Archives de catégorie : Tercets

Je descend les degrés de siècles et de sable — 1928 (1)

Catherine PozziOeuvres poétiques

Maya

Je descend les degrés de siècles et de sable
Qui retournent à vous l’instant désespéré
Terre des temples d’or, j’entre dans votre fable
Atlantique adoré.

D’un corps qui ne m’est plus que fuie enfin la flamme
L’Ame est un nom détesté du destin –
Que s’arrête le temps, que s’affaisse la trame,
Je reviens sur mes pas vers l’abîme enfantin.

Les oiseaux sur le vent de l’ouest marin s’engagent,
Il faut voler, bonheur, à l’ancien été
Tout endormi profond où cesse le rivage

Rochers, le chant, le roi, l’arbre longtemps bercé,
Astres longtemps liés à mon premier visage
Singulier soleil de calme couronné.

Q59 – T20 – 2m :6s: v.4 v6 : 10s – Le dernier vers est typographiquement isolé

Cypris ne chante plus sur les ondes … — 1927 (6)

Laurent Tailhade & Maurice du Plessys in Mme Laurent Tailhade : laurent Tailhade au pays du mufle

Oméga blasphématoire
A bord de l’Aleimadeul.

Cypris ne chante plus sur les ondes …
A l’arbre de la Croix pendent les Dieux Latins
Car l’Oingt est advenu … les roses,
Pourpre hostiale dans la rousseur des matins.

Profusant l’Hystérie exsangue, les Nécroses
Et, sous un voile impur, tels rites clandestins,
Abimélech avec Melchissedech ! Les proses
Vont clangorer, ce soir, par les naos éteints.

Le sauroctone sous les mythes de la Grèce !
Eslabroli ! Matins de joie et d’allégresse
Où la Taure enfantait au contact d’Osiris !

Ah ! si tu veux la nuit douce, rends les Etoiles !
Moi je vais sur la mer, en des canots sans voiles,
Goûter l’iode brun interdit aux iris.

Qu. exc.   T15 « … un de ces divertissement poétiques, … en pastiche d’Arthur Rimbaud »

J’ai compris ce billet, je connais l’écriture. — 1927 (5)

P. D’Aniell Solange

Chérubin

J’ai compris ce billet, je connais l’écriture.
L’homme, presque un enfant, est aussi blond que toi.
Il est beau, mais naïf, puisqu’il offre sa foi.
Ne désespère pas sa timide nature.

Tu te refuserais à Chérubin ? … Pourquoi ?
Tu crains ma jalousie. En sens-tu la morsure ?
Puis-je abolir l’amour, cette tendre imposture
Qui rive deux amants et dévore la loi ?

Non ! je veux par vos chairs, aux ivresses conquises
Animer d’impudeur des étreintes exquises,
Te rendre sous son corps les nuits où tu vibras,

Confondre nos baisers sur ta lèvre encor pleine
Du spasme adolescent  de sa mourante haleine…
Te prendre, ivre de lui, pâmée, entre mes bras.

Q16  T15

Logos, éons et séfirots; — 1927 (4)

Charles-Adolphe Cantacuzène Identités versicolores

Sonnet
à J.B

Logos, éons et séfirots;
Alexandrins, Gnose et Cabale;
Triangles et pouvoirs des mots;
Souffle d’évocation pâle.

L’Ether d’éternité, les flots,
Le feu, la terre sidérale;
Et vous, reflets dans les cristaux,
Lumière, immortalité mâle.

Tout cela nous n’en parlions pas
Du temps que nous croisions nos pas,
Chez toi, cher, ou dans les ruelles.

Et cependant le Pimander,
La Baghavat-Gita, Dieu! Quelles
Perles sur le Boulevard Vert.

Q8 – T14 – octo

Jeune apprenti, parfois d’un geste négligent, — 1927 (2)

Roger Vitrac Cruautés de la nuit

Jeune apprenti ….
A Henri de Régnier

Jeune apprenti, parfois d’un geste négligent,
Je délaisse l’argile et le tour, et je rêve
De ciseler dans l’or un Bacchus qui soulève
Sur ses bras incurvés une coupe d’argent.

Mon vieux maître qui sait fuseler une amphore
Et sur la glaise rouge animer les dieux noirs
Devine et, souriant à mes faibles espoirs,
Caresse de la main le vase qu’il décore.

Il sait que je m’adosse aux arbres du hallier
Et que ma flûte est douce aux faunes de Sicile.
Aussi m’a-t-il promis son rustique atelier.

… Et je n’assouplirai sous mon doigt malhabile
Lorsque la terre fine aura détruit ses os
Qu’un frêle vase orné d’acanthes et d’oiseaux.

Q63 – T23

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table, — 1927 (1)

J.P. Samson Emploi du temps

Bacchante
sonnet dans le goût de Laurent Tailhade

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table,
Elle a, sous le chaud d’une plume à trois francs,
L’œil en éclipse et le sourire contestable
D’une qu’un trop long jeûne expose au mal d’enfants.

Plus votive que, peint sur quelque vieux rétable,
Un évêque, le jus du ciboire extirpant,
Elle sirote, aux frais de son mec lamentable,
Du cidre sans alcool le jus déconstipant.

Le restaurant végétarien résonne aux cris
De sa gorge que racle un ressaut de prurit
Guère orgiaque, hélas! … c’est la bombe pas chère;

Et lorsqu’on bouclera le sinistre local,
Ils éliront, debout aux échos d’un choral
Salutiste, pour ça, une porte cochère.

Q8 – T15

A la poste d’hier tu télégraphieras — 1926 (4)

Robert DesnosC’est les bottes de 7 lieues cette phrase ‘Je me vois’


Les gorges froides
A Simone

A la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.

La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles!

C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.

Adieu! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.

Q8 – T15

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales, — 1926 (1)

Emile CottinetBallades contre et sonnets pour

Les ruines (Assyrie, Perse, Egypte)

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales,
Vos palais où trônaient Sarçon, Sardanapale, Assur,
Où les soldats tombaient comme des épis de blé mûr,
Ninive, Baghdad, ô cités vaines et vassales!

Des archers défilaient, vêtus d’émail bleu, sur les purs
De Suze et de Persépolis, les jumelles royales,
Et l’Egypte dressait, dans le sable aux profondeurs pâles,
Son sphinx immarescible aux yeux noyés d’ombre et d’azur.

Passé, désert de cendre où des mirages formidables
Appellent notre rêve, ô Passé, pour tes yeux de fables,
Chemin mystérieux jalonné de tombeaux sans fin,

Tes colosses de pierre ou de métal, forces obscures,
Gisent anéantis parmi tes attributs divins.
Kronos a passé là – Dieu sourd qui détruit et qui dure.

Q16 – T14 – 14s