Archives de catégorie : Quatrains excentriques

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres, — 1901 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Jolis cœurs

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres,
Et toi, chair, dans le stupre tu te vautres!
Et ceux qui disent tant de patenôtres
Ont tant de mauvais regards pour les autres!

On médite souvent un crime affreux
Tandis qu’on vous regarde, doucereux!
Et dans les moments des plus doux aveux
Le venin coule des yeux langoureux!

Tout meurt: la lèvre rose de Rosette
Comme la phrase exquise du poète!
Tout meurt dans le jour blanc et le noir soir!

Plutôt la Mort que cette hypocrisie!
Mais la Mort – (et mon âme aussi en est saisie!) –
Elle est fausse, elle aussi! … Mort donc l’Espoir!

aaaa bbbb – T15 – déca irr.

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée, — 1898 (5)

François Dellevaux Le sachet d’amour

Le lys

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée,
L’acte brutal qui préoccupe ta pensée.
Or, c’est l’instant, ô virginale fiancée!
Des souhaits écoutés et des voeux accomplis….

Sois à moi! Le corps seul est d’argile. Le lys,
Cette royale fleur de pureté candide,
A besoin, pour pousser son calice splendide,
Du suc vivifiant d’un noir humus sordide:

Donne-toi. Notre amour te deviendra plus cher
En s’idéalisant, car, dans l’Oeuvre de chair,
La caresse est le Spasme et l’étreinte est l’Extase.

Qu’importe la matière impure, si l’esprit
S’en exalte? O leçon! Le parfum qui fleurit
Ignore, sans dédain, le fumier de sa base!

aaab  ba’a’a’ – T15

O mer, o mer immense qui déroules — 1896 (6)

Auguste AngellierA l’amie perdue


Le sacrifice, XX

O mer, o mer immense qui déroules
Sous les regards mouillés de ces millions d’étoiles,
Les longs gémissements de tes millions de houles,
Lorsque dans ton élan vers le ciel tu t’écroules;

O ciel, ô ciel immense et triste, qui dévoiles,
Sur les gémissements de ces milliers de houles,
Les regards pleins de pleurs de tes milliers d’étoiles
Quand l’air ne cache point la mer sous de longs voiles;

Vous qui, par des milliers et des milliers d’années,
A travers les éthers toujours remplis d’alarmes,
L’un vers l’autre tendez vos âmes condamnées

A l’éternel amour qu’aucun temps ne consomme,
Il me semble, ce soir, que mon étroit coeur d’homme
Contient tous vos sanglots, contient toutes vos larmes!

abaa babb – T25 – toutes les rimes sont féminines

Je n’aime pas énormément — 1896 (2)

Verlaine Invectives

A propos d’un procès intenté à un archevêque français

Je n’aime pas énormément
Le clergé que le Concordat
Nous procure présentement,
Et je voudrais qu’on émondât

Quelque peu, quand même un Soldat
S’en mêlerait, brusque et charmant
Au fond, remplissant ce mandat:
Tout pour le bien, – et persistat,

Qu’on émondât quelque peu, dis-je,
– Par quel détour ou quel prodige
Je n’en sais rien, mais je m’entête –

L’Eglise française – et les autres,
Mais aussi, que tels bons apôtres,
Bonne RF, fussent de la fête.

abab babb – T15 – octo – Quatrains en rimes masculines, tercets en rimes féminines

Vicvânitra priait. Les nocturnes délices — 1895 (10)

Richard Cantinelli Le rouet d’Omphale

Vicvânitra et Minaka

Vicvânitra priait. Les nocturnes délices
Des songes se fondaient en la splendeur rosée
De l’aurore aux cheveux couronnés de narcisses,
Qui s’éveillait avec des langueurs d’épousée.

Vicvânitra priait et songeait. Les figuiers
Sous le soleil levant noircissaient enlacés:
Tels des êtres en qui montent les flots pressés
Du sang, sous le contact de lumineux baisers.

Tandis que, du lac bleu bordé d’iris très pâles,
Monte une femme au long collier semé d’opales,
Qui pose son pied blanc sur l’herbe du rivage.

