Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

Vous m’avez enchaîné, de deux anneaux, Amie — 1908 (13)

Robert de Montesquiou Les paons

SARAH BERNHARDT

Vous m’avez enchaîné, de deux anneaux, Amie
L’un en fleurs d’amaranthe à l’amour éternel :
Platine ciselé, symbole fraternel,
Dont rien ne dissoudrait l’alliance affermie.

L’autre a deux masques bleus, sculptés dans deux opales,
Roses, jaunes, lilas… tous les feux de l’iris:
Et vos tragiques pleurs, et les comiques ris,
De l’éblouissant rouge y tournent au vert pâle.

Votre charme, pour moi, vit dans ces deux soeurs bagues;
L’une est la foi fidèle, et l’autre a les jeux vagues
Où l’âpre volonté s’attendrit de langueurs.

Et, lorsqu’à mes doigts froids se nouera Libitine,
Qu’elle éternise, auprès de l’anneau de platine,
L’opale aux tons changeants qui n’a rien de nos coeurs !

Q63  T15 Libitine Dans la religion des Romains, déesse qui présidait aux funérailles, et dont le temple renfermait les objets relatifs aux pompes funèbres.

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés — 1908 (3)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

La Paresse

Pour une eau-forte en couleur de H. Detouche

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés
Pour des yeux demi-clos s’écoulent comme un fleuve;
L’immobile et la multiple volupté neuve
Se disperse en miroitements inopinés.

Accorde à du songe ton beau front pur. Eprise
De mieux qu’elle, que veut la Vie et tout son bruit
Ravir à ton extase sereine où ne luit
Qu’un clair soleil jailli du regard qu’il irise?

Si la spirale couve un sommeil morne et lent,
Ta pensée a tissé, comme un fil l’araignée,
Le manteau d’oubli lourd dont tu sais, résignée,
Tristement dorloter l’effroi d’un hiver blanc

Jusqu’au printemps nouveau dont la verdeur redresse
Même la tige de tes rêves, ô Paresse!

Q63  T30 disp du précédent shmall*

En l’église, où ne s’allume — 1908 (2)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

Pour Stéphane Mallarmé

HOMMAGE

En l’église, où ne s’allume
Qu’une étoile taciturne,
Le myrrhe fade de l’urne
Et, sous l’angoissante brume,

Surgit du sol qu’elle évite:
Tel, secret et pur, s’élève
Vers le Ciel perdu le rêve
D’un sacrilège lévite.

Joie et désir de mon songe
Epris d’air lointain et d’astres
Mon orgueil fuit maints désastres
Pour des nuits où se prolonge

Le rayon d’extase vers
Le bel azur de vos vers!

Q63  T30 – 7s – disp du précédent : shmall*

De toi seul fils et l’aïeul — 1908 (1)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

A O.G.D.

De toi seul fils et l’aïeul
Naît aux portiques du rêve
Le guerrier de qui le glaive
Soit le simple et clair glaïeul.

En ses doigts tige qu’isole
D’un geste las son dédain
Il t’a prise à quel jardin
De Spolète ou de Fiesole,

Pour, ce héros puéril
Surgi d’un lointain de l’âme,
Abdiquer la fleur de flamme
Aux futurs pourpris d’avril

Où des roses seront fières
D’être des roses-trémières.

Q63  T30 – 7s – shmall* : Disposition semblable à celle de Mallarmé (‘schmall’), mais en quatrains à rimes embrassées

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde — 1907 (2)

Henri de Régnier Premiers poèmes

Epilogue

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde
En grappes pour y vendanger le vin d’oubli;
Le soir n’a plus de pourpre et l’aurore a pâli
Et la promesse meurt aux lèvres du Vieux Monde;

Nous irons vers la rive où triomphe un décor
D’étangs muets et de sites en somnolence,
Où vers une mer morte un fleuve de silence
Bifurque son delta parmi les sables d’or;

Toi la vivante, la diseuse de paroles
Tu voulus m’enchaîner au nœud des vignes folles,
J’ai brisé le lien de fleurs du bracelet.

Hors le tien, tout amour, ô Mort, est dérisoire
Pour qui sait le pays mystique et violet
Où se dresse vers l’autre azur la Tour d’Ivoire.

Q63 – T14

C’est un soir tendre comme un visage de femme. — 1901 (9)

Albert Samain Le chariot d’or

Soir

C’est un soir tendre comme un visage de femme.
Un soir étrange, éclos sur l’hiver âpre et dur,
Dont la suavité, flottante au clair-obscur,
Tombe en charpie exquise aux blessures de l’âme.

Des vers angélisés … des roses d’anémie …
L’Arc-de-Triomphe au loin s’estompe velouté,
Et la nuit qui descend à l’horizon bleuté
Verse aux nerfs douloureux la très douce accalmie.

Dans le mois du vent noir et des brouillards plombés
Les pétales du vieil automne sont tombés.
Le beau ciel chromatique agonise sa gamme.

Au long des vieux hôtels parfumés d’autrefois
Je respire la fleur enchantée à mes doigts.
C’est un soir tendre comme un visage de femme.

Q63 – T15  – Le vers 14 est identique au vers 1

Le printemps maladif a chassé tristement — 1899 (19)

Mallarmé Poésies

Renouveau

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.

Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau,
Et, triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane

Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève …
– Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.

Q63 – T23

C’était un grand vaisseau taillé dans l’or massif: — 1899 (13)

Emile Nelligan

Le vaisseau d’or

C’était un grand vaisseau taillé dans l’or massif:
Ses mats touchaient l’azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d’amour, cheveux épars, chairs nues,
S’étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l’Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d’Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu’est devenu mon coeur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l’abîme du Rêve!

Q63 – T14

Après avoir morné tant de robustes piques — 1899 (11)

Laurent Tailhade A travers les grouins

Vieille dame

Après avoir morné tant de robustes piques
– Heureux vaincu de ce combat qui lui fut cher –
Et poussé dans le plus intime de sa chair,
« Les dragons chevelus, les grenadiers épiques »,

Ma tante Jean Lorrain signe le boniment
Coppéen par qui va fleurir la Paix almée:
Sans nul autre désir que prouver à l’Armée
Son amour en détail et collectivement.

Palpitant des viols subis avec ivresse,
Il imbibe les régiments de sa caresse,
Donne aux tringlots des noms de princes fabuleux.

Son coeur est grand ouvert à leurs jeux délétères,
Patriote comme chausson! Les cordons bleus
Et les vieilles catins aiment les militaires.

Q63 – T14

C’est tout mystère et tout secret et toutes portes — 1896 (12)

– Georges Rodenbach Oeuvres

Pour la gloire de Mallarmé

C’est tout mystère et tout secret et toutes portes
S’ouvrant un peu sur un commencement de soir;
La goutte de soleil dans un diamant noir,
Et l’éclair vif qu’ont les bijoux des reines mortes.

Une forêt de mats disant la mer; des hampes
Attestant des drapeaux qui n’auront pas été;
Rien qu’une rose à suggérer des roses-thé;
Et des jets d’eau soudain baissés, comme des lampes!

Poème! Une relique est dans le reliquaire,
Invisible et pourtant sensible sous le verre
Où les yeux des croyants se sont unis en elle.

Poème! Une clarté qui de soi-même avare,
Scintille, intermittente afin d’être éternelle;
Et c’est, dans de la nuit, les feux tournants d’un phare!

Q63 – T14