Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Amazone aux reins forts, solide centauresse, — 1847 (2)

Théodore de Banville Le sang de la coupe

Amazone nue

Amazone aux reins forts, solide centauresse,
Tu tiens par les cheveux, sans mors et sans lien,
Ton cheval de Titan, monstre thessalien;
Ta cuisse avec fureur le dompte et le caresse.

On voit voler au vent sa crinière et sa tresse.
Le superbe coursier t’obéit comme un chien,
Et rien n’arrêterait dans son calme païen
Ton corps, bâti de rocs comme une forteresse.

Franchissant d’un seul bond les antres effrayés,
Vous frappez du sabot, dans les bois non frayés,
Les pâtres chevelus et les troupeaux qui bêlent.

Toi, Nymphe, sans tunique, et ton cheval sans mors,
Vos flancs restent collés et vos croupes se mêlent,
Solide centauresse, amazone aux reins forts!

Q15 – T14 – banv

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance, — 1846 (10)

Philippe d’Arbaud-Jouques Idylles antiques et sonnets

XII

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance,
Quand d’une aïeule, heureux, je revoyais le seuil,
Et le Rhône flattait des bruits de son écueil,
Par sa mère conduit, l’enfant de la Durance.

Aujourd’hui, dans tes murs, étranger je m’avance,
Car ses remparts ont vu mon aïeule au cercueil,
Hélas ! depuis ce jour ton différent accueil
Glace en moi du passé la douce souvenance.

Bel âge, où, de la vie hôtes encor nouveaux,
Entre-voyant ses biens, nous ignorons ses maux !
Partout d’un jour serein je croyais voir l’aurore.

N’avez-vous plus, beaux lieux auxquels j’ai tant songé ,
Ce charme ? …. quel séjour me l’offrirait encore ?
L’illusion n’est plus, et le monde est changé.

Q15  T14 – banv

O lecteur ! tu n’es pas sans avoir fait ce rêve : — 1846 (8)

Alphonse Esquiros Les vierges martyres

Le puits

O lecteur ! tu n’es pas sans avoir fait ce rêve :
Le long d’un escalier je suivais mon chemin ;
Sans balustre de fer pour appuyer ma main,
Je descendais à l’heure où la lune se lève.

Le voyage était long, sans soleil et sans trève ;
C’était toujours hier, c’était toujours demain :
Près de moi j’entendais marcher le genre humain
Comme un troupeau sans maître et perdu sur la grève.

Je disais à mon ame : Allons-nous en enfer ?
Ma lampe s’éteignait comme n’ayant plus d’air ;
Tout était à l’entour d’un gris couleur de cendre.

La science est ce puits éternel et profond ;
Et, depuis six mille ans que l’on sue à descendre,
Nul encor ne peut dire en avoir vu le fond.

Q15  T14 – banv

Il est des moments de mélancolie — 1846 (6)

Alfred des Essarts Les chants de la jeunesse

Il est des moments de mélancolie
Où le cœur se lasse, où coulent les pleurs,
Où le noble espoir s’appelle folie,
Où l’homme à plaisir cherche des douleurs.

Il est des moments où brille la joie
Alors à nos yeux le ciel est d’azur ;
Comme un beau tapis le sol se déploie ;
La fleur est suave et l’air est plus pur.

Mais si le sourire est doux, que de charmes
Vous avez parfois, poétiques larmes !
Et quand trop d’éclat fatigue l’esprit,

Que ne donnerait l’heureux de la terre
A qui le destin constamment sourit,
Pour sentir des pleurs mouiller sa paupière !

Q59  T14  tara

Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides? — 1846 (5)

Baudelaire in L’Artiste

Sur l’album d’une dame inconnue

Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides?
Avez-vous de beaux yeux à ravir l’univers?
Sont-ils doux ou cruels? Sont-ils fiers ou timides?
Méritez-vous enfin qu’on vous fasse des vers?

Drapez-vous galamment vos châles en chlamydes?
Portez-vous un blason de gueules et de vairs?
Savez-vous le secret des lointaines Armides?
Ou bien soupirez-vous sous les ombrages verts?

Si votre corps poli se tord comme un jeune arbre,
Et si le lourd damas, sur votre sein de marbre,
Comme un fleuve en courroux déborde en flots mouvants,

Si toute vos beautés valent qu’on s’inquiète,
Ne laissez plus courir mon rêve à tous les vents:
Belle, venez poser devant votre poête!

Q8 – T14

C’est dans l’isolement, sur l’arbuste effeuillé, — 1845 (12)

Auguste Desplaces La couronne d’Ophélie

La dernière couronne de l’été
sonnet imité de Thomas Moore

C’est dans l’isolement, sur l’arbuste effeuillé,
Que brille le carmin de la rose dernière,
Ses compagnes ayant vu tomber en poussière
Leur calice battu de l’orage, et souillé.

Sans y languir encore, ô triste solitaire !
Comme elles disparais du rameau dépouillé,
Tes sœurs ont, loin de toi, par les champs sommeillé,
Va rejoindre en débris leurs débris sur la terre.

Puissè-je, de mon ciel quand fuiront sans retour
Les espoirs les plus chers, les visions d’amour
Suivre ainsi dans la mort ces étoiles éteintes !

Quand tout a fui, quand sont couvertes du linceul
Les ferventes amours et les amitiés saintes,
En ce monde désert qui voudrait vivre seul ?

Q16  T14  tr

Dans ce vaste tombeau qui porte jusqu’aux cieux — 1845 (9)

Jules Ravier œuvres

Sonnet à Jacques Delille

Dans ce vaste tombeau qui porte jusqu’aux cieux
La force des guerriers, la gloire du génie,
Je parcourais un jour, plein de mélancolie,
De ses sombres piliers les plis majestueux.

Et tremblant, je sondais ce séjour ténébreux,
Guidé par la lueur d’une faible bougie.
Mais que vois-je ? un flambeau dont le feu s’irradie
A vous ! Rousseau, Voltaire, interprètes des dieux.

Les genoux et le front inclinés vers la terre,
Leur mémoire aussitôt inspire ma prière,
Qui rendit à l’écho ce penser de mon cœur :

Si tu sais rendre hommage à celui, noble France,
Dont l’esprit te laissa des marques de grandeur,
Delille a tous les droits à ta reconnaissance.

Q15  T14 – banv

Sarrazin, Benserade et Voiture, — 1845 (7)

Hip. Floran Les amours

A trois poètes

Sarrazin, Benserade et Voiture,
Tous les trois prenez place au sonnet
Qu’à défaut de landau, de voiture,
J’ai pour vous sans façon mis au net.

En sentant dans mon cœur l’ouverture
D’un accès de gaité qui renait,
J’ai voulu suivre à pied l’aventure
Qui vers vous follement m’entrainait.

Vous avez tant d’esprit, tant de grâce,
Et parfois votre muse est si grasse
Que quiconque en serait amoureux ;

Pour ma part, aussi chaud qu’une braise,
J’aime à voir ses appas amoureux,
Et partout comme un Dieu je la baise *

Q8  T14 – 9s « ceci est une manière de dire à des poètes qu’on leur baise la main – et nous avons peut-être bien fait de nous mettre à pied dans cette circonstance, car il est à craindre que le vieux Pégase n’eût pas voulu marcher avec des vers de neuf pieds, coupés par des hémistiches de trois, ce qui, selon nous pourtant, est un rythme plein de grâce et d’entrain ».