Archives de catégorie : Tercets

Ah mais que si donc comme et oh eh hi ah mais — 1958 (13)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

La neige des mots invariables

Ah mais que si donc comme et oh eh hi ah mais
En étant pour or par tout en étant si comme
Donc en si mais givrant l’on du pour quand j’allais
Aux tours du ni quand près du ceci du donc homme

Le bachelier en droit la neige ès qualités
L’autour du donc si plouf l’alentour du grossium
Ne font qu’un tore à peine autour des os gâtés
Du râtelier glacial sous le presque uranium

Donc si mais donc si quand et pour moi et pour qu’est-ce
Le donc si près la flûte et le si grosse-caisse
Font rouler leur valeur sur la peau d’asinin

Pour est peut-être contre et le contre se baisse
Pour recevoir le couic il se peut bien qu’il naisse
Le jour où l’oh mais donc un galet redevient

Q8 – T6

J’avais plongé mes doigts au fond de la marmite — 1958 (12)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

J’avais plongé mes doigts au fond de la marmite
où cuisaient découpés les débris du passé
j’en tirai deux testicules et une bite
je me suis demandé ce qui s’était passé

tout ça c’était à moi douleur furie et rage!
ce cher petit bouquet assaisonnait dûment
je ne sais trop quel académique potage
qu’on sert aux miséreux quotidiennement

Ainsi j’en étais là. Je regardais ce triple
reste de ce qu’on nomme la virilité
et me mis à penser à ces anciens périples

qui menaient tout autour de cette obscure Afrique
où quelque fois l’on échoue, un beau soir d’été
pour au total se voir faire cuire la tripe

Q59 – T17

Albine était partie en disant ah mais non — 1958 (11)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

Albine était partie en disant ah mais non
il n’était nullement convenu que j’allasse
tous les soirs au jardin cueillir le potiron
pour en déduire ensuite un potage lavasse

Nous regrettions tous trois cette âpre décision
car la servante avait en cuisine une audace
qui lui faisait marier le poivre et le citron
l’ammone et le benjoin le bouillant et la glace

Nous avions en effet peut-être exagéré
en demandant en plus de son parfait service
quelque imagination dans la lubricité

S’enthousiasmant toujours pour faire le pompier
ou bien quelque branlette ou bien même un coucher
la servante enculée abhorrait son supplice

Q8 – T25

Tout ce que je demande c’est de mettre un peu de terre dans le creux de la main — 1958 (10)

Raymond Queneau Sonnets

Terre meuble

Tout ce que je demande c’est de mettre un peu de terre dans le creux de la main
Juste un peu de terre dans laquelle je pourrais m’enfouir et disparaître
Regardez comme je l’étale grande cette paume on croirait qu’à tous je veux serrer la main
Et pourtant mon seul désir mon unique but et mon vœu le plus cher c’est de disparaître

J’écrivais dans de petits carnets des tas de choses au crayon qui étaient destinées à disparaître
Comme allaient s’évanouir aussi la verdure des graminées et la poussière des chemins – oui tout ça s’évanouirait demain
Je suivais la même courbe que les rails du tramouai qui déjà semblaient prêts à disparaître
Et je savais déjà oui déjà que je ne penserais qu’à une seule chose à tout finir, à finir tout ça – demain

Peintres échafaudés le long des murs de la chapelle Sixtine!
Sculpteurs agrippés le long des monts marmoréens!
Sachez sachez bien que je ne confonds pas ah mais non votre art avec de la bibine

Poètes qui sondez les mystères héraclitéens!
Prosateurs! Dramaturges! Essayistes! N’éprouvez aucun remords!
De mes amis je n’attends qu’un peu de terre dans la main – et des autres la mort

Q11 – T23 – m.irr  – quatrains sur deux mots-rimes – vers longs

Alexandre le Grand, il parlait comme un livre — 1958 (9)

Raymond Queneau Sonnets

L’alexandrinisme des origines à nos jours

Alexandre le Grand, il parlait comme un livre
Avec Aristote comme maître cela n’a rien d’étonnant
On lui reproche d’avoir été – une fois – ivre
C’est bien la peine de gagner tant de batailles pour être à la fin condamné moralement

Arrivé au bout du monde ses soldats ne voulurent plus le suivre
Pourtant après les Indes il y avait la Chine le Japon et le Nouveau Continent
Seulement ils ne savaient pas la géographie peut-être même manquaient-ils de vivres
La plupart d’entre eux rentrèrent à pied et quelques-uns par le golfe d’Oman

