Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse, — 1873 (21)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Sonnet à Sir Bob
chien de femme légère, braque anglais pur sang.

Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse,
Je grogne malgré moi – pourquoi? – Tu n’en sais rien…
– Ah! c’est que moi – vois-tu – jamais je ne caresse,
Je n’ai pas de maîtresse, et … ne suis pas beau chien.

Bob! Bob! – Oh! le fier nom à hurler d’allégresse! …
Si je m’appelais Bob … Elle dit Bob si bien! …
Mais moi je ne suis pas pur sang. – Par maladresse,
On m’a fait braque aussi! … mâtiné de chrétien.

– Ô Bob! nous changerons, à la métempsycose:
Prends mon sonnet, moi ta sonnette à faveur rose;
Toi ma peau, moi ton poil! – avec puces ou non …

Et je serai sir Bob! – Son seul amour fidèle!
Je mordrai les roquets, elle me mordrait, Elle! …
Et j’aurais le collier portant Son petit nom.

British channel. 15 may.

Q8 – T15

Vers filés à la main et d’un pied uniforme, — 1873 (20)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

I
Sonnet

Avec la manière de s’en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme ….
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe: – on en suit quatre, en long;
A chaque pieu, la rime – exemple: chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

Télégramme sacré – 20 mots – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet – ) ô Muse d’Archimède!
– La preuve d’un sonnet est par l’addition:

– Je pose 4 et 4=8! Alors je procède,
En posant 3 et 3! – Tenons Pégase raide:
« Ô lyre! Ô délire! Ô… » – Sonnet – Attention!

Pic de la Maladetta. – Août.

Q8 – T15 – s sur s – On comparera ce ‘sonnet sur le sonnet’ de Corbière aux autres exemples contenus dans ce choix.

(a.ch)  » Dans son sonnet sur le sonnet, Corbière, horribile auditu, a fait un vers faux :
Je pose 4 et 4=8! Alors je procède, Même si on ne dit pas « égal » :
Je pose quatre et quatre : huit Alors je procède = 13 syllabes car huit a un h aspiré. Le vers n’est correct qu’oralement »

Bâtard de Créole et Breton, — 1873 (19)

Tristan Corbière Les Amours Jaunes

Paris

Bâtard de Créole et Breton,
Il vint aussi là – fourmillière,
Bazar où rien n’est en pierre,
Où le soleil manque de ton.

– Courage! On fait queue … Un planton
Vous pousse à la chaîne – derrière! –
… Incendie éteint, sans lumière;
Des seaux passent, vides ou non. –

Là, sa pauvre Muse pucelle
Fit le trottoir en demoiselle,
Ils disaient: Qu’est-ce qu’elle vend?

– Rien. – Elle restait là, stupide,
N’entendant pas sonner le vide
Et regardant passer le vent ….

Q15 – T15 – octo

J’ai pénétré bien des mystères — 1873 (18)

Charles Cros Le coffret de santal

Heures sereines

J’ai pénétré bien des mystères
Dont les humains sont ébahis:
Grimoires de tous les pays,
Etres et lois élémentaires.

Les mots morts, les nombres austères
Laissaient mes espoirs engourdis;
L’amour m’ouvrit ses paradis
Et l’étreinte de ses panthères.

Le pouvoir magique à mes mains
Se dérobe encore. Aux jasmins
Les chardons ont mêlé leurs haines.

Je n’en pleure pas; car le beau
Que je rêve, avant le tombeau,
M’aura fait des heures sereines.

Q15 – T15 – octo  – Les rimes des deux quatrains n’ont pas la même consonne d’appui.

J’ai bâti dans ma fantaisie — 1873 (16)

Charles Cros Le coffret de santal

Sonnet

J’ai bâti dans ma fantaisie
Un théâtre aux décors divers:
– Magiques palais, grand bois verts –
Pour y jouer ma poésie.

Un peu trop au hasard choisie,
La jeune première à l’envers
Récite quelquefois mes vers.
Faute de mieux je m’extasie.

Et je déclâme avec tant d’art
Qu’on me croirait pris à son fard,
Au fard que je lui mets moi-même.

Non. Sous le faux air virginal
Je vois l’être inepte et vénal,
Mais c’est le rôle seul que j’aime.

Q15 – T15 – octo

Beau corps, mais mauvais caractère. — 1873 (13)

Charles Cros–  Le coffret de santal

Croquis

Beau corps, mais mauvais caractère.
Elle ne veut jamais se taire,
Disant, d’ailleurs d’un ton charmant,
Des choses absurdes vraiment.

N’ayant presque rien de la terre,
Douce au tact comme une panthère.
Il est dur d’être son amant:
Mais qui ne s’en dit pas fou, ment.

Pour dire tout ce qu’on en pense
De bien et de mal, la science
Essaie et n’a pas réussi.

Et pourquoi faire? Elle se moque
De ce qu’on dit. Drôle d’époque
Où les anges sont faits ainsi.

Q1 – T15 – octo

Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1873 (10)

Le tombeau de Théophile Gautier.

Leconte de Lisle

A Théophile Gautier

Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel,
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Voir, entendre et sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un dieu plein d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés;
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre, et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme.

Q15 – T15

Orner le monde avec son corps, avec son âme, — 1873 (9)

Charles Cros Le tombeau de Théophile Gautier

Morale

Orner le monde avec son corps, avec son âme,
Etre aussi beau qu’on peut dans nos sombres milieux,
Dire haut ce qu’on rêve et qu’on aime le mieux,
C’est le devoir, pour tout homme et pour toute femme.

Seuls les déshérités du ciel, qui n’ont ni flamme
Sous le front, ni rayons attirants dans les yeux,
S’effarant de tes bonds, lion insoucieux,
T’en voulaient, mais le vent moqueur a pris leur blâme.

La splendeur de ta vie et tes vers scintillants
Te défendent, ainsi que les treize volants
Gardent rose, dans leurs froufrous, ta Moribonde.

Elle et toi, jeunes, beaux, pour ceux qui t’auront lu
Vous vivrez. C’est le prix de quiconque a voulu
Avec son corps, avec son âme orner le monde.

Q15 – T15

Il est mort le poète aux rimes enflammées, — 1872 (46)

Alfred Gabrié in Dominique Fernandez : Ramon (2009)

Sonnet (poème manuscrit sur la mort de Théophile Gautier)

Il est mort le poète aux rimes enflammées,
Le chantre d’Albertus, ouvrier glorieux,
Qui de son style d’or cisela les Camées,
Et sur l’art pur posa son pied victorieux.

Amoureux de la forme, il chante les Almées,
Les rêves de la chair, doux et mystérieux ;
Les chauds enivrements, les passions calmées,
Et dans tout il posa son regard curieux.

Son vers, tout parfumé de parfum poétique,
Fait revivre en nos cœurs le culte de l’Antique,
Seul Dieu qu’il adorât plus que les chastes Soeurs ;

Mais hélas ! lui, poète ennemi du squelette,
Sous notre loi moderne a dû courber la tête,
Et livrer son cadavre aux sombres fossoyeurs!

Q8  T15