Archives de catégorie : T15 – ccd eed

La Seine se laissait aller, verte et lascive, — 1869 (13)

Fernand Desnoyers Le vin …


Impassibilité de la nature

La Seine se laissait aller, verte et lascive,
Le long des saules qui, sur le bord de la rive,
Se miraient en elle et, mélancoliquement,
La regardaient dormir et passer en dormant.

On entendait parfois une note plaintive;
Lasse un peu vers le soir d’une chaleur trop vive,
La campagne faisait la sieste… – Par moment,
Du foin coupé sortait un soupir embaumant …

Deux enfants se baignaient, – quinze ou seize ans à peine;
Tout à coup un des deux regagne, hors d’haleine,
La berge, en s’écriant: Au secours! Au secours!

Une tête flottait, sombrait pour reparaître,
Puis on ne vit plus rien que quelques ronds, peut-être …
L’eau ridée un instant continuait son cours …

Q1 – T15 ce sont presque les seuls sonnets de cet auteur, qu’on ne connaît guère que parce qu’il aurait été l’inspirateur de la série des ‘vins’ de Baudelaire. Je regrette fort qu’il n’en ait pas écrit plus.

Du fond de l’horizon le soleil faisait feu — 1869 (12)

Fernand Desnoyers Le vin …


Vue prise au Bois de Boulogne

Du fond de l’horizon le soleil faisait feu
Comme une batterie, et balayait la route;
Des souffles embrasés tombaient du ciel tout bleu.
Je sentais mon front fondre et couler goutte à goutte.

J’entrai dans un massif pour me remettre un peu.
La fraicheur descendant des feuillages en voûte,
Le silence, ou plutôt le mystère du lieu
Enveloppa mon âme et la captiva toute.

Les tableaux du passé, les bonheurs d’autrefois,
Pleins de beau temps, d’amour, de senteurs et de voix,
S’envolaient en chantant de ma pensée ouverte.

Comme je relevais la tête par hasard,
J’aperçus me couvant d’un étrange regard,
Un pendu souriant, dont la face était verte.

Q8 – T15

Il me souvient d’avoir été guillotiné, — 1869 (9)

Fernand Desnoyers Le vin
Impressions d’un guillotiné
Poème en trois sonnets

I
Il me souvient d’avoir été guillotiné,
Accident dont j’ai fait l’analyse complète
La séparation du tronc et de la tête
Fait mal, quoiqu’on en dise, au pauvre condamné.

Le chef tombé resta pensif comme un poète.
Un battement nerveux dans un côté du né
Fixa l’oeil du bourreau fort impressionné
Qui m’avait fait l’effet d’un commerçant honnête.

Je fus vraiment flatté d’occuper son regard.
Mon spectre s’incrusta dans son esprit hagard …
La souffrance a cessé quand la tête est coupée.

La cause de ma mort fut que j’avais haché
Comme chair à pâté, sans même être fâché,
Ma femme, après l’avoir indignement trompée.

Q15 – T15

Sa Seigneurie est sur le continent. – Les hêtres — 1869 (8)

coll. Le Parnasse Contemporain – deuxième série –

Ernest d’Hervilly

The Park

Sa Seigneurie est sur le continent. – Les hêtres
Sous lesquels Robin-Hood jadis tendit son arc
Mugissent, défeuillés, au fond du noble Park,
Blackwood -Castle est désert; closes sont les fenêtres.

Rivière de high-life, à travers un gazon
Ratissé sans relâche, eau flegmatique et noire,
Coule à présent la source où s’arrêtait pour boire
Le brave Outlaw chargé de fraîche venaison.

Le domaine est ouvert au public. – Véritable
Faveur, Mylords! – Pourtant, bien qu’il soit confortable,
Elégant et correct – de la fleur au caillou, –

Les promeneurs jamais n’y troublent les corneilles:
Nul Bottom de village, aux joyeuses oreilles,
N’y vient se faire dire: O my dear, I love you!

Q63 – T15

Puisque la femme est infidèle, — 1869 (7)

Henri Cantel Amours et priapées

Sagesse

Puisque la femme est infidèle,
Que son coeur est une hirondelle
Qui part et brise d’un coup d’aile
Le nid de ses amours,

Sans nous donner des airs moroses,
N’aimons rien, aimons toutes choses,
Butinons lys, verveine et roses
Qui verdissent toujours.

