Archives de catégorie : Tercets excentriques

Ame sainte, la Charité, — 1944 (3)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXI

Tombeau d’Antonio Machado

Ame sainte, la Charité,
guidant les saintes de la nuit,
abonde au lieu déshonoré
que la torche en vain purifie.

Elles vont délivrer les cendres
d’un pays qui n’est plus que sable
et, vol d’oiseaux clairs, les répandre
à travers un ciel respirable.

Là tu retrouveras l’odeur
de tes profonds étés en plomb.
Il ne restera plus jamais

qu’une urne brisée de colère,
à Collioure, au pied des pierres
où pourrirent les prisonniers.

Q59 – xyd eed octo

Onze nombre impair. La rétention du temps — 1942 (4)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

Bout de l’an

Onze nombre impair. La rétention du temps
Décembre devant nous achève un cortège
Assez loin de mille et un peu plus de cent
La boue et la pluie et pas encor la neige

De l’achèvement toujours à la limite
L’arbre attend son fruit et la lave son roc
La faux se détourne du nid de termites
L’étoile court après le chant niais du coq

Tous vont arriver. L’aube belle charogne
Epluche l’univers rejette la nuit
La sotte volaille s’égosille et luit

La graine éclate et se met à la besogne
L’année accouche de son alexandrin

Le sonnet s’arrête au numéro quatorze

Q59 – cddcxy 11s

L’homme s’enfuit, le cheval tombe, — 1926 (3)

Paul Eluard Capitale de la douleur


Le jeu de construction
A Raymond Roussel

L’homme s’enfuit, le cheval tombe,
La porte ne peut pas s’ouvrir,
L’oiseau se tait, creusez sa tombe,
Le silence le fait mourir.

Un papillon sur une branche
Attend patiemment l’hiver,
Son cœur est lourd, la branche penche,
La branche se plie comme un ver.

Pourquoi pleurer la fleur séchée
Et pourquoi pleurer les lilas?
Pourquoi pleurer la rose d’ambre?

Pourquoi pleurer la pensée tendre?
Pourquoi chercher la fleur cachée
Si l’on n’a pas de récompense?
– Mais pour ça, ça et ça.

Q59 – tercets non rimés – 15v

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère — 1924 (6)

Emile Blémont Gloires de France

Envoi au ‘Tombeau de Verlaine »

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère
Où qu’il ne fût sincère qu’à demi,
Je l’admirais en poète, en ami,
Tout approuver était-il n’écessaire?

Ce rut païen après ce doux rosaire,
Ces yeux d’orgueil, ce coeur mal affermi,
Qui les a vus, et n’en a point gémi?
O le grand Saint, mais quel bon vieux corsaire!

Pour la logique
Grave embarras! – Puis, la mort a sculpté
En marbre blanc sa tête socratique.

Maints vers de lui sont étrangement beaux;
Et ce damné, dans son rêve extatique,
Ouvrit à l’Art des horizons nouveaux.

Q15 –  cxcdcd T.exc –  déca (v.9:4s.)

Avril renaît Voici ses rubans et ses flammes — 1923 (4)

Aragon – (Les Destinées de la poésie)

La naissance du printemps

Avril renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments

Dieu que de besoins fous sous l’appui des fenêtres
Nous n’avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé

Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte
Il gagna son pain à la sueur de son front

De fil en aiguille il devint contrôleur des finances
Enfin par un soleil de tous les diables
Il tomba tout à coup amoureux

Q59 – T.exc. – m.irr

Son aïeul adorait le livre libertin, — 1921 (12)

Gabriel Volland L’amour vainqueur

La jeune fille

Son aïeul adorait le livre libertin,
La gravure amouresue et la galante estampe,
Et le secret musée où l’artiste vous campe
Des couples plus ardents que ceux de l’Arétin.

Quelle trouvaille au fond du grenier ce matin :
Une oeuvre … Elle rougit et, la fièvre à la tempe,
Elle attend la veillée où, seule avec sa lampe,
Ses yeux connaîtront tout de ce pervers butin.

Chambre close, elle lit devant l’âtre qui fume …
Comme pour embraser davantage ses sens
La chaleur a rejoint sa main contre sa jambe.

