Qui veut depuis Levet qu’un poète aux escales
Entasse quatorze vers sur des cartes postales.

Q63 – T30 – s sur s

On voit parfois des choses tristes dans la vie. — 1992 (6)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Le cygne

On voit parfois des choses tristes dans la vie.
J’étais allé me promener, avec un livre,
Sur les bords de l’étang éblouissant de givre,
Quand s’offrit à mes yeux la scène que voici.

Loin du rivage sûr, un cygne peu prudent,
S’étant laissé saisir par la cruelle glace,
Agitait, de façon hélas inefficace,
Ses pauvres ailes de captif, éperdument.

J’aurais bien essayé de lui porter secours,
Mais c’était fort risqué: je suis beaucoup trop lourd.
Je partis donc, le coeur rempli d’affliction

Et je rentrai chez moi, pensif, en me disant
Que rien n’arrive aussi vite qu’un accident,
Et qu’on ne prend jamais trop de précautions.

(François Coppée)

Q63 – T15  – Remarque: cet excellent pastiche a malgré tout quelque défaut formel: Coppée ne ferait jamais rimer ‘vie’, mot féminin, avec ‘voici’, mot masculin (ajoutons qu’il n’y a pas à cette rime de ‘consonne d’appui’). D’autre part les rimes des tercets sont toutes masculines et la ‘règle de l’alternance’ est violée (Verlaine aurait pu le faire, mais pas Coppée).

Fin de partie, fin de vers, fin de siècle, — 1989 (2)

coll. –  Sonnets (ed. Alin Anseeuw)

Alin Anseeuw


Fin de partie: Trouvez Hortense!

Fin de partie, fin de vers, fin de siècle,
L’inspiration arrache au coeur du firmament
Une larme, c’est le sel de la vie, les amants
Et le poète assis nient la course des siècles,

Mange dans le miroir les reliefs du bonheur
La poésie que de tes larmes tu arroses
Dans les jambes d’Hortense a le goût d’une chose
Vaine, l’avant-printemps est un regard trompeur.

L’éternité est à la porte et le vent mord
Les corps qui ont pris froid, amour tu éparpilles
En poussant de mon vit ce qui tombe par mille

J’ai au bout de ma course un coeur qui s’essouffle et
Je traîne avec mes vers un cadavre enchaîné
Hortense est dans mon rêve une main qu’on dévore.

Q63 – T35

Les Alpes me séparent de l’Italie. — 1988 (4)

Pierre Gripari Marelles


Frontières naturelles

Les Alpes me séparent de l’Italie.
Le Rhin me sépare de l’Allemagne.
Les Pyrénées me séparent de l’Espagne.
La Seine sépare Pa de Ris.

Un monde me sépare de toi.
Le mur me sépare du dehors.
La vie me sépare de la mort.
Longtemps me sépare d’autrefois.

Le fleuve me sépare de l’autre rive.
Pauvreté me sépare d’un beau livre.
Le peur me sépare de tout.

Un geste me sépare du désastre.
Le silence me sépare des fous.
Le vide me sépare des astres.

Q63 – T14  m.irr.

L’odeur de l’eau qui sèche sur le sable — 1987 (6)

Jean Grosjean La reine de Saba

L’odeur de l’eau qui sèche sur le sable
Comme un poisson qu’on retire du fleuve
A moins hanté mon âme que ne peuvent
La hanter tes départs irrespirables.

Comment vivre après toi? Le soleil même
N’est plus qu’un vieux lampion sur la campagne
Le coeur dont toute absence est la compagne
Va-t-il se souvenir longtemps qu’il t’aime?

Mais si tu n’avais l’art de t’éloigner
Tu haïrais sans doute un coeur novice
Et si mon coeur n’était pas si novice

L’amour parfait t’aurait bientôt lassé.
A ta façon de détourner la tête
J’ai su que tes départs étaient nos fêtes.

Q63 – T30=shmall* – disp: 4+4+4+2 – déca

Les mots nouveaux me donnent de la tablature, — 1973 (11)

OulipoLa Littérature potentielle

Francois le Lionnais

L’unique sonnet de treize vers et pourquoi*

Les mots nouveaux me donnent de la tablature,
Ils ne figurent pas au Larousse illustré
Et bien souvent je suis quelque peu étonné
Par ceux-ci, dont l’aspect semble contre nature:

Arnalducien, bensilloscope, bergissime,
Blavièrement, braffortomane, duchater,
Lattisssoir, lescurophage, queneautiser,
Quevaloïde, schmidtineux, à quoi ça rime?

Mais il est parmi tous un mot imprononçable,
Sous un parler rugueux son sens est délectable,
C’est le mot: oulichblkrtssfrllnns.

J’eus tort de faire appel à lui pour un sonnet
Car je ne trouve pas de rime à frllnns.

* Après adoption d’un quatorzième vers, le titre deviendra:
Sonnet de quatorze vers.

Q63 – ccd xd – 13v

Dans les roseaux le printemps se balance. — 1970 (1)

Lanza del Vasto Le Viatique, II


Printemps sur le marais

Dans les roseaux le printemps se balance.
Par-dessus les buissons, sur l’étang plat
La nue est plate avec de blancs éclats,
Le vent se lève et retombe en silence.

Le pas est mou, dans les joncs emmêlés,
Le sol mouillé, jetant sous les chaussures,
Un cri d’oiseau, glisse à la pourriture,
Un brouillard vêt les saules mutilés.

L’étang est plat, l’air veuf de voix humaines
Même de cloche, et sans une félure,
Et le regard à nul arbre ne mène

Nous marchons vite et cherchons les vrais champs
Car le printemps est mort ici: nature
Chante en ces lieux toute seule son chant.

Q63 – T24 – déca