Archives de catégorie : T17 – cdc cdc

Il portait un oeil louche extraordinaire et répugnant — 1976 (1)

William Cliff Ecrasez-le

Plongeur
A Conrad Detrez

Il portait un oeil louche extraordinaire et répugnant
En plongeant la vaisselle en l’eau graisseuse et qui clapote
Il levait cet oeil louche aux trois clients de la gargote
Avaler faisait mal sous ce regard inquiétant.

Etait-il vraiment laid visage et corps absolument
Un monstre relégué aux profondeurs de cette grotte
A moitié camouflé par le comptoir et par la hotte
Enorme qui buvait la friterie et ses relents?

Je ne sais quelle grâce transpirait de sa personne
Noblesse du maintien beauté du geste affinité
Avec la majesté des grands malheurs qui nous étonnent

Vieilles malédictions ou catastrophes héréditaires
D’ancêtres très lointains acharnés pilleurs de charognes
Dont on paye aujourdhui le prix du vice et du péché.

Q15 – T17? – 14s – Formule des tercets approximative

A quoi bon ? me disais-je. A quoi bon ? A quoi bon ? — 1958 (14)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

Mon adolescence immédiatement présente

A quoi bon ? me disais-je. A quoi bon ? A quoi bon ?
(Car je me croyais né d’une couple d’andouilles.)
Je me grattais le corps du nez jusqu’aux couilles.
« Ah ! que je suis ! (me disais-je) Ah ! que je suis con !

As-tu vu le homard au frais parmi les nouilles ? »
Non ! je l’avais pas vu ! j’étais pourtant planton …
Alors tu aperçois dans la plaine des douilles ?
(J’étais mauvais tireur au fusil à piston …)

Ah ! lài lài mais tout ça ce n’est que souvenir !
Je ne supportais plus le passé dans mes songes
Et je levais le poids des regrets … un soupir ..

A quoi bon ! me disais-je Est-ce que le tapir
Vole beaucoup plus haut que ne font les éponges ?
Peut-être ces questions n’ont aucun avenir

Q17  T17

J’avais plongé mes doigts au fond de la marmite — 1958 (12)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

J’avais plongé mes doigts au fond de la marmite
où cuisaient découpés les débris du passé
j’en tirai deux testicules et une bite
je me suis demandé ce qui s’était passé

tout ça c’était à moi douleur furie et rage!
ce cher petit bouquet assaisonnait dûment
je ne sais trop quel académique potage
qu’on sert aux miséreux quotidiennement

Ainsi j’en étais là. Je regardais ce triple
reste de ce qu’on nomme la virilité
et me mis à penser à ces anciens périples

qui menaient tout autour de cette obscure Afrique
où quelque fois l’on échoue, un beau soir d’été
pour au total se voir faire cuire la tripe

Q59 – T17

Les objets ont l’immortelle tranquillité — 1949 (5)

Pierre-Jean JouveDiadème

Choses, I

Les objets ont l’immortelle tranquillité
Et l’immortel amour quand les relient les nombres
Entre l’antique ton la belle majesté
Du temps et le lieu pur l’espace en clair et sombre

Quand les formes sont nues ainsi la pleine chair
Consentante aux frissons, quand ressortent les songes
Des ornements secrets, quand un rayon d’éclair
Pressant chaque mémoire entre eux les fait répondre

Quand leur calme sortant pareil à l’oraison
Ils donnent au cœur d’homme avant qu’il ne les perde
Tout à coup sécurité consolation

Chacun est au plus haut dans les êtres qui sont
L’achèvement de leur mariage est leur superbe
Où Dieu pose la main sur la condition.

Q59 – T17

Un regret plus mouvant que la vague marine — 1912 (3)

Charles PéguyLes sonnets

L’épave

Un regret plus mouvant que la vague marine
A roulé sur ce cœur envahi jusqu’au bord.
Un jour plus solennel que le jour de la mort
S’est levé sur le foc et sur la brigantine.

Un espoir plus étroit que la voile latine
Portera-t-il jamais jusqu’au recreux du port,
Fera-t-il pénétrer jusqu’au secret du sort
La nef aux bois courbés coupés sur la colline.

Quand le juste pilote a déserté le nord,
Hommes laisserons-nous cette main enfantine
Saisir le gouvernail et redresser le tort.