Aux corolles brunes ou blondes
Laissons nos lèvres vagabondes
Courir et s’embraser,

Et nos coeurs, lascives abeilles,
Faire mourir les fleurs vermeilles
Sous le dard du baiser.

aaab a’a’a’b – T15 – 2m (octo; 6s: v.4, v.8, v.11, v.14)

Allons! éveillez-vous, ma mie — 1869 (5)

Henri CantelAmours et priapées

5-7 Le livre de Henri Cantel est mis par la Bibliothèque de France en Enfer. Il paraît bien anodin pourtant.

L’angélus

Allons! éveillez-vous, ma mie!
Ecouter tinter l’angélus!
Rouvrez votre bouche endormie,
Venez prier sur mon phallus!

Venez! c’est la prière humaine
Qu’à Platon Socrate chanta,
Celle qu’en voyant Magdelaine,
Jesus sur la croix regretta.

Du sommeil chassez les mensonges:
Mon corps vous offre d’autres songes,
Où vous mourrez avant la mort.

Vous verrez ce que vaut l’extase
De ce doux Ave qui s’embrase
Sous votre lèvre qui le mord.

Q59 – T15  octo

C’est aux peuples, enfants, qu’appartient l’Epopée; — 1869 (4)

Theodoric Geslain sonnets provinciaux

Le Sonnet

C’est aux peuples, enfants, qu’appartient l’Epopée;
L’Ode chante leurs chefs, l’Idylle leurs pasteurs:
Quand le sceptre a soumis la houlette et l’épée,
Les Homères n’ont plus que des imitateurs.

De sa naïve foi, la Muse émancipée,
De la philosophie affronte les hauteurs:
Le choeur murmure encor l’antique Mélopée,
Mais le Drame s’impose au flôt des spectateurs.

Eschyle, Aristophane ont engendré Shakespeare.
Leur race, avec Corneille, avec Molière expire!
Melpomène et Thalie attendent le réveil ….

Du prosaïsme froid, l’ombre envahit le monde, ….
– Mais le Sonnet jaillit de cette nuit profonde,
Et dans son étincelle, on reçoit le Soleil.

Georges Garnier

Q8 – T15 – s sur s

De l’oubli magique venue, — 1869 (1)

Stéphane Mallarmé deuxième version manuscrite du sonnet  ‘De l’orient passé des Temps

Alternative

De l’oubli magique venue,
Nulle étoffe, musique et temps,
Ne vaut la chevelure nue
Que, loin des bijoux, tu détends.

En mon rêve, antique avenue
De tentures, seul, si j’entends
Le Néant, cette chère nue
Enfouira mes yeux contents!

Non. Comme par les rideaux vagues
Se heurtent du vide les vagues,
Pour un fantôme les cheveux

Font luxueusement renaître
La lueur parjure de l’Etre,
– Son horreur et ses désaveux.

Q8 – T15  octo

O sole ! poisson merveilleux ! — 1868 (27)

Eugène Vermeersch Sonnets gastronomiques

La sole

O sole ! poisson merveilleux !
Il faudrait au moins dix chapitres
Pour énumérer tous tes titres
A ce sonnet respectueux.

Les Vatel te comprennant, eux,
T’entourent du velours des huîtres,
Des truffes, des moules bêlitres,
Et des champignons savoureux.

La Nature s’est surpassée
Quand elle ourdit ta chair, tissée
De filets tenus, égrillards

Et qui mieux qu’un savant breuvage
Révèlent au penchant de l’âge
L’Amour dans le sang des vieillards.

Q15  T15  octo

Lorsque montent des bois les brouillards de rosé, — 1868 (26)

Eugène Vermeersch Sonnets gastronomiques

La perdrix

Lorsque montent des bois les brouillards de rosé,
Marchant à petits pas dans les chants endormis,
La perdrix, se drapant dans la soie ardoisée
De sa robe, poursuit les vers et les fourmis.

Plongeant au loin ses yeux ronds et clairs, la rusée
Fait le plus doux espoir des succulents salmis,
Si quelqu’un vous parlait – langue malavisées ! –
De choux, oh ! qu’il ne soit jamais de vos amis !

C’est un sot ! … Fuyez la mode périgourdine
Que la truffe y soit rare et discrère – en sourdine !
Elle doit être là comme un simple éperon.

Gourmets ! servez sa chair aux pieds roses, rôtie,
Une bande de lard voilant sa modestie,
L’estomac arrosé des larmes du citron.

Q8  T15