Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Rue Aubry-le-Boucher on peut te foutre en l’air, — 1944 (17)

Robert DesnosA la caille

Rue Aubry-Le-Boucher (en démolition)

Rue Aubry-le-Boucher on peut te foutre en l’air,
Bousiller tes tapins, tes tôles et tes crèches
Où se faisaient trancher des sœurs comaco blèches
Portant bavette en deuil sous des nichons riders.

On peut te maquiller de béton et de fer
On peut virer ton blaze et dégommer ta dèche
Ton casier judiciaire aura toujours en flèche
Liabeuf qui fit risette un matin à Deibler.

A Sorgue, aux Innocents, les esgourdes m’en tintent.
Son fantôme poursuit les flics. Il les esquinte.
Par vanne ils l’ont donné, sapé, guillotiné

Mais il décarre, malgré eux. Il court la belle,
Laissant en rade indics, roussins et hirondelles,
Que de sa lame Aubry tatoue au raisiné.

Q15 – T15

Parce qu’il est bourré d’aubert et de bectance — 1944 (16)

Robert DesnosA la caille

Pétrus d’Aubervilliers

Parce qu’il est bourré d’aubert et de bectance
L’auverpin mal lavé, le baveux des pourris
Croit-il encor farcir ses boudins par trop rances
Avec le sang des gars qu’on fusille à paris?

Pas vu? Pas pris! Mais il est vu, donc il est frit,
Le premier bec-de-gaz servira de potence.
Sans préventive, sans curieux et sans jury
Au demi-sel qui nous a fait payer la danse.

Si sa cravate est blanche elle sera de corde.
Qu’il ait des roustons noirs ou bien qu’il se les morde,
Il lui faudra fourguer son blaze au grand pégal.

Il en bouffe, il en croque, il nous vend, il nous donne
Et, à la Kleberstrasse, il attend qu’on le sonne
Mais nous le sonnerons, nous, sans code pénal.

Q11 – T15

Maréchal Ducono se page avec méfiance, — 1944 (15)

Robert DesnosA la caille

Maréchal Ducono

Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déjà loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.

S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience?

A la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche:
Maréchal Ducono continue à pioncer.

C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme flotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser.

Q15 – T15

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent — 1944 (14)

Robert DesnosCalixto

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent
Graver sur les parois la frise d’un passé
Où la vie et le rêve et l’oubli, espacé
Par les nuits, revivront en symboles bizarres.

Je viens au labyrinthe où, plus gros qu’une amarre,
Se noua le vieux fil avant de se casser.
Ses deux bouts sur le sol roulent sans se lasser
Tout se taît, mais je sens naître au loin la fanfare.

Tu viens au labyrinthe et, d’un pas sans défaut,
Du seuil au seuil tu vas, tu passes sans assaut,
Ton être se dissout dans sa propre légende.

Je viens au labyrinthe oublier mes cinq sens.
J’ai choisi le courant sans en choisir le sens.
La fanfare s’éteint avant que je l’entende.

Q15 – T15

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour — 1944 (11)

Robert Desnos Contrée

Le paysage

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,
Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.

C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit
L’écume dans la mer, dans le ciel ce nuage.

A vieillir tout revient rigide et lumineux,
Des boulevards sans nom et des cordes sans nœuds.
Je me sens me roidir avec le paysage.

Q15 – T15

Nous avons vu la liberté — 1944 (6)

Jean Tardieu in Margeries (1986)

Sur les bords de la Seine

Nous avons vu la liberté
Sous des couleurs sans consistance:
Elle prend une autre existence
Au fond de nos cœurs déchirés!

Tout ce qui fut la Connaissance
Dans nos veines est bien resté
Et remonte à la conscience
Comme le cri de la clarté.

Je vois la Seine qui s’allonge
Et déroule autour de nos songes
Ses arbres d’or et ses palais.

Que nos regards trop lourds s’y posent
Pour trouver la lumière éclose
Aux feux d’un immortel reflet.