Quand le vieux capitaine est tombé de son fort,
Laisserons-nous la voix apparemment mutine
Commander par tribord, par bâbord, et sabord.

Q15 – T17 – y=x (c=b & d=a)

Inscriptions cunéiformes, — 1888 (8)

Charles CrosLe Collier de griffes

Epoque perpétuelle

Inscriptions cunéiformes,
Vous conteniez la vérité;
On se promenait sous des ormes,
En riant aux parfums d’été;

Sardanapale avait d’énormes
Richesses, un peuple dompté,
Des femmes aux plus belles formes,
Et son empire est emporté!

Emporté par le vent vulgaire
Qu’amenaient pourvoyeurs, marchands,
Pour trouver de l’or à la guerre.

La gloire en or ne dure guère;
Le poète sème des chants
Qui renaîtront toujours sur terre.

Q8 – T17 – octo

Madame, l’autre soir, j’ai pris votre éventail. — 1873 (3)

Ulysse LandeauSonnets et Sornettes

L’éventail

Madame, l’autre soir, j’ai pris votre éventail.
J’eusse aimé mieux sans doute enlacer votre taille
J’aurais scandalisé des jaloux le bétail,
A tous il m’eut fallu livrer alors bataille.

Du reste, dans mes mains, moi qui suis sans sérail
Que fait un éventail? Il fait que l’on me raille.
Il est fait pour voiler vos lèvres de corail
Et de vos yeux brillants la fulgurante entaille.

Enfin, je vous dirai qu’étant l’épouvantail
Des maris, et de peur qu’en pièces l’on me taille,
Je viens réintégrer votre objet au bercail.

Aussi vous me jurez que de votre éventail
Vous viendrez m’éventer, sans pour cela qu’il faille
Contractuellement, lire et signer un bail.

Q8 – T17- y=x (c=a & d=b – Rimes: ail/aille (b=a*))

Dans un album gothique au fermail blasonné, — 1855 (7)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Gothique

Dans un album gothique au fermail blasonné,
Vrai bijou de prie-Dieu, digne du Roi René,
Portant sur son velours, avec ma croix de sable,
Votre Lion rampant, de sa couronne orné,

Sur un vélin d’azur et d’or enluminé,
Où brilleraient Jésus et la Bible et la Fable,
Je voudrais chaque soir, ô Baronne adorable!
Fleuron aux cent couleurs dessiner un sonnet.

Etincelant écrin, trésor de ciselure,
Un vers seul vaudrait mieux qu’un tableau de Mignard,
Vers mignon, mignardé plus qu’une miniature.

J’émaillerais si bien la rime et la césure,
Sur mon cadre sculpté j’épuiserais tant d’art
Qu’au milieu je pourrais peindre votre figure.

aaba abba – T17

La treizième revient … C’est encor la première; — 1854 (9)

Gérard de Nerval Les Chimères

Artémis

La treizième revient … C’est encor la première;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment;
Car es-tu Reine, ô Toi! la première ou dernière?
Es-tu Roi, toi le Seul ou le dernier amant? …

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement:
C’est la Mort – ou la Morte … O délice! ô tourment!
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

Saint napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de Sainte Gudule:
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des Cieux?

Roses blanches, tombez! vous insultez nos Dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle:
– La Sainte de l’Abîme est plus sainte à mes yeux!

Q9 – T17

Pétrarque nous a dit l’histoire d’un vieillard — 1840 (3)

– comte Ferdinand de Gramont – Sonnets

XXXII

Pétrarque nous a dit l’histoire d’un vieillard
Qui, de l’Age sentant venir le dernier terme,
Rassembla ses enfants; et là, tranquille et ferme,
Des biens et des conseils fit à chacun sa part;

Puis il leur dit adieu, prend son bâton, et part.
De la douce famille et de l’antique ferme
Il s’éloigne, et son coeur dans son désir s’enferme;
Il se hâte, craignant qu’il ne soit déjà tard.

Quand le blanc pèlerin fut à Rome la Sainte,
Il mourut, en voyant l’image de Celui
Qu’il allait retrouver dans la céleste enceinte;

O poésie! Ainsi, repoussant toute plainte,
Je m’achemine au but d’où ton éclair m’a lui;
Que la Mort jusque là suspende son atteinte!

Q15 – T17