Archives de catégorie : Tercets

Or, le grand Hu-Gadarn, fils de Math, va mourir — 1996 (4)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française

La mort de Hu-Gadarn

Or, le grand Hu-Gadarn, fils de Math, va mourir
L’Invaincu, qui régnait sur trente nations,
A été pris dans son sommeil par trahison.
Au noir poteau lié, il attend sans faiblir.

Ceux qui jadis étaient ses sujets sont tous là:
Uggdrasill le cruel, Gundruna aux yeux clairs,
Murdoch, la Call-Bibi, et Dylan, et Ymer,
Les enfants de Gwiddonn et ceux d’Uheldida.

Tel, autour d’un lion déchiré et sanglant,
Un cercle de chakals se resserre, jappant,
Et vers la proie offerte ils avancent sans hâte.

Le bourreau attentif a levé son penn-baz
Aux pommeau incrusté de fines chrysoprases,
Et la tête dessine une courbe écarlate.
(Leconte de Lisle)

Q63 – T15

A bas bruit la très discrète — 1996 (3)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française

A bas bruit

A bas bruit la très discrète
mais tenace ronge-temps
verse son sablier lent
au plus creux de tes retraites

De tes pieds jusqu’à la tête
elle mène posément
aux rouges routes du sang
sa fine marche muette.

Elle te va concéder
l’odeur des nèfles mouillés
les soleils et leurs fracas

Et la lourde Automne rousse
jusqu’à l’heure où sa main douce
tranquille t’effacera

(Jacques Roubaud)

Q15 – T15 – 7s

Sous la planche de fer ses jambes semblent moudre — 1995 (10)

Pierre Louÿs Ces fleurs secrètes


Couturière

Sous la planche de fer ses jambes semblent moudre
Elles se croisent, vint, viennent, en haut,en bas,
Et scandent pied à pied, d’un geste faible et las,
Le mouvement rythmé de la machine à coudre.

Mes les cuisses à nu se frôlent hardiment,
Le clitoris s’éveille et s’excite et raidit
C’est encore le désir de baiser qui grandit
La rage d’être jeune et chaude et sans amant.

O joie !  au fottement la vulve s’exaspère :
La masturbation clandestine s’opère ;
Dans l’atelier causeur personne n’en sait rien.

Et l’étau convulsif des cuisses opprimées
Fait jaillir au hasard dans les jupes fermées
Le pâle écoulement du flôt vénérien.

Q63  T15

Je suis tel riche auquel sa clé bénie — 1995 (9)

Daniel & Geneviève Bournet Sonnets de Shakespeare

Sonnet 52

Je suis tel riche auquel sa clé bénie
Ouvre son doux trésor cadenassé,
Qu’à tout moment il ne faut qu’il épie
Pour émousser l’aigu de volupté.

Fêtes sont donc solennelles et rares,
Disséminées en la longueur de l’an,
Comme pierres de prix maigrement parent,
Ou les maîtres joyaux dans leur carcan.

Le temps vous serre ainsi comme ma caisse,
Ou garde-robe où robe est au secret,
Pour faire instant spécial spéciale liesse,

Déployant neuf son orgueil prisonnier.
Bienheureux vous, dont dignité dispense,
Présent, triomphe, ou, absent, espérance.

Q60  T23 – disp quarto sh52  – déca

Ce poème s’écrit sous l’oeil d’un charpentier — 1995 (1)

Jacques Réda L’incorruptible

Le charpentier

Ce poème s’écrit sous l’oeil d’un charpentier
Qui s’active au sommet de la maison voisine
Avec des bruits de clous, de brosse et de mortier.
Peut-être me voit-il, et la petite usine

Que font ma cigarette, un crayon, la moitié
D’une feuille où ma main hésitante dessine,
Comme un échantillon d’un étrange métier
Qu’on exerce immobile au fond de sa cuisine;

A chacun son domaine. Il faut dire pourtant
Que, du sien, mon travail n’est pas aussi distant
Qu’il peut le croire: lui, répare une toiture

Tuile à tuile, et moi mot à mot je me bâtis
Une de ces maisons légères d’écriture
Et je sors volontiers, laissant là mes outils,
Pour aller respirer un peu dans la nature.

