Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sur la mer, — 1889 (25)

Verlaine Dédicaces

A Villiers de l’Isle-Adam

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sur la mer,
Derrière un rideau lourd de pourpres léthargiques,
Las d’avoir splendi seul sur les ombres tragiques
De la terre sans verbe et de l’aveugle éther.

Tu pars, âme chrétienne, on m’a dit résignée,
Parce que tu savais que ton Dieu préparait
Une fête enfin claire à ton cœur sans secret,
Une amour toute flamme à ton amour ignée.

Nous restons pour encore un peu de temps ici,
Conservant ta mémoire en notre espoir transi,
Tels des mourants savourent l’huile du Saint-Chrème.

Villiers, sois envié comme il aurait fallu
Par tes frères impatients -du jour suprême
Où saluer en toi la gloire d’un élu.

Q63  T14

COMME Proserpine avant sa destresse, — 1889 (20)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

La Nismoise
sonnet deduict selonc le goust des vieulx françois, A Mme A. B,

COMME Proserpine avant sa destresse,
Comme Hebê, la gente aux yeux de velours,
Comme Amphitrite en ses glauques atours,
Comme l’Astartê, tant chière traistresse ;

Comme ung doulx perfum fleurant la tendresse,
Comme ung oyselet au tems des amours,
Comme ung guay soleil dorant les beaux jours,
Comme ung pur zephir, comme une caresse :

Par ainsy vrayment, reluysant dans l’air,
Engeole et seduict vostre soubris cler ;
Dessoubs le visaige on void briller l’ame.

Pour lors, ie me sens tout regoillardi.
Comme ung chat frileulx ronronne à la flamme,
Chaufant ma Bretaigne à vostre Midy.

Q15  T14 – banv –   déca  encore un essai terrifiant de pseudo vieux-français

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet. — 1889 (18)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

– Bernard d’Erm

Un sonnet

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet.
Rimer quatorze vers! Conçois-tu bien ma peine?
Me voilà du travail au moins pour la semaine.
En y songeant, déjà je me sens frissonner.

Du courage! Cherchons! Pourrai-je moissonner
Quelques mots pas trop creux, quelque parole saine?
Je veux aller au bout… Non! mon ardeur est vaine
Et Pégase a tôt fait de me désarçonner.

La chute était prévue et n’a rien qui m’étonne :
Rimer n’est pas mon fait; je rampe, je tâtonne,
Et pourtant je me mets la cervelle à l’envers.

Mais je ne puis finir, si les rimes fidèles
N’accourent avec toi pour terminer mon vers.
Oh! viens à mon secours, muse des Asphodèles

Q15  T14 – banv –  s sur s

Un trouvère ignoré fit le premier sonnet — 1889 (14)

Emile Bergerat La Lyre comique

Le sonnet du sonnet
A José-Maria de Hérédia

Un trouvère ignoré fit le premier sonnet
Vers le treizième siècle, à Palerme, en Sicile.
Sur les seins d’une dame, un thème difficile,
Il essayait une ode et s’y désarçonnait.

D’Orient, où tout rythme et toute chanson nait,
Survinrent deux ramiers las et sans domicile.
La belle, hospitalière à leur couple docile,
Les logea dans le nid au double coussinet.

Le poète accordait par des strophes jumelles
Les rumeurs des oiseaux aux soupirs de mamelles,
Telles que le poème en ses quatrains les a.

Le soir vint. Oppressés par l’amoureuse escrime,
Un pigeon s’assoupit, un téton s’apaisa,
Et le doux quatuor s’achève en tierce rime.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Oh ! ne transigez pas, ayez de la rascasse, — 1889 (13)

Emile Bergerat La Lyre comique

La bouillabaisse

Oh ! ne transigez pas, ayez de la rascasse,
Du merlan, du saint-pierre et du rouget, assez
Pour un jeune requin. Parmi les crustacés,
Préférez la langouste à petite carcasse.

L’anguille ? … l’oublier serait un trait cocasse !
La sardine s’impose aux mollusque tassés ;
La cigale de mer poivre ces testacés
D’un arome enragé de poivre madécasse.

Or, sans ail, thym, fenouil, quatre épices, lauriers,
Oignons et céleris, jamais vous ne l’auriez !
Un zeste de citron délicat l’enjolive.

Quant au safran, maudit qui le dose ! … Raca
Sur l’huile qui n’est pas honnêtement d’olive !
Et quand on l’a mangée, on peut faire caca !

Q15  T14 – banv
RACA, mot inv.Vieilli – 2. Empl. interj. avec une valeur de commentaire affectif. [S’emploie pour manifester un profond dégoût, un grand mépris à propos de qqc.] Le droit, l’humanité, la justice… Raca! (PONCHON, la Muse au cabaret, 1920, p. 229).
TESTACÉ, -ÉE, adj. – 1. Qui est revêtu, couvert, muni d’un test (coque, coquille, carapace). Le foie est (…) très-volumineux dans les gastéropodes testacés, et y remplit (…) la plus grande partie des circonvolutions de la coquille (CUVIER, Anat. comp., t. 4, 1805, p. 151). Animaux ovipares et testacés, sans tête et sans yeux, ayant un manteau qui tapisse l’intérieur de la coquille (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 314).

