Archives de catégorie : T14 – ccd ede

J’ai fait chibis. J’avais la frousse — 1876 (6)

Jean Richepin La chanson des gueux

Autre sonnet bigorne – Argot moderne

J’ai fait chibis. J’avais la frousse
Des préfectanciers de Pantin.
A Pantin, mince de potin!
On y connaît ma gargarousse,

Ma fiole, mon pif qui retrousse,
Mes calots de mec au gratin.
Après mon dernier barbotin
J’ai flasqué du poivre à la rousse.

Elle ira de turne en garno,
De Ménilmuche à Montparno,
Sans pouvoir remoucher mon gniasse.

Je me camoufle en pélican –
J’ai du  pellard à la tignasse.
Vive la lampagne du cam!

Q15 – T14  – banv – octo

(trad. A ch)

AUTRE SONNET ARGOTIQUE – Argot moderne.

Je me suis évadé. J’avais peur
Des agents de police de Pantin.
A Pantin, attends un peu, le tapage !
On y connaît mon gosier,

Ma gueule, mon nez retroussé,
Mes yeux de souteneur au travail.
Après mon dernier vol,
J’ai fui la police.

Elle ira de logis en garni,
De Ménilmontant à Montparnasse,
Sans pouvoir me voir en face.

Je me camoufle en paysan –
J’ai du foin dans les cheveux.
Vive la campagne !

Je me suis aidé du glossaire annexé par l’auteur à l’édition illustrée et tardive que j’ai sous la main (Modern’Bibliothèque, s. d..) un seul mot manque : gratin (et cabri, et camoufle, qui sont du français non argotique) Dans le 2, je prend gratin dans le sens de travail (et non de beau monde). »

Luysard estampillait six plombes. — 1876 (5)

Jean Richepin La chanson des gueux

Sonnet bigorne – Argot classique

Luysard estampillait six plombes.
Mezigo roulait le trimard,
Et jusqu’au fond du coquemart
Le dardant riffaudait ses plombes.

Lubre, il bonissait aux palombes:
« Vous grubiez comme un guichemard, »
Puis au sabri: « Birbe camard,
Comme un ord champignon tu plombes ».

Alors aboula du sabri,
Moure au brisant comme un cabri,
Une fignole gosseline,

Et mezig parmi le grenu
Ayant rivanché la frâline,
Dit « Volants, vous goualez chenu ».

Q15 – T14 – banv –  octo

trad (par l’auteur)

Le soleil marquait six heures,
Je marchais sur la grand’route,
Et jusqu’au fond de la marmite
L’amour brûlait mes reins.

Triste, je disais aux pigeons:
 » Vous grognez comme un guichetier »
Puis aux bois: « vieux sans nez,
Comme un sale champignon tu pues »

Alors arriva dans le bois
Une gentille fillette.
Je couchai avec la compagnonne,

Et dis: « foin, dans mon lit
Tu parfumes ma chevelure de hère;
O pigeons, vous chantez très bien. »

trad. Alain Chevrier)
SONNET ARGOTIQUE – Argot classique

Le soleil marquait six heures,
Je marchais sur la grand’route,
Et jusqu’au fond du chaudron
L’amour me brûlait les reins.

Triste, je disais aux palombes,
« Vous grognez comme un guichetier »
Puis au bois : « Vieux camard,
Tu pues comme un champignon pourri. »

Alors s’en vint du bois
Minois au vent comme un cabri,
Une gentille gamine,

Et moi, parmi les blés,
Ayant couché avec la camarade,
Je dis : « Oiseaux, comme vous chantez bien ! »

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ? — 1875 (10)

Eugène Roulleaux in Revue … de l’Ain

Sonnet sur le sonnet

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ?
Si, pour quelque chef-d’œuvre, un beau cadre me plaît,
Je n’étreindrai jamais, sur l’étroit chevalet,
Comme un vil criminel, ma muse embarrassée.

Ce qu’il faut, une fois la rime égalisée,
Comme des ailes d’aigle – ou bien de roitelet,
Ce n’est pas qu’elle courbe, obséquieux valet,
Devant un fouet brutal sa grâce cadencée.

Son destin est le vol, libre, capricieux.
Qu’elle rase les eaux ! qu’elle aille au fond des cieux !
Qu’elle brise tout frein ! L’espace est son domaine.

L’univers est à toi ! Songe que c’est meilleur
Qu’un sonnet – vrai carcan – Poésie, ô ma reine,
Et ne va pas ramper aux pieds d’un rimailleur.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Sur l’étang bleu que vient rider le vent des soirs — 1875 (4)

Claudius PopelinUn livre de sonnets

Au clair de la lune

Sur l’étang bleu que vient rider le vent des soirs
Séléné penche, avec amour, sa face blonde,
Et sa clarté, qui se reflète au ras de l’onde,
Met un point d’or au front mouvant des roseaux noirs.

