Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Vous m’avez enchaîné, de deux anneaux, Amie — 1908 (13)

Robert de Montesquiou Les paons

SARAH BERNHARDT

Vous m’avez enchaîné, de deux anneaux, Amie
L’un en fleurs d’amaranthe à l’amour éternel :
Platine ciselé, symbole fraternel,
Dont rien ne dissoudrait l’alliance affermie.

L’autre a deux masques bleus, sculptés dans deux opales,
Roses, jaunes, lilas… tous les feux de l’iris:
Et vos tragiques pleurs, et les comiques ris,
De l’éblouissant rouge y tournent au vert pâle.

Votre charme, pour moi, vit dans ces deux soeurs bagues;
L’une est la foi fidèle, et l’autre a les jeux vagues
Où l’âpre volonté s’attendrit de langueurs.

Et, lorsqu’à mes doigts froids se nouera Libitine,
Qu’elle éternise, auprès de l’anneau de platine,
L’opale aux tons changeants qui n’a rien de nos coeurs !

Q63  T15 Libitine Dans la religion des Romains, déesse qui présidait aux funérailles, et dont le temple renfermait les objets relatifs aux pompes funèbres.

Dès l’enfance, cherchant, sous l’obscur palimpseste, — 1908 (12)

Robert de Montesquiou Les paons

LACUNE

Dès l’enfance, cherchant, sous l’obscur palimpseste,
Du Monde, le secret des avenirs humains,
Il avait oublié l’attitude et le geste
Des hommes, et la loi fatale des hymens.

Loin des jeux de l’arène et des luttes du ceste,
Il avait enserré son crâne dans ses mains,
Demandant sans relâche à l’étude indigeste
Une sécurité pour les noirs lendemains.

Mais, sous l’hiéroglyphe énigmatique et traître
De la feuille et du flot, s’obstine à disparaître
Le texte primitif raturé pour jamais.

Nul mot n’est plus écrit aux feuilles de Dodone.
Et le penseur au rêve inutile s’adonne…
Puis se prend à sourire… et songe : « Si j’aimais ! »

Q8  T15

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos — 1908 (11)

Robert de Montesquiou Les paons

BELLE-ISLE-EN-ART

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos
Que l’ouragan ébranle ainsi qu’une guérite,
Aimez parfois jouer un rôle d’Amphitrite
Drapé, par l’Océan, d’azur et de sanglots ;

Vous regardez, le soir, s’allumer les falots
Dont la barque, au lointain, contre la Mort s’abrite ;
Une réplique d’ombre, et par Dieu même écrite,
S’élève alors vers vous, de la plainte des flots.

Je devine, Sarah, votre amour pour la houle
Qui vous ramène, en eux, l’applaudissante foule,
Dont tant de fois votre art triomphant fut vainqueur.

Vous goûtez les rappels de la Mer qui s’effare,
Vous que le Monde voit briller dans votre Phare
Qu’illumine un génie où l’on sent battre un coeur!

Q15  T15 à Sarah Bernhardt

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet » — 1907 (1)

Joseph CorrardCent sonnets

Au critique

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet »
Disait un freluquet; « quatorze lignes … qu’est-ce?
Tout poète en trouve un, le soir, sous son bonnet:
Pas besoin, pour ça, de battre la grosse caisse! »

– Ami, prends ton absinthe ou bien ton Dubonnet.
Lis les journaux du soir, les nouvelles, mais laisse,
Loin de ta tabagie, errer seul ce benêt,
Ce rimailleur, ce fou … qui tient la lune en laisse!

– C’est bien simple, disait un coq, de pondre un œuf;
J’en vois tous les jours pondre avec neuf poules …. neuf!
Au fond d’un poulailler, blottie et plume en boule,

On s’accoufle, on s’installe en le meilleur confort
Et l’on attend … Après un tout petit effort
L’œuf arrive – Oui, cria quelqu’un …., quand on est poule.

Q8 – T15 – s sur s

Pour l’instant où viendra celle qu’on n’attend pas — 1906 (3)

Gabriel de Lautrec Les roses noires

Précautions

Pour l’instant où viendra celle qu’on n’attend pas
La ténébreuse qui guérit le mal de vivre,
Tristes comme il convient, nous fermerons le livre,
Et la fenêtre, et toi, printemps, qui nous dupas!

La jeunesse exilée et venant à grands pas,
L’âge mûr, endormeur des choses éternelles,
Un démon lumineux songe à ployer ses ailes
Avant l’heure, et la nuit du funèbre repas.

Quelque part, dans le soir, des lèvres se sont closes,
Il est temps que quelqu’un aille chercher des roses
Pour saluer d’adieu le rêve le plus beau.

