Archives de catégorie : T15 – ccd eed

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table, — 1927 (1)

J.P. Samson Emploi du temps

Bacchante
sonnet dans le goût de Laurent Tailhade

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table,
Elle a, sous le chaud d’une plume à trois francs,
L’œil en éclipse et le sourire contestable
D’une qu’un trop long jeûne expose au mal d’enfants.

Plus votive que, peint sur quelque vieux rétable,
Un évêque, le jus du ciboire extirpant,
Elle sirote, aux frais de son mec lamentable,
Du cidre sans alcool le jus déconstipant.

Le restaurant végétarien résonne aux cris
De sa gorge que racle un ressaut de prurit
Guère orgiaque, hélas! … c’est la bombe pas chère;

Et lorsqu’on bouclera le sinistre local,
Ils éliront, debout aux échos d’un choral
Salutiste, pour ça, une porte cochère.

Q8 – T15

A la poste d’hier tu télégraphieras — 1926 (4)

Robert DesnosC’est les bottes de 7 lieues cette phrase ‘Je me vois’


Les gorges froides
A Simone

A la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.

La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles!

C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.

Adieu! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.

Q8 – T15

Pélops, par l’épaule d’ivoire — 1924 (7)

Tristan Derème La verdure dorée

Pélops, par l’épaule d’ivoire
Qui tous les maux guérit,
M’arracheras-tu de l’esprit
La face de ta gloire?

Chaque aube annonce une victoire
Que l’autre aube flétrit.
Plus heureux celui qui n’écrit
Et ne pense qu’à boire.

Il est aux bois tièdes et verts
Des jeunes femmes, et tes vers
N’ont que toi pour les lire.

Et le vent dans un  peuplier
Quand il chante fait oublier
Les cordes de ta lyre.

Q15 – T15 – 2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v.11, v.14

Père ! protégé de silence ! — 1923 (10)

Mélot du Dy in Le Disque vert

Sonnet pour M. Max Jacob

Père ! protégé de silence !
Méchant ! des grâces visité !
C’est bien le diable, c’est bien l’ange,
Si je n’entends la vérité.

Or, je vous nomme, et sur la langue,
C’est un goût d’immortalité :
Monsieur, votre œuvre est excellente
(Les gentils vous ont imité).

Honneur au poète célèbre !
Mais gloire au poète céleste,
L’heureux démon que Dieu défend !

Et l’ange murmure en cachette :
Monsieur Jacob, voyez l’échelle,
Voyez tous vos petits enfants …

Q8  T15  octo

Son père trafiquait, en l’obscure boutique — 1922 (6)

Louis Brauquier L’au-delà de Suez

Le marchand grec

Son père trafiquait, en l’obscure boutique
Parmi l’odeur de crasse d’homme et de pipi,
Le cuivre, les petites filles, les tapis
Dans la ruelle du faubourg de Salonique.

Mais lui n’a jamais fait que six mois de prison
Pour avoir spéculé sans pudeur sur les huiles.
Il mène sur les quais sa grosse automobile
Déjeune chez Suquet et dîne chez Peysson.

Il achète le blé, les cuirs et l’arachide
Affrète des bateaux vers des villes torrides
Et, bénissant son père, au moins dix fois par jour,

Il corrompt de son or les mères sans scrupules,
Qui conduisent chez lui, dans le noir crépuscule
Leurs filles vierges qui demeurent son amour.

Q63 – T15

Ni vu ni connu — 1922 (2)

Paul ValéryCharmes

Le sylphe

Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu!

Ni vu ni connu
Hasard ou génie?
A peine venu
La tâche est finie!

Ni lu ni compris?
Aux meilleurs esprits
Que d’erreurs promises!

Ni vu ni connu
Le temps d’un sein nu
Entre deux chemises!

Q47 – T15 – y=x : e=a – 5s – le vers 1 est repris deux fois

Madame, de ce jour vous souvient-il encore — 1921 (18)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet serpentin

Madame, de ce jour vous souvient-il encore
Qui s’écoula pour moi si rapide et si doux,
Où, de l’aurore au soir et du soir à l’aurore,
Je ne fis que vous voir ou que penser à vous ?

Un bon feu pétillant dans le foyer sonore,
Dehors un temps de chiens orné d’un froid de loups,
Et moi les yeux fixés sur deux yeux que j’adore,
Sans fâcheux importuns et sans témoins jaloux ;

Et puis le soir, plein de mystère et de silence,
De vos lèvres faisant tomber la confidence,
Et tout bas dans mon cœur balbutier l’amour ;

Puis la nuit m’endormant sous le toit où vous êtes,
Pleine pour moi de trouble et d’angoisses secrètes…
Vous souvient-il encor, Madame, de ce jour ?

Q8 – T15  ‘sonnet serpentin’ : le dernier vers reprend plus ou moins le premier

Tu fus un bon bourgeois de ta petite ville, — 1921 (16)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Emmanuel Kant

Tu fus un bon bourgeois de ta petite ville,
Tu vécus solitaire et comme clandestin ;
Sans jamais réfléchir un horizon lointain,
Le ruisseau de tes jours coula calme et tranquille.

Mais tout jeune tu pris ton front pur dans ta main,
Dédaignant du dehors le tumulte stérile,
Et de tes yeux fermés le regard immobile
Traversa, net et froid, l’ombre du cœur humain.

Là, levant lentement les lourds voiles du doute,
Comme une lampe d’or pendue aux saintes voûtes,
Tu vis la Loi-Devoir écrite en traits de feu.

Et tu te relevas plein d’une fierté franche…
Tu t’aperçus alors que ta tête était blanche
Et, les yeux vers le ciel, tu t’écrias : « Mon Dieu !

1873.

Q16 – T15