Archives de catégorie : Tercets

En ces temps d’amertume et de vague tristesse, — 1840 (12)

Richard de La Hautière Etudes et souvenirs


En ces temps d’amertume et de vague tristesse,
Horizons nébuleux des beaux jours de jeunesse,
Où l’on pleure, où l’on sent son âme défaillir,
Où sans savoir pourquoi l’on espère mourir ;

Heures que l’on dérobe au monde qui vous blesse
Pour gémir à son aise et couvrir sa faiblesse ;
Où l’on voit tout en noir, où l’oeil du souvenir
Dans un sombre passé cherche un sombre avenir ;

Jours d’affreux désespoir, de doute et de colère,
Où l’homme fatigué de l’humaine misère,
Se révolte et maudit la main qui le créa :

Alors ma main tremblante interroge la lyre,
Et mon cœur se dégonfle, et ma douleur expire :
La lyre, en frémissant, murmure : JULIA !

Q1  T15

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble, — 1840 (11)

Léon Magnier Fleurs des champs

Sonnet

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble,
Modestes, aux doux yeux, brûlantes de beauté ;
Qui savent consoler l’homme par leur bonté ;
Si vous les regardez, l’une aux autres ressemble.

Elles apaiseront le criminel qui tremble ;
Oh ! ce sont les présents de la divinité,
L’espérance des cieux, la foi, la charité ;
Que le plus noble but, le bien, toujours rassemble.

Elles sont des vertus les fidèles soutiens,
Respectez-les, amis, adorez-les, chrétiens !
Vous qui les possédez, conservez-les dans l’âme.

Leurs regards sont levés vers la voûte d’azur,
Elles offrent à Dieu une divine flamme :
Donnez-leur ici-bas votre amour le plus pur.

Q15  T14  banv

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir ! — 1840 (10)

Céphas Rossignol Dieu et famille

Sonnet

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir !
Il est si bon de vivre et d’aimer à notre âge :
Et puis, nous avons tant de choses à bénir
Avant que notre vie ait perdu son ombrage !

Loin de vous je ne sais que faire et devenir :
Je vais à droite – à gauche – et n’ai pas de courage ;
Je porte en moi, partout, votre doux souvenir,
Et les heures sans vous me semblent un outrage !

Mais, quand vous m’appelez près de vous, quand vos yeux,
Comme un rayon mouillé qui nous tombe des cieux,
S‘arrêtent, tout d’abord, sur mon front, pour y lire.

Oh ! je me sens renaître alors, et je n’ai plus
Qu’une joie infinie en l’âme, et les Elus
Ont bien moins que mon cœur des cordes à leur lyre !

Q8  T15

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage, — 1840 (9)

Jean-Pierre Veyrat La coupe de l’exil

Sonnet

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage,
S’apaise doucement dans un rêve d’amour ;
Si brisé par les flots je retrouve au rivage
Les biens que j’avais crus échappés sans retour ;

Si comme une hirondelle après un long voyage
L’espérance revient habiter mon séjour ;
Si l’étoile qui brille au-dessus du nuage,
Phare aux divins rayons, à mon ciel luit toujour ;

Je le dois à tes soins, ô fille bien-aimée !
Ma lèvre a bu l’oubli dans ta coupe embaumée,
Et ta voix a charmé la tempête et la mort.

Pour sécher mes cheveux inondés par la lame,
Et rallumer mes yeux à tes baisers de flamme,
Ange consolateur, tu m’attendais au port !

Q8  T15  – pour que le vers 8 rime classiquement, le poète écrit ‘toujour’

Qu’il est saint, qu’il est pur ton beau front sous le voile ! — 1840 (8)

J.L.Tremblai Maladie et guérison

Sonnet à la Vierge Marie

Qu’il est saint, qu’il est pur ton beau front sous le voile !
Sous ses plis longs et blancs que l’on aime à te voir !
Tu parais à nos yeux comme un riant espoir,
Comme l’ardente foi qu’un beau nuage voile !

Ainsi qu’au nautonier qui flotte au loin sans voile ,
Battu par tous les vents sous un horizon noir,
Et lève au ciel ses mains froides de désespoir,
Tu brilles à nos yeux comme une blanche étoile !

