Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Trêve — 1887 (15)

Georges Proteau Les cent sonnets d’un fumiste

L’AMIE NOYÉE
Echantillon de style nègre à l’usage des poètes décadents

Trêve
Au
Beau
Rêve.

L’eau
Crève
Peau
D’Eve.

Pleurs,
Fleurs,
Piste.

Port
Triste
Mort.

« L’amant se désole sur la mort de sa maîtresse. Tout d’abord il avait cru à l’abandon mais des fleurs qu’il connait bien le mettent sur la piste. Arrivé sur le port il trouve le cadavre de son amie gonflé par l’eau. Alors, fou de douleur, il déplore le trépas qui déforme aussi prosaïque-ment le beau corps de l’adorée.
N. B.—Ces quelques mots d’explication’étaient pas superflus pourla compréhension de ce vilain charabia. »

Q17  T14  sns mono

Au temps du gazouillis des feuilles, en avril, — 1887 (9)

Stuart Merrill Les gammes

La flûte
A Stéphane Mallarmé

Au temps du gazouillis des feuilles, en avril,
La voix du divin Pan s’avive de folie,
Et son souffle qui siffle en la flûte polie
Eveille les désirs du renouveau viril.

Comme un appel strident de naïade en péril
L’hymne vibre en le vert de la forêt pâlie
D’où répond, note à note, écho qui se délie,
L’ironique pipeau d’un sylvain puéril.

Le fol effroi des vents avec des frous-frous frêles
Se propage en remous criblés de rayons grêles
Du smaragdin de l’herbe au plus glauque des bois!

Et de tes trous, Syrinx, jaillissent les surprises
Du grave et de l’aigu, du fifre et du hautbois,
Et le rire et le rire et le rire des brises.

Q15 – T14 – banv

L’oeil était dans le vase. Un caprice d’artiste — 1887 (7)

Le Chat Noir,

Armand Masson

L’oeil

L’oeil était dans le vase. Un caprice d’artiste
L’avait agrémenté d’un sourcil violet
Et sa prunelle peinte en rouge vif semblait
Vous regarder d’un air ineffablement triste.

C’est à la Foire au Pain d’épice qu’un beau soir
Nous gagnâmes ce vase au tourniquet. Fifine
Affirma qu’il était en porcelaine fine,
Et voulut l’étrenner tout de suite, pour voir.

Mais il était si neuf, le soir, à la lumière,
Qu’elle n’osa ternir sa pureté première,
Et le remit en place avec recueillement.

Elle fut très longtemps à s’y faire. C’est bête:
Cet oeil qui la fixait inexorablement
Semblait l’intimider de son regard honnête.

Q63 – T14

Le sonnet, Poésie, est ton char radieux — 1887 (5)

Antoine de Bengy-PuyvalléeLes Gerfauts

Le char du sonnet

Le sonnet, Poésie, est ton char radieux
Par quatorze coursiers entraîné dans la nue,
Dans leur vol écrasant la topaze inconnue
Dont la poudre en nuée enveloppe les cieux.

Sur les chevaux de feu, les rimes dans les cieux
Se renvoient les échos de leur hymne ingénue;
La colombe d’amour à ces chants est venue
Se griser de rayons, de parfums précieux.

Lorsque la Nuit étoile au ciel sa robe noire,
En marche de triomphe, il glisse sur la moire
Que le coeur sait broder dans un rêve à vingt ans.

Sous la roue irrisée éclosent les fleurettes,
Chaque pétale ailé, vers l’éternel printemps
S’envole et va fleurir les âmes de poëtes.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Un coquin de parfum gagne de proche en proche, — 1887 (4)

Raoul Ponchon La muse vagabonde

Sonnet du gigot

Un coquin de parfum gagne de proche en proche,
Un parfum à la fois subtil et nourrissant
Et tel que si j’en crois mon odorat puissant,
C’est un gigot à l’ail qui ronronne à la broche.

Comme il est cuit à point, vite qu’on le décroche;
Je n’ai jamais rien vu de plus attendrissant;
Pour ne pas être ému devant ses pleurs de sang
Il faudrait, sur mon âme, avoir un coeur de roche.

Dites-donc à du veau qu’il vous en pleure autant,
Madame, tra la la! Mais sans perdre un instant
Si nous en effeuillions quelques légers pétales;

Car ta chair n’est que rose et que coquelicots,
O suave bouquet de viande qui t’étales
Sur ton lit préféré d’onctueux haricots!

Q15 – T14 – banv

O bien-aimé mollusque vert! — 1887 (3)

Tancrède MartelLes poèmes à tous crins

Le sonnet de l’huître

O bien-aimé mollusque vert!
Sais-tu bien que notre existence,
Sans toi, perdrait en importance?
Quel Lucullus t’a découvert!

Toi seul eusses charmé Javert,
Ce modèle de tempérance;
Chrémès, qui posa pour Térence,
Te chérissait, dit-on, l’hiver.

Phoebus s’intéresse à ta race
Depuis que le compère Horace
A fait le tour du lac Lucrin;

Et ta chair est si délectable,
Que ton écaille est un écrin,
O perle fine de la table!

Q15 – T14 – banv – octo

Du ciel tendre où court la nue indécise, — 1886 (26)

Albert Pinard Sonnets, ghazels, …

Louise

Du ciel tendre où court la nue indécise,
Des bois assoupis dans leur profondeur,
De l’eau murmurante et du sein des fleurs,
Nous voulons tirer, quintessence exquise,

Harmonie auguste, une voix qui dise :
« Fleurs qui frémissez aux vents maraudeurs,
Rayons, ruisseaux, charme épars des odeurs,
Formez un concert pour fêter Louise.

Composez sa vie uniment d’étés,
Versez vos fraîcheurs & vos puretés,
Etendez sur elle une ombre propice . »

Mystère des nuits, vérité du jour,
Nous vous invoquons, sûrs de votre hospice :
La nature entend les cœurs sans détour.

Q15  T14  – banv – tara  bi

Absinthe, je t’adore, certes ! 1886 (21)

Raoul Ponchon in Le courrier français

L’absinthe

Absinthe, je t’adore, certes !
Il me semble, quand je te bois,
Humer l’âme des jeunes bois,
Pendant la belles saison verte !

Ton frais parfum me déconcerte,
Et dans ton opale je vois
Des cieux habités autrefois,
Comme par une porte ouverte.

Qu’importe, ô recours des maudits !
Que tu sois un vain paradis,
Si tu contentes mon envie ;

Et si, devant que j’entre au port,
Tu me fais supporter la vie,
En m’habituant à la mort.

Q15  T14  – banv – octo

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres! — 1886 (17)

Le Scapin

René Ghil

Sonnet

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres!
Désuétude d’un grand heurt de primes cieux
Une aurore perdant le sens des chants hymnaires
Attire en souriant la vanité des Yeux.

Ah! l’éparre profond d’ors extraordinaires
S’est apaisé léger en ondoiements soyeux
Et ton vain charme humain dit que tu dégénères!
Antiquité du sein où s’épure le mieux.

Et par le Voile aux plis trop onduleux ces Femmes
Amoureuses du seul semblant d’épithalames
Vont irradier loin d’un soleil tentateur:

Pour n’avoir pas songé vers de hauts soirs de glaives
Que de leur flanc pouvait naître le Rédempteur
Qui doit sortir des Temps inconnus de nos Rêves.

Q8 – T14