Tout ça ne me dit pas pourquoi l’alexandrin
De la langue française est le plus bel écrin
Il nourrit le sonnet comme la perle l’huître

Ni pour quelles raisons le roi macédonien
Donna son nom illustre à douze comédiens
Graves comme au Français, sérieux comme des pitres

Q8 – T6 – m.irr

« Après vous » « Après moi » L’échange volatile — 1958 (8)

Raymond Queneau Sonnets

Voilà que j’assiste à un grand dîner officiel

« Après vous » « Après moi » L’échange volatile
De ces mots survolant les côtes de rastron
Me semble en vérité de plus en plus futile
Depuis que j’ai gâté de sauce mon plastron

Pour aller au banquet des rois du mirliton
Je m’étais habillé non sans un certain style
On mangea de l’orange avec du caneton
Et des petits gâteaux de chez Lefèvre-Utile

Les yeux écarquillés je somnolais pantois
Il y eut un discours et puis deux et puis trois
En moi-même admirant ma conduite exemplaire

Mais en baissant les yeux épouvanté je vois
La tache que j’avais plaqué avec mes doigts
Sur ma chemise blanche effort vestimentaire

Q11 – T6

Il y avait une fois un vers de douze pieds — 1958 (7)

Raymond Queneau Sonnets

Invraisemblables sornettes de sodomites convertis

Il y avait une fois un vers de douze pieds
Qui se sentait trop seul cherchait un acolyte
Il n’alla pas plus loin que le bout de son nez
Et trouva le copain qu’il voulait tout de suite

Ils firent connaissance et tous deux étonnés
Qu’ils eussent en commun la rime sodomite
Contents un peu jaloux ils s’étaient accordés
Pour juger la rencontre un peu hermaphrodite

Le temps passa De deux ne devenant pas trois
Une astuce leur vint: la rime féminine
Puis d’autres: la césure et l’hiatus bien sournois

Il n’y eut plus de borne à tout ce feu grégeois
Multipliant sans fin prouesses comme exploits
Ils firent du sonnet la suprême combine

Q8 – T16 – s sur s

Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire — 1958 (6)

Raymond Queneau Sonnets

Qui cause? qui dose? qui ose?

Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire
Mais non je n’ose pas je ne suis pas osé
Dire n’est pas mon fort et fors que de le dire
Je cacherai toujours ce que je n’oserai

Oser ce n’est pas rien ce n’est pas peu de dire
Mais rien ce n’est pas peu et peu se réduirait
A ce rien si osé que je n’ose produire
Et que ne cacherait un qui le produirait

Mais ce n’est pas tout ça Au boulot si je l’ose
Mais comment oserai-je une si courte pause
Séparant le tercet d’avecque le quatrain

D’ailleurs je dois l’avouer je ne sais pas qui cause
Je ne sais pas qui parle et je ne sais qui ose
A l’infini poème apporter une fin

Q8 – T15

Acriborde acromate et marneuse la vague — 1958 (5)

Raymond Queneau Sonnets

Acriborde acromate et marneuse la vague
au bois des écumés brouillés de mille cleurs
pulsereuse choisit un destin coquillague
sur le sable ou les nrous nretiennent les nracleurs

Si des monstres errants emportés par l’orague
crentaient avec leurs crons le crepâs des sancleurs
alors tant et si bien mult et moult c’est une ague
qui pendrait sa trapouille au cou de l’étrancleur

Où va la miraison qui flottait en bombaste
où va la mifolie au creux des cruses d’asthe
où vont tous les ocieux sur le chemin des mers

on ne sait ce qui court en poignant sur la piste
on ne sait ce qui crie en poussant le tempiste
dans le ciel où l’apur cherche un benith amer
on ne sait pas?

Q8 – T15 + x – 4s: v.15 – 15v

La Nation débordait de cent torrents grossie — 1958 (1)

Henri BassisSonnets pour la République


La Mer

La Nation débordait de cent torrents grossie
Toutes les rues charriaient ce soir d’étranges fleuves
Une coulée d’azur trouant les jours d’épreuves
Comme si l’Avenir faisait une éclaircie

Des hommes avançaient en bleu les mains noircies
Et des femmes portant parfois des robes neuves
Des gavroches sifflaient Paris faisait ses preuves
La République était vivante Dieu merci

Chantant grondant riant oubliant sa fatigue
Tout un peuple océan battait contre ses digues
Moi j’écoutais sans fin ce géant respirer

Je sais qu’un Mai toujours démentira Brumaire
Une vague me prit et j’entrai dans la mer
Où lente mûrissait une énorme marée.

Q15 – T15