Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Traînant un long manteau d’hermine bien fourré, — 1890 (12)

Léon Valade Poèmes posthumes

Sonnet d’hiver

Traînant un long manteau d’hermine bien fourré,
Janvier, monarque antique à la barbe de neige,
S’avance bruyamment au milieu d’un cortège
De femmes et d’enfants dont il est adoré.

En vain les mécontents te savent mauvais gré
Des étrennes, impôt très vieux que rien n’allège:
La popularité reste ton privilège,
O Roi dont la couronne est de papier doré;

Soit qu’au flanc des gâteaux insérant une fève,
Tu te prêtes, pour rire, à la royauté brève
Dont s’égaye un instant le plus pauvre festin;

Soit que ton échanson, l’empereur Charlemagne
Verse aux bons écoliers, trop bourrés de latin,
Des flots quasi-moussus de simili-champagne.

Q15 – T14

En cette lumière apâlie — 1890 (10)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet exital

En cette lumière apâlie
où s’adoucit l’attrait de l’heure,
s’endort et dort comme en un leurre
mon rêve de mélancolie.

Ame falote d’Ophélie,
pauvre âme mienne qui la pleure,
il faut subir qu’un ciel enfleure
l’ultime rameau d’ancolie.

rien d’immanent que le réel,
le rêve lui-même est formel,
fait d’intangible encor blessant.

Nous mourons du vague adulé,
et dans la coupe de Thulé,
nous buvons notre triste sang!

Q15 – T15 – octo – enfleure : H.N (Disparus du Littré) a l’adjectif ‘enfleuri’ mais pas le verbe

Elle tombe aussi finement — 1890 (6)

Alfred MigrenneLes moissons dorées

En voyant tomber la pluie

Elle tombe aussi finement
Que si c’était de la rosée,
Et la terre presque épuisée
S’en désaltère avidement.

De ma serre tout irisée
Des fleurs qui s’ouvrent par moments,
Le jasmin s’élève hardiment
Pour apparaître à ma croisée.

Demain les épis jauniront
Et gaîment des faucheurs iront
Les couper, puis les mettre en gerbe.

Car la pluie est à la moisson,
Ce que l’air est à la chanson
Et l’or du soleil à la gerbe.

Q16 – T15 – octo  – bi

D’autres auront le bruit, la gloire, — 1890 (4)

Edouard GrenierPoèmes épars

Renoncement

D’autres auront le bruit, la gloire,
Et leur nom partout répété;
Le mien s’éteindra sans mémoire,
Comme s’il n’eut jamais été.

Mais qu’on marque ou non dans l’histoire,
Rien ne vaut d’être regretté.
La vie est un rêve illusoire,
Le songe d’une nuit d’été.

Obscur ou glorieux, qu’importe!
La mort d’un seul coup d’aile emporte
Tous nos vains désirs – et c’est bien!

La gloire est d’être aimé. S’il tombe
Une ou deux larmes sur ma tombe,
Il suffit: le reste n’est rien.

Q8 – T15 – octo

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête ! 1889 (31)

Louis Franc L’herbier

Sonnet unique

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête !
Que de fois tu m’as dit, quand ce jour revenait,
« Eh bien ! trouverez-vous encore une défaite ?
Mon nom réclame un chant : s’il vous en souvenait !

Vous amant ! dont la plume et dont l’âme est muette !
Offrez-moi donc alors des bonbons en cornet.
Eh quoi ! pour inspirer n’ai-rien ? Vous poète !
Ah ! sauvez votre honneur au moins par un sonnet ! »

Le pourrai-je ? un sonnet c’est un bouquet de rimes !
Mais comment voir ta bouche ainsi traiter de frimes
Mon art et mon amour ! Au contraire dis-toi :

Ce lui fut une tendre et bien douce corvée !
Puis il brisa le moule après l’oeuvre achevée,
Pour qu’elle fût unique et n’appartînt qu’à moi.

Q8  T15  s sur s

L’Amour, entre deux madrigaux. — 1889 (19)

Henri Finistère in  Le Parnasse Breton contemporain

L’invention du sonnet

L’Amour, entre deux madrigaux.
De Pan raillait les vers rustiques :
— « Te tairas-tu, dieu des fagots,
« Depuis le temps que tu t’appliques

« A moduler sur tes pipeaux,
« Avec des sons mélancoliques,
« De monotones bucoliques
« Et de sempiternels rondeaux

— « Assez ! dit Pan, le front morose.
« Ferais-tu mieux, critique rose? »
L’Amour sourit d’un air moqueur,

Et de son carquois qu’il balance,
Comme un trait le Sonnet, s’élance…
Cupidon est toujours vainqueur.