Déjà la flore a refermé ses encensoirs ,
L’oiseau se tait et le sommeil étreint le monde:
Ecoute bien tu n’entendras rien à la ronde
Que palpiter mon coeur gonflé d’ardent espoir.

Dans une main je tiens ta main mignonne et blanche,
Mon bras te ceint, mon autre bras est sur ta hanche,
Je sens ton corps, ton corps charmant, tout contre moi.

Ta lèvre s’ouvre, un mot divin sur elle expire,
Mais ton regard qui laisse voir ton doux émoi,
Avant ta lèvre à mon regard a su le dire.

Q15 – T14 – banv  – Les vers sont des trimètres (4+4+4), plus ou moins à double césure. Je ne connais pas d’exemple autre de ce traitement du vers de douze syllabes en trois morceaux, comme règle valable pour la totalité d’un poème (ce que ne fait jamais, il me semble, Hugo)

(a.ch) « et ce ne sont pas seulement des trimètres hugoliens, ils comportent des vers qui ne peuvent pas, comme ceux-ci, se césurer secondairement à l’hémistiche : passons sur « qui se / reflète », mais impossible pour « se re / fermer », « mon autr / e bras », « qui laiss/ e voir ». La contrainte qui l’emporte est bien 4 / 4 / 4….Je ne connais pas non plus de poème en vers exclusivement 4 / 4 / 4. Cette composition m’évoque une potiche en cloisonné. « 

Le parfum des lilas ruisselle de folie, — 1875 (2-3)

Camille ChaigneauLes mirages – sonnets-réflexe –

Nuit d’Avril

Le parfum des lilas ruisselle de folie,
Les couchants empourprés hallucinent les yeux,
J’entends mille baisers dans l’air silencieux,
L’espoir jette des fleurs sur la mélancolie.

Qui passe, c’est l’amour sur la terre embellie!
Qui passe? c’est la femme au front mystérieux:
Viens, mon coeur est ouvert, et l’amour fait les dieux!
Comme le ciel est près! Aime! je t’en supplie!

Tant que nous entendrons le chant du rossignol,
Tant que le vent des nuits répandra sur ton col
Son haleine embaumée et sa chaude caresse,

Courons dans les forêts, les foins et les blés d’or!
Et, lorsque tournoîront les feuilles en détresse,
Pour l’espace étoilé nous prendrons notre essor!

Pour l’espace étoilé nous prendrons notre essor,
Oh! ne comprends-tu pas cette sublime ivresse?
Aime! sur mes cheveux laisse flotter encor

Ton haleine embaumée et ta chaude caresse!
Pourquoi fuir? …. qui t’emporte? …. Arrête au moins ton vol
Tant que nous entendrons le chant du rossignol! ….

Pour les bois d’orangers cherches tu l’Italie?
Ou l’Espagne? – Où vas-tu? … Connais-tu d’autres cieux
Où l’âme soit plus blanche, où l’on s’adore mieux?
Pourquoi m’avoir souri, s’il faut que je t’oublie? ….

Qui jettera des fleurs sur ma mélancolie?
J’entends mille baisers dans l’air silencieux,
Les pourpres de l’aurore hallucinent les yeux,
Le parfum des lilas ruisselle de folie.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc baab baab – banvIl s’agit tout simplement de couples d’un sonnet suivi de son équivalent renversé, sur les mêmes rimes (et parfois les mêmes mots-rimes d’ailleurs) et même parfois les mêmes vers. Les textes sont presque réversibles.
« Un fol espoir nous éclaire le coeur. Ce n’est d’abord qu’une ombre vague et brumeuse, bientôt l’astre s’élève, les vapeurs se dispersent, la douce lumière nous envahit, le zénith triomphal semble nous appeler à lui. mais l’astre baisse, l’espoir s’éloigne, et le coeur frissonne pendant que s’abattent les pénombres messagères de la nuit, c’est le désespoir. Tels passent les rêves, les éclairs d’amour, les visions de splendeur et de félicité, tous ces mirages de la vie individuelle et collective.N’y-a-t-il pas là comme un drame composé de deux actes dont le second serait le reflet du premier? – C’est dans cette pensée que j’ai cherché une forme poétique capable d’un redoublement scénique, d’une réflexion manifeste. J’ai choisi le sonnet, parce qu’il est en lui-même complêtement dépourvu de symétrie, et parce que son dernier vers, jaillissant comme une flèche, superbe comme un aigle, semble conquérir les faîtes dont nos illusions vont crouler. – Le premier quatrain, et son image qui termine le petit poème, ont tout le vague des horizons où commencent et finissent les rêves humains. Des rappels de vers semés harmoniquement contribuent à la cohésion de l’ensemble … »

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée — 1875 (1)

Adrien Brun Sonnets

Au Sonnet

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée
Je t’obéis pourtant, je t’aime malgré moi.
Car la Muse est esclave en se livrant à toi,
Et de ton despotisme elle est presque offensée.

