Archives de catégorie : T23 – cdc dee

Le dimanche, je reste au logis, accoudé — 1873 (36)

Robert Caze Les poèmes de la chair

Plaisirs du dimanche, sonnet bourgeois

Le dimanche, je reste au logis, accoudé
Sur un livre de vers ou bien sur une estampe ;
Et, pour chasser l’ennui qui parfois bat ma tempe,
Je fume lentement ma pipe, comme un dey

Nonchalant et rêveur sous son turban brodé.
Subtile, la fumée au plafond glisse, rampe,
Et meurt. Puis tout à coup j’entends frémir la rampe
De l’escalier; car un ami dévergondé

M’emmène dans les bois de Chaville ou d’Asnières,
Boire du petit bleu, manger du poisson frit.
L’on se grise et l’on fait la cour aux canotières.

Aussi, le lendemain, trouve-t-on dans son lit
Une femme couchée à côté de soi-même,
Qui vous dit doucement à l’oreille : « je t’aime ! »

Q15  T23

Pour mettre une couronne au front d’une chanson, — 1873 (11)

Le tombeau de Théophile Gautier.

Swinburne (Algernon Charles)

Sonnet

Pour mettre une couronne au front d’une chanson,
Il semblait qu’en passant son pied semât des roses,
Et que sa main cueillît comme des fleurs écloses
Les étoiles au fond du Ciel en floraison.

Sa parole de marbre et d’or avait le son
Des clairons de l’été chassant les jours moroses;
Comme en Thrace Apollon banni des grands cieux roses,
Il regardait du coeur l’Olympe, sa maison.

Le soleil fut pour lui le soleil du vieux monde,
Et son oeil recherchait dans les flots embrasés
Le sillon immortel d’où s’élança sur l’onde

Vénus, que la mer molle énivrait de baisers;
Enfin, Dieu ressaisi de sa splendeur première,
Il trône, et son sépulcre est bâti de lumière.

Q15 – T23 – Compétent linguistiquement, Swinburne trahit son anglitude par le couplet final, peu conforme aux traditions dominantes du sonnet de langue française (même si Gautier le favorise).

La Néréide sort des flots et sur la plage — 1872 (36)

Cabaner

La Néréide

La Néréide sort des flots et sur la plage
Avance, l’oeil errant et le sein haletant.
Malgré sa terreur d’être aperçue, et comptant
Sur la nuit, elle arrive aux abords du village.

Et dans son désespoir enhardie: « ô volage!
Redit-elle, volage ami que j’aime tant!
Tu ne viens jamais plus, et tu sais bien, pourtant,
Que sans toi je souffre et que rien ne me soulage!  »

Telle est sa voix, que tous croient entendre la mer
En tourment … puis, s’étant retirée, aux premières
Lueurs du jour, debout, loin sur le flot amer,

Elle dressa ses bras, ses seins et ses paupières,
Et perdant lentement sa forme et ses couleurs,
La déesse mourut, s’étant fondue en pleurs.

Q15 – T23 – dédié à Théophile Gautier

Qui nous tient? de quel rire et de quelle ironie — 1870 (5)

Paul Delair Les nuits et les réveils

Questions

Qui nous tient? de quel rire et de quelle ironie
Sommes-nous les bouffons sans le savoir? Qui donc
Fit l’homme, et pour loger l’espérance infinie
Courba la voûte étroite et basse de son front?

Qui fait couler le fiel pour la vertu bannie?
Qui coupe, indifférent, la branche avec le tronc?
Qui rit au crime, et met sur sa tête impunie
La marque au nom de qui ses enfants règneront?

Qui suscite la peste et luit sur les batailles?
Qui ne baîllonne pas les gueules de la mer?
Qui maudit la semence et frustre les entrailles?

Et comme un sablier, dans le néant amer,
Qui nous vide? Et quand tout sera nu sur la terre,
Qui donc, pour s’amuser, pèsera la poussière?

Q8 – T23

Joli petit oiseau — 1869 (3)

– Theodoric Geslain (ed.) – Sonnets provinciaux

Un chant d’oiseau

Joli petit oiseau
Perché sur cet ormeau,
Que me dit ton langage
En ce charmant ramage?

« Laboureur, il fait beau;
Allons, vite à l’ouvrage;
Laisse-là ton manteau:
Va, ne crains pas l’orage!

« Et toi, jeune garçon,
En allant à l’école,
Ecoute ma leçon:

« Quitte ta gaîté folle,
Et pour moi sois humain.
C’est l’ordre du destin ».

Michel Poulailler

Q2 – T23 – 6s – bi

Les chênes ont gardé le vieil alignement; — 1868 (14)

coll. sonnets et eaux-fortes

Ernest d’Hervilly

La Rookery

Les chênes ont gardé le vieil alignement;
L’avenue est immense où le vent de mer sonne,
Héraut sombre, à plein cor, et, dans l’alignement
On voit les ais disjoints d’une porte saxonne.

Aux rameaux de chaque arbre écimé, qui frissonne
Et paillette le sol de feuilles, par moment,
Se balancent les nids énormes, que façonne,
Pour cent ans, le corbeau fidèle, gravement.

La noble Rookery, sur le ciel d’un gris tendre,
Découpe encor ses nids par milliers, mais dans l’air
De gais croassements ne se font plus entendre,

Et le Lord est couché, que vous rendiez si fier,
Sous un marbre déjà rongé par la bruine,
O grands nids désertés! O portail en ruine!

Q11 – T23

Charmants buveurs trinquant sous un orme, comblés — 1867 (3)

– in Charles Monselet Le Triple almanach gourmand pour 1867-8

Effets du vin de Romanée

Une estampe naïve et trop enluminée
Représente deux beaux de l’Empire attablés,
Sablant – comme ils disaient, – du vin de Romanée.
L’air fait dans le lointain onduler l’or des blés.

Charmants buveurs trinquant sous un orme, comblés
De tous les biens, humant et dégustant l’année
Des vins de Romanée – artistement sablés;
Habit bleu – la couleur du ciel de la journée,

Culotte beurre frais, cheveux à la Titus,
Teint clair comme le temps, dents blanches, tout engendre
La gaieté, que je classe au nombre des vertus.

Quand ce vin coule à flots, je pense les entendre,
Ces deux amis buvant, en plein air – je les vois
Réfléchis dans le vin, – et, ma foi, je les bois.

Fernand Desnoyers

Q11 – T23