Archives de catégorie : oc.sym

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande, — 1886 (19)

D. Mon Les Bengalis


Villégiature

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande,
Où l’églantine pâle et le volubilis
Accrochent leurs bouquets aux sombres tamaris,
Semble, par le soleil, une fraîche oasis.

Un ânon va, très fier de sa riche provende,
Portant l’enfant qui rit, lui parle et le gourmande,
Juché haut, entre deux grands paniers de marchande,
Emplis et débordant du plus charmant fouillis,

Où bluets, blonds gramens, rustiques pâquerettes
Campanule bleutée aux rustiques fleurettes,
Mauves myosotis, coquelicots ardents

Font un nid d’où surgit une tête mutine,
Que, sous le grand chapeau de paille l’on devine,
Jolie, ayant le rire à ses petites dents.

abbb aaab – T15

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement — 1885 (5)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

Les cygnes

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement
Fait toujours en été vider complêtement,
L’autorité met-elle avec acharnement
Un cygne?

Serait-ce pour permettre au poète rêveur
De l’égorger, afin d’ouïr plein de ferveur
Son chant suprême? Alors, mais c’est une faveur
Insigne?

Doit-il nous rappeler que Jupiter jadis
Trouva bon d’endosser un plumage de lys,
Pour se montrer sur l’eau, comme sur terre, ingambe?

Non, c’est pour qu’un papa rabâche à ses enfants
Qui le répèteront aux leurs, tout triomphants:
« D’un coup d’aile, ça peut vous casser une jambe! ».

aaab a’a’a’b – T14 – 2m (2s: v.4, v.8 )

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes, — 1874 (6)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Une page

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes,
En d’innombrables feux s’épanchent sur les mondes:
Le soir, au front penseur, au poète enfiévré,
La lune doucement verse ses clartés blondes:

L’étoile aime, et sourit au coeur énamouré.
Roi du jour, le soleil, des sphères adoré,
Prodigue des baisers qui les rendent fécondes.
Tout germe, croît, fleurit sous son regard doré! … » –

C’est ainsi qu’aux lueurs d’une nuit étoilée,
L’Idéal traduisait à mon âme affolée
Les trésors que contient ta page, ô Firmament!

Et je dis: l’égoiste est des êtres le pire.
Pourquoi regarde-t-il si bas qu’il ne peut lire
Le ciel, où la Nature écrivit: dévoûment? …

A.Marc

aaba bbab – T15

Dans notre chambre, un jour, nos fenêtres bien closes, — 1872 (34)

–  Cabaner

Souhait

Dans notre chambre, un jour, nos fenêtres bien closes,
Si tu veux, tous les deux, seuls, nous allumerons
Deux longs cierges de cire, et nous reposerons,
Sur un riche oreiller mol et blanc, nos deux fronts.

Et sans avoir recours au parfum lourd des roses,
Rien qu’avec les senteurs funèbres que ton corps
Répand lorsque, la nuit, il livre ses trésors,
Nous nous endormirons et nous resterons morts.

Et nous resterons morts avec des chastes poses
Afin qu’on puisse dans les plus pudiques temps,
Raconter notre mort, même aux petits enfants,

Et nous représenter en des apothéoses,
Couchés l’un près de l’autre et sans s’être enlacés,
Comme une épouse et son doux seigneur trépassés.

abbb ab’b’b’ – T30 – y=x (c=a) 

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle. — 1869 (27)

Edouard Pailleron Amours et haines

L’hirondelle

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle.
Madame, regardez là-haut cette hirondelle:
Pour la grâce du vol, c’est un oiseau sans pair.
N’est-elle pas jolie, alors que d’un coup d’aile,

Dans les rayures d’ombre et dans le soleil clair,
Elle passe en criant, vive comme l’éclair,
La faucheuse d’azur? et dirait-on pas d’elle
La navette de jais d’un tisserand de l’air?

