Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Vous cachez vos cheveux, la toison impudique, — 1886 (10)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)

Musulmanes
A Camille de Sainte-Croix

Vous cachez vos cheveux, la toison impudique,
Vous cachez vos sourcils, ces moustaches des yeux,
Et vous cachez vos yeux, ces globes soucieux,
Miroirs pleins d’ombre où reste une image sadique;

L’oreille ourlée ainsi qu’un gouffre, la mimique,
Des lèvres, leur blessure écarlate, les creux
De la joue, et la langue au bout rose et joyeux,
Vous les cachez, et vous cachez le nez unique!

Votre voile vous garde ainsi qu’une maison
Et la maison vous garde ainsi qu’une prison;
Je vous comprends: l’Amour aime une immense scène.

Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux:
Complètement pudique, absolument obscène,
Des racines des pieds aux pointes des cheveux.

Sonnets du Liban

Q15 – T14 – banv

En vain j’ai cru, dans un sonnet, — 1886 (8)

Monnier de la Motte Du printemps à l’automne

Sonnet. …. C’est un sonnet

En vain j’ai cru, dans un sonnet,
T’offrir mes vœux de bonne année:
Contre un tel effort mutinée,
Ma plume s’y refuse net.

N’étais-je pas un grand benêt
De l’avoir ainsi condamnée,
– Cette pauvrette surmenée –
Au plus dur travail qu’on connaît?

Sans forcer notre esprit rebelle,
Ces souhaits, chose naturelle,
Offrons-les naturellement.

Que ta vie, heureuse et tranquille …
Mais j’achève un sonnet! Comment!
Ce n’était donc pas difficile?

Q15 – T14 – banv – octo – s sur s

Comme un enfant jaloux de sa maîtresse chère, — 1886 (2)

Jacques Villebrune Sonnets mystiques

L’amoureux de la mer

Comme un enfant jaloux de sa maîtresse chère,
J’accompagne la mer au caprice incertain:
J’aime à voir sa pâleur dans l’air frais du matin,
En de brumeux tissus de mousseline claire.

Et noyée à midi dans la vague chimère,
Sous l’azur qui lui fait le plus charmant destin,
Elle rêve assoupie en son lit de satin,
Regardant mollement l’horizon éphémère.

Je l’admire, aux clartés tombant du soir astral,
En danseuse fantasque inaugurant un bal,
Où bondissent en chœur ses phosphoriques ondes;

Et quand elle s’endort sous un pâle rayon,
J’aime écouter encor au sein des nuits profondes
Sa tranquille et superbe respiration.

Q15 – T14 – banv  -césure italienne au vers 14 – Villebrune, avec plus de 800 sonnets, semble être le recordman du 19ème siècle, dépassant Ronsard, sans toutefois égaler Jacques Poille (début du 17ème siècle) qui en fit plus de 900. (Les sonnetistes frnçais sont loin d’approcher les performances des Italiens, dont la production a plusieurs fois dépassé les millier (Le Tasse, par exemple).

Ô si chère de loin et proche et blanche, si — 1886 (1)

–  Mallarmé manuscrit

Sonnet
pour elle

Ô si chère de loin et proche et blanche, si
Délicieusement toi, Méry, que je songe
A quelque baume rare émané par mensonge
Sur aucun bouquetier de cristal obscurci

Le sais-tu, oui! pour moi voici des ans, voici
Toujours que ton sourire éblouissant prolonge
La même rose avec son bel été qui plonge
Sans autrefois et puis dans le futur aussi.

Mon cœur qui dans les nuits parfois cherche à s’entendre
Ou de quel dernier mot t’appeler le plus tendre
S’exalte en celui rien que chuchoté de Sœur –

N’était, très grand trésor et tête si petite
Que tu m’enseignes bien toute une autre douceur
Tout bas par le baiser seul dans tes cheveux dite.

Q15 – T14 – banv

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial — 1885 (14)

René Ghil in Revue Wagnérienne

Hymen – la musique

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial
T’étonneras de Toi, ne parle pas : mon geste
N’est pas d’amour et, vois, ô Drame ! que proteste
L’assentiment de mon vouloir impartial.

Mon Grand Rêve à mi-voix montait en l’air astral
Voilé par le midi de ma déserte sieste,
Quand il vint, ce Wagner ! qui ne veut pas que reste
Au vide isolement mon souhait théâtral.