Q17 – T15 – octo

Les poètes, un jour, reviendront sur la terre. — 1944 (1)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

 » Dès la première nuit j’ai commencé mes sonnets. Couché sur ma paillasse, avec mon pardessus, mon cache-nez, mes gants, mes souliers, je me suis senti comme un bloc passif, la momie, l’Osiris qu’on envoie dans la nuit. (…) Je dormais très peu à cause du froid : je m’occupais donc à mes exercices poétiques, me récitant par cœur les sonnets déjà composés, les corrigeant, les complétant. J’ai ainsi écrit sur la page blanche intérieure à peu près un demi-sonnet par nuit.  »

V

Les poètes, un jour, reviendront sur la terre.
Ils reverront le lac et la grotte enchantée,
les jeux d’enfant dans les bocages de Cythère,
le vallon des aveux, la maison des péchés

et toutes les années perdues dans la pensée,
les sœurs plaintives et les femmes étrangères,
le bonheur féerique et la douce fierté
qui posait des baisers à leur front solitaire.

Et ils reconnaîtront, sous des masques de folles,
à travers Carnaval, dansant la farandole,
leurs plus beaux vers enfin délivrés du sanglot

qui les fit naître. Alors, satisfaits, dans le soir,
ils s’en retourneront en bénissant la gloire,
l’amour perpétuel, le vent, le sang, les flots.

Q11 – T15

Le jour est à sa place et coule à fond de temps, — 1943 (7)

Robert DesnosEtat de veille

Saisons

Le jour est à sa place et coule à fond de temps,
A moins que l’être monte à travers des espaces
Superposés dans la mémoire et délestant
La cervelle et le cœur de souvenirs tenaces.

Etés, puissants étés, votre nom même passe,
Etre et avoir été, passe-temps et printemps,
Il passe, il est passé comme une eau jamais lasse,
Sans cicatrices, sans témoins et sans étangs.

Saisons, vous chérissez du moins le grain de blé
Qui doit germer aux jours de dégels et la clé
Pour ouvrir au départ les portes charretières.

Les astres dans le ciel par vous sont rassemblés,
L’an va bientôt finir et des pas accablés
Traînent sur les chemins ramenant aux frontières.

Q11 – T15

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit — 1943 (6)

Robert DesnosEtat de veille

Fantôme

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit
Nous sépare qu’en vain tu fatigues ta vue:
Tu te tais, car l’espace, où se dissout la rue,
Nous-même nous dissout et nous saoule de bruit.

C’est l’heure où panaché de fumée et de suie,
Le toit comme une plage offre au fantôme nu
Son ardoise où mirer le visage inconnu
De son double vivant dans un miroir de pluie.

Fantôme, laisse-nous rire de ta sottise,
Tu habites les bois, les châteaux, les églises
Mais tu es le valet de tout homme vivant.

Aussi n’as-tu jamais fait de mal à ces êtres,
Tant, s’ils ouvraient un soir la porte et les fenêtres,
Tu dissoudrais la nuit dans le bruit et le vent.

Q63 (a’=a*; b’=*) – T15   Les rimes du premier quatrain sont masculines; féminines celles du second.

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine — 1940 (2)

Olivier LarrondeL’ivraie en ordre (ed. 2002)


Juvenilia

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine
J’ai des mains plein ma poche et je les distribue.
Ta mèche de fer m’égratigne, j’aurais peine
A rhabiller de soie la mamelle où j’ai bu.

Il faudrait tout vous dire, oublier qui vous mène
Et si des mains coupées vous ont les bras tenus.
Un pirate déguise une peau de panthère
Ce pelage d’infante un autre dissimule.

Tes pieds gelés déforment  mon image, bouge,
Enlève ton sourire: il me coupe la bouche.
La bouteille vidée tend sa lèvre à la mer.

Une étoile vous brûle et vous perdez la tête
L’étoile qui vous brûle est une cigarette
(Vous devez regarder mon sonnet de travers).

Q8 – T15 – disp: 8+3+3