Les chiens perdus ont des fourrières ; — 1889 (12)

– Jules Jouy in Le Paris (d’après Patrick Biau, J.J. le ‘poète chourineur’)

Philosophe

Les chiens perdus ont des fourrières ;
Les cygn’ des boit’s sur leurs bassins ;
Les rodeurs de nuit, des carrières,
L’bagn’ sert d’hôtel aux assassins.

La nuit, au poste, les roussins
Ont d’quoi s’coucher sur leurs derrières ;
Les architect’s, pour un tas d’saints,
Ont creusé des nich’s, dans des pierres.

Eh bien, moi, pauvr’ vieux ouvrier,
Parc’ qu’on n’veut plus m’faire travailler,
J’peux mêm’ pas ronfler comm’ Gavroche !

Bah ! j’m’en fich’ d’avoir pas d’foyer ;
Car, si j’ai pas l’sou dans ma poche,
Au moins j’ai pas d’terme à payer.

Q11  T14 – octo Les vers sont comptés ‘oralement’ ce qui fait ‘peuple’. Mais Mr Jouy ne se permet pas de rimer un singulier avec un pluriel, ce qui est bien savant.

Un très vieux temple antique s’écroulant — 1889 (6)

Paul Verlaine –  Parallèlement

Allégorie

Un très vieux temple antique s’écroulant
Sur le sommet indécis d’un mont jaune,
Ainsi que roi déchu pleurant son trône,
Se mire, pâle, au tain d’un fleuve lent.

Grâce endormie et regard somnolent,
Une naïade âgée, auprès d’un aulne,
Avec un brin de saule agace un faune
Qui lui sourit, bucolique et galant.

Sujet naïf et fade qui m’attristes,
Dis, quel poète entre tous les artistes,
Quel ouvrier morose t’opéra,

Tapisserie usée et surannée,
Banale comme un décor d’opéra,
Factice, hélas! comme ma destinée?

Q15 – T14 – banv –  déca

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre — 1889 (2)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

Remède

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre
Qui nous ronge le coeur, ainsi qu’un vieux remord?
Pouvons nous étouffer le doute qui nous mord,
Quand nous avons tout lu: la Nature et le Livre?

Pouvons-nous assurer le fier combat que livre,
En nous l’espoir vivace à la peur de la Mort?
Pouvons-nous espérer, vils esclaves du Sort,
Une autre liberté qu’un trépas qui délivre?

Pouvons-nous demander à l’exil un séjour
Où l’on oublie, au soir, les fatigues du jour?
Non, si notre esprit faible est ivre de matière;

Oui, si l’amour du Beau nous est toujours plus cher,
Si nous lui consacrons notre existence entière,
Oui, si l’extase nous affranchit de la chair.

Q15 – T14 – banv

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore, — 1889 (1)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

A Stéphane Mallarmé, au poète de l’azur et des fleurs, ce livre est dédié.
Le poème’, publication mensuelle – Cette publication a pour objet de donner chaque mois un poème inédit. Son but n’est pas de plaire au plus grand nombre, mais de satisfaire aux exigences littéraires d’une élite.
Je tente une épreuve difficile; j’entreprends une lourde tâche, lourde surtout parce qu’il me faut porter le poids d’un orgueil obligatoire. Au milieu du fracas de la mêlée humaine où tous les égoïsmes se confondent en un heurt furieux de combat, soldat dédaigneux de ma faiblesse et fort de mon courage, j’embouche la trompette à sonner l’idéal. S’il est des échos qu’ils en vibrent; s’il est des voix amies, qu’elles répondent.
Exilés, nous parlerons de la patrie absente; en des chants de gloire ou de tristesse, nous attesterons de la vitalité de nos âmes; et, guidés par nos aspirations divines, nous goûterons l’immense joie de marcher vers la réalisation de nous-mêmes.

25 mars 1889.
tirage à 500 exemplaires; n° 308

Suggestion

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore,
A la rose sanglante, au lys immaculé,
Que j’irai demander le symbole voilé
Qui, dans l’esprit voyant, te ferait vivre encore.

Je n’obtiendrais ainsi qu’un reflet incolore,
Auprès du clair soleil que tu m’as révélé.
Non, pour dire ta voix dont l’accent m’a troublé,
Je ne parlerai pas d’un chant doux et sonore;

Mais je rappellerai comment, devant la mer,
Devant la nuit sublime, après le jour amer,
Et devant toi, mon coeur goûta la même extase.

Alors, on te verra dans le sentiment pur,
Dans la Forme soustraite au Réel qui l’écrase,
Plus loin que le regard et plus haut que l’azur.

Q15 – T14 – banv

Tes doigts sont merveilleux ! leur moindre mouvement — 1888 (35)

?

Le décadent

Indue mutation

Tes doigts sont merveilleux ! leur moindre mouvement
Fait sourdre sur ma peau des sons comme des sources.
Toute part de mon être imite un instrument :
Viole ou musette un peu charmeuse des Ourses.

Les boules d’or de mes bras bruns ont l’agrément
Des piastres sonnant clair dans les mailles des bourses
Et même je détiens, quelque part, les ressources
De la flute où s’abouche un rêve, goulument.

Le clavier de mes dents sait l’air qu’on se recorde
Et mon ventre en façons de lyre tétracorde
S’enfle et s’abaisse avec des bruits délicieux.

Parfois en éructant le gravier roux des tombes
Quand l’aube rose étend son linge pâle aux cieux
Je claironne, effarant l’essaim fin des colombes
(Arthur Rimbaud (sic))

Q9  T14