Hélas ! et ma verdeur te doit rendre, ô vieux Drame !
Ta virilité sûre un soir d’épithalame :
Lui, c’est l’homme, sois tout le Combat ! et pourtant,

Souviens-Toi que mes seins sont de vierge égoïste,
O Sacre ! et qu’en les Yeux du Mage inquiétant
Je ne sais quel vœu vague et mortuaire existe – »

Q15  T14 – banv

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables, — 1885 (8)

Rodolphe DarzensLa nuit

L’incomparable

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables,
Et pour dire en mes vers dociles ta Beauté
J’ai vainement cherché des mots, de tout côté,
Qui pussent exprimer tes formes adorables.

Car  » le vermeil éclat de la fleur des érables »
N’est pas ta lèvre, où rit ta rouge cruauté;
Et,  » neige, marbre, lis  » candides, Royauté
Triple de la blancheur, paraissent misérables

Auprès du flamboiement mystique de tes seins!
Qu’est-ce ‘la nuit « , auprès de tes cheveux malsains
Où, dans les replis lourds, rôde un arôme louche?

Tes cheveux sont obscurs plus que le firmament:
Ta bouche est rouge comme est seulement ta bouche,
Et tes seins sont pareils à tes seins seulement.

Q15 – T14 – banv

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté, — 1885 (7)

Stanislas de Guaita Rosa mystica

A Charles Baudelaire
« O mort, vieux capitaine…  »

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté,
Maître, que le poëte au coeur chaud t’édifie
Un sépulcre: le jaspe fraternel défie,
– Comme tes vers – l’affront de l’âpre vétusté.

Or l’envie est muette; et le siècle, dompté
Par ton rythme en chantant, Maître, te déifie,
De Paris à Moscou – jusqu’à Philadelphie,
Et ton nom, clair de gloire, aux astres est monté.

L’Ame mystique vit son rêve d’outre-tombe!
Montre-toi donc, poëte, et que le rideau tombe,
Qui voile l’Elysée où sont les demi-dieux!

Ouvre un oeil agrandi d’extase coutumière
Sur le choeur prosterné de tes enfants pieux
Qui font vibrer vers toi leur hymne de lumière!

Q15 – T14 – banv

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement — 1885 (5)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

Les cygnes

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement
Fait toujours en été vider complêtement,
L’autorité met-elle avec acharnement
Un cygne?

Serait-ce pour permettre au poète rêveur
De l’égorger, afin d’ouïr plein de ferveur
Son chant suprême? Alors, mais c’est une faveur
Insigne?

Doit-il nous rappeler que Jupiter jadis
Trouva bon d’endosser un plumage de lys,
Pour se montrer sur l’eau, comme sur terre, ingambe?

Non, c’est pour qu’un papa rabâche à ses enfants
Qui le répèteront aux leurs, tout triomphants:
« D’un coup d’aile, ça peut vous casser une jambe! ».

aaab a’a’a’b – T14 – 2m (2s: v.4, v.8 )

Dans le bar où – jamais – le parfum des brevas — 1884 (20)

Laurent Tailhade

Lutèce

Buvetière

Dans le bar où – jamais – le parfum des brevas
Ne dissipa l’odeur de vomi qui la navre,
Triomphent les appâts de la Mère Cadavre
Dont le nom est fameux jusque chez les hôvas.

Brune, elle triompha jadis entre les brunes,
Tant que son souvenir au Waux-hall est resté!
Et c’est toujours avec beaucoup de dignité
Qu’elle rince le zinc ou détaille les prunes.

Et c’est pourquoi son cabaret s’emplit le soir,
De futurs avoués tout heureux de surseoir
Quelque temps à l’étude inepte des digestes.

Encor qu’ils soient gavés de Beaune ou de Corton,
Elle les dompte et sait arrêter dans leurs gestes
Ce qui n’est pas conforme aux règles du bon ton.

Q63 – T14

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque, — 1884 (18)

Le Chat Noir

Jules Jouy

X
Fréderick- Lemaître

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque,
De l’Artiste, protée énorme et sans rivaux,
Au génie acclamé par d’illustres bravos,
Il restait un vieillard, par l’âge brisé presque.

Parfois, pourtant, fouillant son front michélangesque,
Cet Hercule affaissé, las des anciens travaux,
Trouvait, pour le graver en nos jeunes cerveaux,
Un geste inimitable: immense et pittoresque.

Rien n’était merveilleux, étrange, saisissant
Comme ce beau lutteur torturé, s’efforçant
De rompre, des vieux ans, le lourd carcan de glace.

Et j’assistais, songeant aux triomphes d’antan,
Blême, l’horreur sacrée empreinte sur la face,
A cet écroulement superbe d’un Titan.

Q15 – T14 – banv