Et de la bûche les lutins vifs et dansants
Savent seuls si l’ardeur dont tout son corps se pâme
Vient du désir en feu plutôt que de la flamme.

Q15  T . exc.

Au Waterloo Hotel, j’ai achevé mon tiffin, —1900 (6)

Henri Jean-Marie LevetSonnets torrides

Les Voyages, III Homewards
A M.P. Bons d’Anty.

Au Waterloo Hotel, j’ai achevé mon tiffin,
Et, mon bill payé, je me dirige vers le wharf.
Voici l’Indus ( des Messageries Maritimes)
Et la tristesse imbécile du « homewards’.

– Quelques officiers français qui reviennent d’Indo-Chine
Passer en Europe un congé de six mois,
Commentent l’embarquement de jeunes misses, divines,
Avec lesquelles je ne flirterai certes pas!

Sur le pont mes futurs compagnons de voyage
Me dévisagent …
Puis on passe une sommaire visite de santé –

(Cette année la peste a fait ici bien des ravages!)
– Enfin voici la cloche du départ, qui sonne
Que je ramène, pieusement ouatée,
La fleur de ma mélancolie anglo-saxonne.

Q32 – ccd ced e – m.irr – 15v

Un Maupassant complet! Première édition! — 1895 (8)

Paul VerlaineBiblio-sonnets

Edition originale contemporaine

Un Maupassant complet! Première édition!
Seul un livre fait faute à la collection:
Cas déplorable, d’autant plus qu’on n’est pas riche.
Et vendez donc pour que tel se fâche ou se fiche!

Or La Maison Tellier dont il est question,
Quel « top » rabâché jusqu’à profusion!
Encore, il faut l’avoir. Autrement, triste affiche,
Et triste boniment, à moins que l’on ne triche.

Mais voici qu’on l’annonce en un lieu sérieux:
Couverture! broché) conservé dans les mieux!
Non coupé! Prix: 100 francs.

Tout de même on se livre.
On aligne le prix. c’est dur et curieux.
« Car aurons-nous du tout le prix de ce seul livre? »

Q15 – ccx dcd  – Tercets exc.

Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses — 1993 (20)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pour cueillir les narcisses
Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses (Joseph Declareuil)

O nymphes, j’ai flétri la fleur de Bételgeuse :
Nymphes, les nymphéas abhorrés de l’Amour !
Candide, j’ai cueilli vos corolles neigeuses,
Frigides nénuphars abhorrés de l’Amour !

Tel un glaïeul glissant au sanglot de l’eau glauque,
J’effeuille cette fleur qui fut l’enfant Narcisse ; –
Et le fleur descendait au sanglot de l’eau glauque
Et les blancs Corydons chantaient leurs Alexis !

Magdeleines, gardez pour les Jésus futurs,
Gardez le cinnamone et les philtres d’Amour.
Leurs cheveux essuieront tes pieds, ô Dieu futur !

Pour moi, dans le miroir sanglotant de l’eau glauque, –
Parmi les nymphéas abhorrés de l’Amour ;
J’effeuillerai la fleur qui fut l’enfant Naricsse !

Q59  cdc xdy y=x (d=b & x=a’ & y=b’)  mots-rimes et vers repris

Des pas menus et trottinants d’insecte, — 1893 (9)

Albert Aurier Oeuvres posthumes

Portrait

Des pas menus et trottinants d’insecte,
Un grand oeil noir toujours comme en maraude,
Une démarche alerte et circonspecte,
Toute petite, en robe d’émeraude

Elle trottine, elle flane, elle inspecte,
Avec des airs de carabe qui rôde,
Ou bien parfois, s’arrête et se délecte
Au grand soleil ardent qui la taraude.

Le satin vient du Japon, qui brillotte,
Semble une élytre, et, toujours brinqueballe
Comme une antenne, à sa toque embarbée,

Un plumasseau mince qui se trémousse …
Est-elle femme? Est-elle scarabée?
On aimerait l’aimer parmi les mousses.

Q8 – xyd ede – déca – brilloter : (H.N.) briller un peu