Voici venir la mort, il est temps que notre âme
Prenne le mieux aimé des sourires de femme
Pour en faire sa lampe en la nuit du tombeau

Q45  T15

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère; — 1906 (2)

Jules Renard in  Dr o’Followell: le sonnet d’Arvers et ses pastiches (1948)

A l’envers d’Arvers

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère;
Mon amour banal fut comme un autre conçu,
Le mal est réparé; pourquoi donc vous le taire?
Celle qui me l’a fait l’a tout de suite su.

Non, je n’ai pas passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et toujours solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’ayant rien demandé, mais ayant tout reçu.

Pour elle, qui n’est point très douce ni très tendre,
Elle suit son chemin et se fiche d’entendre
Un murmure d’amour élevé sur ses pas.

A l’austère devoir constamment infidèle,
Sans avoir lu ces vers où je n’ai rien mis d’elle,
« Mais, c’est moi! » dira-t-elle, et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

-Jacqueline de Lubac: « Une aimable dame me fit un jour ce compliment: ‘J’aime bien vos sonnets, mais pourquoi les faîtes-vous si courts? »

Le corps droit, bien assis sur son siège moëlleux, — 1905 (15)

Pierre Reynes in La Sylphide

Le Cycliste

Le corps droit, bien assis sur son siège moëlleux,
Superbe, dégagé, bienséant, plein de grâce,
Le cycliste, en passant, montre un jarret nerveux,
Respire l’air salubre et dévore l’espace.

Il a le long du torse, insigne glorieux,
Une écharpe qui flotte et fièrement l’enlace,
Et sur son fin coursier que nul effort ne lasse
Il file comme un trait magique et lumineux.

Il file sans rien voir, il ne pense plus même
Que le record qu’il tente est un ardu problème
Qui peut coûter la vie à sa témérité.

O cycliste vaillant qui voles sur nos rives,
Si tu pouvais savoir combien tu nous captives
Et comme à ton aspect sourit l’humanité !

Q9  T15

Dans le bois trépidant d’étésienne force, — 1905 (10)

Willy Anches et embouchures

La flûte de Pan

Dans le bois trépidant d’étésienne force,
Le chêne millénaire étend ses verts arceaux,
Et sous l’ombrage illustre où paissent les pourceaux,
Pan s’arrête et s’appuie à la rugueuse écorce.

Cornu, la barbe d’or, drue et longue, le torse
Epais et ceint des fleurs écloses sur les eaux,
La bouche humide, il fait chanter les sept roseaux
En battant la mesure avec sa jambe torse.

De nymphes, brusquement, le site s’éblouit:
L’une est si blanche et si blonde qu’elle éblouit;
Une autre est brune, et c’est entre elles une lutte

Emouvante à ce point que, de les voir, le dieu
Se trouble et ne sait plus si ses lèvres en feu
S’éperdent en baisers ou soufflent dans la flûte.

Q15 -T15 (TLF) étésien : Vents étésiens. Vents qui soufflent du Nord pendant l’été sur la Méditerranée

 » De Léon Dierx à Jean Moréas, de Heredia à Fernand Mazade, tous nos poètes, madame Rosemonde Gérard et la Comtesse de Noailles y comprises, ont célébré la flûte de Pan. En revanche, elle est tenue en suspicion dans le monde des bookmakers, à cause de l’irrégularité de ses tuyaux. « 

Tel un abstrait poivrot monolodivaguant, — 1904 (3)

Alphonse Allais Mes insolations –

La carpe

Tel un abstrait poivrot monolodivaguant,
Mélancolique et lente emmi les froides ondes,
O carpe, tu t’en vas rêvant et zigzagant,
Insouciante en tes solitudes profondes.

Ta métallique peau, qui colle comme un gant,
Te donne l’air d’un chevalier des autres mondes.
Quels pensers sont cachés – jamais se divulguant –
Derrière les vitraux de tes prunelles rondes?

Le flot léger qui naît de ton mouvement doux
Dans les herbes du fond fait un léger remous;
Et, sans craindre l’anguille et le brochet vorace,

Tu traces des arabesques à l’infini,
S’entrelaçant comme un souple macaroni,
Et des zigzags tels que – seule – la carpe en trace.

Q8 – T15

Dans le frais jardin contigu — 1904 (2)

Alphonse Allais Mes insolations –

L’aquarelle

Dans le frais jardin contigu
A ma chétive maisonnette,
Peint – sous le soleil chaud, aigu –
L’enfant chétive mais honnête.

Dans un récipient exigu
Ses petits pinceaux font trempette:
Pinceaux poil de cheval bégu,
Poil de blaireau, poil de belette.

Elle aquarellise, vraiment,
Elle est bien dans son élément,
La vierge aux poses si gentilles.

Musset ne l’a-t-il pas chanté,
Avec sa grande autorité?
Aquarell’ veut les jeunes filles!

Q8 – T15 – octo   (TLF) bégu ; [En parlant d’un cheval, d’une jument] Dont les incisives conservent la cavité externe au-delà de l’âge normal (10 ans en moyenne)