Q59 – T14 + d – 15v

Le sonnet vient de loin dans sa forme concise — 1993 (15)

André VelterDu Gange à Zanzibar

Remember Henry J-M Levet

Le sonnet vient de loin dans sa forme concise
Qui garde cependant avec l’alexandrin
Une haute rumeur serrée dans un écrin
Comme en un coquillage la houle très précise.

On glissait sur la paume d’une belle princesse
Un doux billet de feu et de désir ardent:
Deux quatrains deux tercets passaient bien sous le gant
Avant de mettre au coeur la langueur qui oppresse.

Mais les jeux de l’amour ont changé de tempo,
Le sonnet ne vaut plus un coup de téléphone
Pour emballer presto une jeune personne …

Le salut a surgi d’un usage nouveau
Qui veut depuis Levet qu’un poète aux escales
Entasse quatorze vers sur des cartes postales.

Q63 – T30 – s sur s

si je suis mort et cet état naissant — 1993 (13)

William CliffAutobiographie

97

si je suis mort et cet état naissant
parle aux vivants et de mort et d’extrême
les plus sérieux me semblent les enfants
qui ne savent pas qu’ils le sont eux-mêmes


et eux me réparant des vrais sérieux
qui le sachant ne savent rien  de l’être
savent pourtant le sérieux être en eux
s’ils savent rire et angoisse connaître


c’est d’extrême et de folle tragédie
que ces enfants ont besoin pour jouer
et les craignant l’homme se congédie


dans sa prison
manger l’obscurité
où de sa vide volonté il gère
son  » administration pénitentiaire « 

Q59 – T23 – déca

je m’excuse beaucoup d’écrire ces sonnets — 1993 (12)

William CliffAutobiographie

75

je m’excuse beaucoup d’écrire ces sonnets
sans rimes richissimes car les riches rimes
conduisent à donner beaucoup de coups de lime
lesquels font le sonnet sonner comme un poney

chargé d’idiots grelots dont on ne reconnaît
que trop qu’ils ont cent fois passé dans la machine
je m’excuse d’écrire ces sonnets l’abîme
au-dessus duquel j’étais suspendu
tonnait

comme le ventre d’un tambour et donc pour rompre
l’assourdissement de ce ventre rempli d ‘ombre
je décidai d’aller en suivant pas à pas

la danse propre à cette forme assez ancienne
afin peut-être qu’un peu de soleil me vienne
éclairer la mouvance où s’emmêlait mon pas

Q15 – T15 –   s sur s

sans cesse je rêvais d’avoir des rapports sexuels — 1993 (11)

William CliffAutobiographie

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sans cesse je rêvais d’avoir des rapports sexuels
avec des mineurs d’âge nus en été sur des plages
ou bien dans ces forêts remplies de poisons naturels
dont en moi je garde toujours la nostalgique image

et plus je me sentais coupable d’avoir ces pensées
et plus ces pensées m’attiraient et plus je me croyais
le seul à les avoir ainsi j’eus l’idée insensée
d’être un monstre tel que que le monde n’en a jamais fait

au lieu d’étudier je traçais des dessins me montrant
un beau garçon en caleçon à l’avant d’une barque
et qui regarde vers le large et sans qu’il le remarque

fait voir dans son intimité les charmes obsédants
et aujourd’hui malgré tant de corps que j’ai pu étreindre
je rêve encor du corps dont j’ai jadis tracé l’empreinte

Q59 – T30 – 14s

un jour j’eus la révélation de la littérature — 1993 (10)

William CliffAutobiographie

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un jour j’eus la révélation de la littérature
dans le récit que fait Chateaubriand de son enfance
de la terreur qu’il eut devant son père et de sa dure
condition d’enfant à Combourg dont la sinistre ambiance

le soir avec ce père qui n’arrêtait pas de faire
armé d’un bonnet dressé sur sa tête les cent pas
me rappelait celle qui aussi me terrorisa
dans mon enfance avec un père aussi autoritaire

j’appris par ce récit n’être plus tout seul à souffrir
ce fut comme un voile levé sur mon âme sauvage
écrire alors devint pour moi le geste qui relie

tous ceux qui ont senti au fond d’eux-mêmes ces messages
graves que le monde méprise et tourne en dérision
mais dont par la littérature on a la révélation

Q60 – T23 – 14s