Q9  T15  octo  s sur s

Aux quatre coins de l’horizon, quatre cités — 1889 (15)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain (Guy Ropartz et Louis Tiercelin ed.)

Sonnet en rouge

Aux quatre coins de l’horizon, quatre cités
Brûlent, lançant vers le ciel rouge leurs flambées ;
Dans la plaine, où le soir met ses rougeurs plombées,
Quatre échafauds , drapés de rouge, sont plantés.

Et le crépitement des étincelles fauves,
Sur la foule écarlate et bruyante qui bout ,
Sonne; on voit , éclairés sinistrement, debout,
Quatre bourreaux en rouge auprès des billots chauves.

Les quatre rois vaincus attendent à genoux ;
Et de brusques lueurs passent sous les cieux roux ,
Comme un éclair de lampe au plafond bas d’un bouge.

Alors, d’un même coup des quatre haches d’or,
Les quatre bourreaux font tomber la même mort,
Et sur la pourpre on voit le sang qui coule — rouge!

Q63  T15

Le poupard était bon: le raille nous aggriffe, — 1889 (11)

Marcel Schwob Oeuvres de Jeunesse

L’emballage

Le poupard était bon: le raille nous aggriffe,
Marrons pour estourbir notre blot dans le sac.
Il fallait être mous tous deux comme une chiffe
Pour se laisser paumer sur un coup de fric-frac.

Nous sommes emballés sans gonzesse, sans riffe,
Où nous faisions chauffer notre dard et son crac
Chez le bistrot du coin, la sorgue, quand on briffe
En se palpant de près, la marmite et son mac.

Le mazarot est noir; pas de rouges bastringues,
Ni de perroquets noirs chez les vieils mannezingues;
Il faut être rupin, goupiner la mislocq.

Bouffer sans mettre ses abatis sur la table
Et ne pas jaspiner le jars devant un diable;
Nous en calancherons, de turbiner le chocq.

Q8 – T15  argot poupard : se dit d’un bébé grassouillet

Quand le luxe hautain des carafes frappées — 1889 (9)

George Auriol – in  Le Chat Noir

Six heures et demie

Quand le luxe hautain des carafes frappées
Constelle le faubourg et les grands boulevards
Oubliant les Ohnets et les François Coppées,
Je vais m’asseoir parmi les estomacs buvards

Qui ruminent de Scholl les grandes épopées.
Mon Troisfrançois emmi les nobles bolivars
S’aperçoit, au travers des voitures stoppées
Sous le regard éteint des collignons bavards …

Je compte sur mes doigts les trésors de ma bourse,
Tandis qu’au ciel déjà s’apprête la Grande Ourse
Et que, très lentement, mon cigare s’éteint …

Mon coeur se rafraîchit d’un souffle d’azalées,
Et je crois voir passer dans le Quartier Latin
Les lapis-lazuli des sources en allées.

Q8 – T15

Quand la tomate, au soir, lasse d’avoir rougi, — 1889 (8)