Votre oeil aime à la suivre où son vol s’évertue;
Vous croyez qu’elle joue? Hélas! non, elle tue!
Sa souplesse et un charme et son charme un moyen;

Dieu la fit pour séduire et pour tuer ensemble…
Sauriez-vous d’aventure à qui l’oiseau ressemble?
Moi, je ne le sais pas, si vous n’en savez rien.

aaba bbab – T15

Puisque la femme est infidèle, — 1869 (7)

Henri Cantel Amours et priapées

Sagesse

Puisque la femme est infidèle,
Que son coeur est une hirondelle
Qui part et brise d’un coup d’aile
Le nid de ses amours,

Sans nous donner des airs moroses,
N’aimons rien, aimons toutes choses,
Butinons lys, verveine et roses
Qui verdissent toujours.

Aux corolles brunes ou blondes
Laissons nos lèvres vagabondes
Courir et s’embraser,

Et nos coeurs, lascives abeilles,
Faire mourir les fleurs vermeilles
Sous le dard du baiser.

aaab a’a’a’b – T15 – 2m (octo; 6s: v.4, v.8, v.11, v.14)

Aline sommeillait un matin, Léona, — 1869 (6)

Henri Cantel Amours et priapées

Aline

Aline sommeillait un matin, Léona,
Voyant la blonde vierge en fleur, et demi-nue,
Dans ses veines sentit une force inconnue
Courir, comme la foudre éclatant sous la nue.

Sa folle passion soudain se déchaîna;
Elle trembla, rougit, pâlit. Ivre et farouche,
Elle enlaça sa proie, et lui ferma la bouche
D’un baiser. Lors l’enfant se dressa sur sa couche!

 » Aline, mon cher coeur et mon rêve adoré,
Va, ne crains rien, c’est moi, ta Léona, je t’aime
Et brûle d’infuser mon amour en toi-même!

Mes lèvres vont cueillir ton fruit tant désiré!  »
La victime, n’osant fuir l’oeil noir qui la couve,
Se taisait sous les dents puissantes de la Louve.

abbb ab’b’b’ – T30

Voyant qu’aujourd’hui les marchands — 1865 (5)

Alfred Besse in Choix des improvisations…

L’histoire

L’histoire est une belle chose
Pour celui qui l’écrit sans fard ;
De l’effet il cherche la cause,
Qu’il chante Alexandre ou César ?

Mais souvent un auteur qui glose ;
Dans un livre écrit au hasard,
De fables augmente la dose,
Et vend des contes de bazar.

Un quidam (le fait est notoire),
Veut pour les récits de l’Histoire,
Des écrivains sans passion ;

Mais moi dont l’âme est plus naïve,
Je veux que celui qui l’écrive
Soit un auteur …. Sans pension.

abab’ abab’ – T15  octo  improvisé au Petit-Séminaire, Saint-Gaultier (Indre le 4 juin 1865 »

Que de fois, pour charmer le mal qui me dévore, — 1858 (3)

Antoine-Auguste Génin Simple bouquet

XX

Que de fois, pour charmer le mal qui me dévore,
J’ai trompé le sommeil et devancé l’aurore!
A poursuivre un regard qu’en vain mon oeil implore,
J’ai perdu bien souvent des soleils tout entiers.

Que de fois j’ai suivi vos pas dans les sentiers,
Seul, occupant mon coeur à lui redire encore
Vos attraits, mon amour, et croyant voir éclore
Des fleurs au doux contact de votre pied sonore!

De mes désirs ainsi je m’enivre en marchant:
Ce bruit sous la fenêtre, est-ce donc votre chant?
Sur l’aile du zéphir j’ai surpris votre haleine.

Et bien! que vous passiez rieuse et sans me voir;
Quand le soir je reviens à notre vieux manoir,
J’emporte de bonheur mon âme toute pleine.

aaab baaa – T15

Si les plus beaux cheveux du monde — 1843 (4)

Gustave Levavasseur – in Vers

XXXI
Sonnet

Si les plus beaux cheveux du monde
Miroitaient sur sa tête blonde,
Son nez, galamment retroussé,
Taquinait une bouche ronde.

Main passant, le coeur détroussé,
Baissait les yeux, tout courroucé,
Sous son regard de Frédégonde,
Piteusement éclaboussé.

Que lui manquait-il donc? … Etait-ce
Ce teint si vanté dans Lutèce,
Où la rose le cède aux lis?

Non; mais vous eussiez cherché l’âme
En vain sous ses contours polis; –
La gaine n’avait pas de lâme.

aaba  bbab –T14  octo Un octave, et non deux quatrains autonomes