Son vêtement mouillé sur ses formes se moule,
Et, lentement, sa main de ses cheveux dégage
Son visage où l’eau claire et scintillante coule.

abab a’a’a’a’ – T14

Or puisque le veau d’or a lieu — 1894 (14)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A Léon Vannier

Or puisque le veau d’or a lieu
Et qu’on ne dirait plus du veau,
Il nous fut d’abord prier Dieu
Tout bonnement prodigieux.

Pour nous ruer à des travaux
Tout bonnement prodigieux,
Prose au kilo, vers vrais ou faux,
Qu’importe? Tant pis et tant mieux!

Nouer et dénouer des noeuds
Gordiens ou non, et n’étant
Pas plus des princes que des boeufs,

Néammoins, peiner tant et tant
Que vous fassiez une fortune boeuf
Et que moi j’achetasse un courage tout neuf.

abaa babb – T23 – 2m : octo; alexandrin: v.14 – toutes les rimes sont masculines. Il y a aussi un jeu de rimes sur le singulier et le pluriel

Le bûcher est dressé, le triomphal bûcher, — 1894 (8)

Marie KryzinskaJoies errantes

Jeanne d’Arc
A Paul Hugonnet
Sonnet en prose

Le bûcher est dressé, le triomphal bûcher,
Où Jeanne montera, ainsi que l’on s’exhausse
Sur un trône d’immortalité.
Court-voyants soudards qui appelez
Supplice – l’apothéose de sa gloire!
Plus cléments, vous eussiez volé
Sa belle part
Au patrimoine de l’Histoire.

La voici, tel un joyeux Archange planant haut
Au milieu des flammes vermeilles,
Qui chantent sa beauté de vierge sans pareille.

Et sa cendre sera
La semence précieuse qui fera
Lever une moisson de héros.

abaaa’b’xa’ – T15 – disp: 8+3+3 –  m.irr – L’auteur nomme ‘sonnet en prose’ un poème où les rimes sont non classiques, un vers est sans rime et la métrique est très irrégulière.

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement, — 1892 (10)

Amédée Rouquès in Le Banquet

Chansons pour rire, II

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement,
Et l’orgue, répondant du fond du monument,
Râlait grave en mon cœur livide, absolument
Sombré dans le deuil noir de cet enterrement

Les enfants pleuraient, les hommes pleuraient, les femmes
Pleuraient, et moi, les pleurs avaient noyé mon âme ;
Et mes yeux d’eau distinguaient à peine la flamme
Des cierges, et le prêtre, qui chantait ses gammes.

Et je me sentais plein d’un ineffable amour
Pour ces hommes que je ne connaissais point, pour
Ces femmes à genoux, aux si charmantes poses,

Ces cierges, ces voix d’enfants au timbre argentin,
Tous ces êtres perdus dans un brouillard lointain  …..
Quand je suis gris, c’est tout à fait la même chose.

aaaa bbbb T15

Mes songes au printemps, vont, là-bas, habiter. — 1991 (35)

La France moderne

Le harem

Mes songes au printemps, vont, là-bas, habiter.
Oui, là-bas, un harem où les belles du monde,
Fronts blancs, fronts jaunes, fronts rouges et tatoués,
Ont fait de mon désir l’agrafe de leurs voiles.

Leurs douces mains, leurs mains promptes à me flatter,
Sentent bon l’oliban et la banane blonde
Et leurs yeux d’animaux aux voluptés voués
Brûlent, sous mon regard, ainsi que des étoiles.

Mais je n’en aime aucune et suis épouvanté.
Lorsque de mon espit ces chairs s’épanouirent,
Comment dans leur parfum n’ai-je pas palpité ?

Oh ! les rêves qui si longtemps me réjouirent,
Montreurs de ciels d’orgueil, diseurs de rythmes bleus,
Mes rêves triomphaux, est-ce qu’ils me trahirent
Et que mon vrai cœur seul serait miraculeux ?

(Fernand Mazade)

abab’  abab’ 15v