George Auriol – in  Le Chat Noir

Manufacture de sonnets
…. Actuellement la Manufacture Nationale de Sonnets n’occupe pas moins de 1200 personnes, – hommes et femmes – répandus dans cent ateliers, à la tête de chacun desquels se trouve un contremaître.
L’atelier des Rimes, qui est le plus considérable de tous, est composé d’employés subalternes dont l’unique occupation consiste à trier les rimes et à les distribuer dans des cahiers assez semblables aux casses des typographes.
….
Après avoir minutieusement inspecté l’atelier des Rimes, nous pénétrons dans une salle basse où quelques individus assez sordides jouent aux cartes en fumant leur pipe et en absorbant des boissons variées.
Ce sont les poètes de la Lune. Ils ne travaillent que le soir; ils opèrent au 7ème, dans un local à claire-voie qui leur permet de contempler le ciel à leur aise. Ces ouvriers, paraît-il, se font parfois jusqu’à 18 ou 20 francs par jour, le sonnet à la lune étant très demandé actuellement dans l’Amérique du Sud, où il avait été totalement ignoré jusqu’à ce jour. Le Guatéméla, à lui seul, en consomme plus de 10000 par mois.
Les sonnets printaniers, qui font fureur en Russie, se composent dans une serre; chaque ouvrier est étendu sur un banc de mousse et des jeunes filles inspiratrices, en toilettes tendres, lui servent de modèle. Le sonnet printanier est habituellement confié aux débutants; il s’appelle sonnet gnan-gnan, dans l’argot du métier.
Nous pénétrons ensuite dans un grand atelier absolument nu. Ici, chaque ouvrier est isolé par un paravent. C’est la salle des sonnets du coeur, lesquels sont très recherchés, nous assure-t-on, de certains collectionneurs. – Chacun de ces sonnets doit commencer par « mon coeur« . Exemple: – Mon coeur est un cerceau crevé par les clownesses – Mon coeur est le valet de coeur de ton désir – Mon coeur est l’hôpital de mes rêves fanés – Mon coeur est le trottoir de vos petits pieds blancs – Etc.
La plupart des ouvriers de cet atelier sont myopes. Ils portent les cheveux très longs; quelques-uns même ont des cravates en dentelle.
Nous passons aussitôt dans le Hall des sonnets sur commande. Il est occupé par des ouvriers extrêmement habiles qui confectionnent en moins de cinq minutes des sonnets sur n’importe quel sujet: sonnets pour toast, sonnets pour fêtes, pour anniversaires ou mariages; sonnets pour dîners d’anciens élèves, pour repas de corps, noces d’argent, fêtes nationales, etc. ; quelques virtuoses arrivent même à composer deux ou trois sonnets à la fois. C’est le comble de l’art. Le contremaître nous montre un sonnet destiné à un riche industriel. Il commence ainsi:
Salut à vous, ô vétéran de la bretelle!
Il doit être livré à sept heures précises et remis clandestinement au petit pâtissier qui apportera le vol-au-vent. D’autres seront expédiés directement à dix heures, dix heures et demie et onze heures. On ne livre plus passé minuit.
Plus loin, s’aperçoit l’équipe des sonnets impromptus pour bals, soirées, cabinets particuliers, champs de courses, squares et promenades en voiture … ces sonnets sont vendus depuis cinq francs jusqu’à deux louis pièce, avec la manière de les apprendre par coeur, et les variantes pour les différentes couleurs de chevaux.
L’atelier des sonnets de passion et des sonnets orientaux est plein de femmes ornées et légèrement voilées, dans des poses absolument lascives. Ces femmmes sont séparées des ouvriers par un grand mur de cristal, sans lequel la morale ne saurait être sauvegardée.
Il serait trop long de décrire ici la salle des sonnets décadents, des sonnets rustiques, des sonnets de famille, des sonnets romantiques, des sonnets de Lesbos, et autres.
Les employés attachés à ces différentes spécialités sont soumis à l’amende de 5 francs par hiatus, comme les autres. Ils ont leur dimanche, plus vingt-quatre heures par mois, et un congé de huit jours tous les ans, à l’occasion de la Fête d’Arvers.
Nous traversons très rapidement l’Ecole des Pupilles d’Apollon, qui sont, en quelque sorte, les enfants de troupe de la Poésie, et nous sortons émerveillés.
Je crois que mes lectrices me sauront grè de leur offrir ici même quelques échantillons des produits de cette étonnante manufacture. Le premier appartient à la série des sonnets rustiques, le second fait partie des sonnets d’absinthe.  »

Vesprée d’août

Quand la tomate, au soir, lasse d’avoir rougi,
Fuit le ruisseau jaseur que fréquente l’ablette,
J’aime inscrire des mots commençant par des j
Sur l’ivoire bénin de mes humbles tablettes.

Parfois je vais errer sur le vieux tertre où gît
Le souvenir dolent des pauvres poires blettes,
Et puis je m’en reviens, tranquille, en mon logis
Où mon petit-neveu tardivement goblette.

Alors, si le dîner n’est pas encore cuit,
Je décroche un fusil et je mange un biscuit
Avec mon perroquet sur le pas de ma porte;

Je laisse au lendemain son air mystérieux,
Et mon esprit flâneur suit à travers les cieux
Le rêve qui troubla l’âme du vieux cloporte.

Q8 – T15