Quand vers son idéal elle s’est élancée,
Tout obstacle l’irrite, et la met en émoi,
Puis elle cède enfin à ta sévère loi;
Dois-je espérer, au moins, l’en voir récompensée?

Ainsi découragé d’avance, j’hésitais:
Dans mon timide essor soudain je m’arrêtais;
Ma main, plus d’une fois, avait jeté la plume.

Mais, pour me rassurer, le Sonnet repartit:
Achève, ami, crois-moi, ton modeste volume;
On passe dans la foule en se faisant petit.

Q15 – T14 – s sur s

Aussi, la créature était par trop toujours la même, — 1874 (23)

Verlaine Parallèlement

Le sonnet de l’homme au sable

Aussi, la créature était par trop toujours la même,
Qui donnait ses baisers comme un enfant donne aux lois,
Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.

Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :
Ce pouf était dans l’air dès le principe, je le vois ;
Quand la chair et le sang, exaspérés d’un long carême,
Réclamèrent leur dû, – la créature était en bois.

C’est le conte d’Hoffmann avec de la bétise en marge,
Amis qui m’écoutez, faites votre entendement large,
Car c’est la vérité que ma morale ; et la voici :

Si, par malheur, – puisse d’ailleurs l’augure aller au diable
Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,
Qu’il réclame un conseil de revision préalable.

Q8  T14  14 s.

Près des lilas blancs fleurissent les roses, — 1874 (21)

Adrien Dézamy in L’Artiste

Trianon Sonnet-réflexe

Près des lilas blancs fleurissent les roses,
Le soleil d’avril sourit dans les cieux,
Et vers Trianon s’envolent joyeux,
Dames et seigneurs, tout blancs et tout roses.

C’est fête : on se rit des esprits moroses.
Les bergers Watteau, d’un air précieux,
Tendant le jarret et clignant des yeux,
Chantent galamment d’amoureuses choses.

Un Tircis azur au regard vainqueur,
Le poing sur la hanche et la joie au cœur,
Danse avec la reine en simple cornette …

La foudre, soudain, fait explosion,
Et, dans un éclair, Marie Antoinette
Lit avec horreur : RÉVOLUTION
————————-
A ce mot nouveau : REVOLUTION,
Le trône trembla. Marie-Antoinette
Sentit s’accomplir la prédiction.

Jetant aussitôt rubans et houlette,
Et pressant l’enfant royal sur son cœur,
La reine devint reine de douleur …

Et, depuis ce temps, plus de moutons roses,
De bergers Watteau, de mots gracieux,
Ni, sur le gazon, de soupers joyeux ;
Plus d’échos disant d’amoureuses choses !

Malgré la tempête et les jours moroses,
Trianon survit – nid silencieux –
Et, quand le soleil sourit dans les cieux,
Près des lilas blancs fleurissent les roses

Q15  T14  + s.rev.  tara – banv

Des croquis de concert et de bals de barrière — 1874 (17)

Joris-Karl Huysmans Le drageoir à épices

Le hareng saur

Des croquis de concert et de bals de barrière
La reine Marguerite, un camaïeu pourpré
Des naïades d’égout au sourire éploré,
Noyant leur long ennui dans des pintes de bière,

Des cabarets brodés de pampre et de lierre,
Le poète Villon, dans un cachot, prostré,
Ma tant douce tourmente, un hareng mordoré,
L’amour d’un paysan et d’une maraîchère,

Tels sont les principaux sujets que j’ai traités:
Un choix de bric-à-brac, vieux médaillons sculptés,
Emaux, pastels pâlis, eau-forte, estampe rousse,

Idoles aux grands yeux, aux charmes décevants,
Paysans de Brauwer, buvant, faisant carrousse,
Sont là: les prenez-vous? à bas prix je les vends.

Q15 – T14 – banv

Magnétiseur aux mains brûlantes, — 1874 (11)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Valéry Vernier

Le thé

Magnétiseur aux mains brûlantes,
Envoyé de l’Empire vert,
Qui rend les âmes nonchalantes
Aux raouts du Paris d’hiver,

Soutiens les forces chancelantes
De ces mondains qui, privés d’air,
Chaque nuit, victimes galantes,
S’étouffent en quelque concert.

Frère du spleen, Londres t’adore,
New York te chérit plus encore,
Moscou te sucre avec ferveur.

Mais, chez nous, malgré ta magie,
Si tu séduis un vrai buveur,
Ce n’est qu’aux lendemains d’orgie.

Q8 – T14  octo