Ta bouche vient sourire au cœur souffrant, aigri ;
Aux paroles d’amour dont ta voix sainte abonde,
Le pécheur a pleuré, l’orphelin a souri.

Moi, je souffrais errant, et cherchant en ce monde
A qui dire mes maux et ma peine profonde :
Mes yeux l’on rencontré, et mon cœur a guéri.

Q15  T21

Si j’avais sous la main un jardin de Lenôtre, — 1840 (7)

Victor Hugo Théâtre en liberté (Maglia)

(sonnet)

Si j’avais sous la main un jardin de Lenôtre,
Je vous l’arpentrais du soir jusqu’au matin ;
Si j’avais sous la main un vieux psautier latin,
J’y courrais, comme un loup, dire ma paternôtre ;

Si j’avais sous la main mon épée ou la vôtre,
J’en percerais dix fois ma veste de satin ;
Si j’avais sous la main la maîtresse d’un autre,
Je l’aimerais, pour faire enrager ma catin !

Hier sur ce cheval que tout le monde admire
Polyclète passait, et j’ai vu Lindanire
Le suivre de cet œil qui rêve et qui sourit ;

Depuis ce moment-là, je me creuse la tête.
Le cavalier lui plaît pour avoir l’air très bête,
Et le cheval lui plaît pour être plein d’esprit.

Q17  T15

Le ‘sixième’ sonnet de Hugo, dissimulé dans du théâtre. Il a échappé à beaucoup de commentateurs. La date de composition n’est pas certaine (je suis l’édition de la Pléiade). Hugo méprise souverainement une recommandation expresse de Boileau : les répétitions sont nombreuses.

Ce livre est toute ma jeunesse; — 1840 (6)

Alfred de Musset Poésies complêtes


Au lecteur

Ce livre est toute ma jeunesse;
Je l’ai fait sans presque y songer.
Il y paraît, je le confesse,
Et j’aurais pu le corriger.

Mais quand l’homme change sans cesse,
Au passé pourquoi rien changer?
Va-t-en pauvre oiseau passager;
Que Dieu te mène à ton adresse!

Qui que tu sois, qui me liras,
Lis-en le plus que tu pourras,
Et ne me condamne qu’en somme.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Q9 – T15 – octo

On sonnait un baptème au clocher du hameau, — 1840 (4)

Ferdinand DuguéLes gouttes de rosée


LXII

On sonnait un baptème au clocher du hameau,
La famille accourait à la fête chérie
Et le joyeux cortège à travers la prairie
Cheminait en chantant, car le ciel était beau:

Soudain les bras chargés du précieux fardeau
Le laissent échapper, on s’empresse, on s’écrie,
Mais couché sain et sauf parmi l’herbe fleurie
L’enfant sourit et dort comme dans un berceau.

Alors, en son effroi, la vierge belle et sage
Dont les pudiques mains portaient selon l’usage
Un vase plein de fleurs, d’eau de rose et de nard,

Laissa tous ces parfums ruisseler sur la tête
De l’heureux nouveau-né: c’est ainsi que Ronsard
Avant d’être chrétien fut baptisé poète.

Q15 – T14 – banv

Pétrarque nous a dit l’histoire d’un vieillard — 1840 (3)

– comte Ferdinand de Gramont – Sonnets

XXXII

Pétrarque nous a dit l’histoire d’un vieillard
Qui, de l’Age sentant venir le dernier terme,
Rassembla ses enfants; et là, tranquille et ferme,
Des biens et des conseils fit à chacun sa part;

Puis il leur dit adieu, prend son bâton, et part.
De la douce famille et de l’antique ferme
Il s’éloigne, et son coeur dans son désir s’enferme;
Il se hâte, craignant qu’il ne soit déjà tard.

Quand le blanc pèlerin fut à Rome la Sainte,
Il mourut, en voyant l’image de Celui
Qu’il allait retrouver dans la céleste enceinte;

O poésie! Ainsi, repoussant toute plainte,
Je m’achemine au but d’où ton éclair m’a lui;
Que la Mort jusque là suspende son atteinte!

Q15 – T17