Archives de catégorie : T30 – cdd cee

Al. Godillot, Gambier, — 1872 (20)

Album zutique

Rimbaud

conneries

II

Paris

Al. Godillot, Gambier,
Galopeau, Volf-Pleyel,
– O Robinets! – Ménier,
– O Christs! – Leperdriel!

Kinck, Jacob, Bonbonnel!
Veuillot, Tropmann, Augier!
Gill, Mendès, Manuel,
Guido Gonin! – Panier

Des Grâces! L’Hérissé!
Cirages onctueux!
Pains vieux, spiritueux!

Aveugles! – puis, qui sait?
Sergents de ville, Enghiens
Chez soi! – Soyons chrétiens!

Q11 – T30 – 6s

Tandis que les crachats rouges de la mitraille — 1872 (3)

Rimbaud

Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu;
Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu;

Tandis qu’une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant;
– Pauvres morts! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature! Ô toi qui fis ces hommes saintement! … –

– Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or;
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir!

Q59 – T30

J’aimais autrefois la forme païenne; — 1871 (12)

Parnasse contemporain, II

Théophile Gautier

Sonnet

J’aimais autrefois la forme païenne;
Je m’étais créé, fou d’antiquité,
Un blanc idéal de marbre sculpté
D’hétaïre grecque ou milésienne.

Maintenant j’adore une italienne,
Un type accompli de modernité,
Qui met des gilets, fume et prend du thé,
Et qu’on croit anglaise ou parisienne.

L’amour de mon marbre a fait un pastel,
Les yeux blancs ont pris un ton de turquoise,
La lèvre a rougi comme une framboise,

Et mon rêve grec dans l’or d’un cartel
Ressemble aux portraits de rose et de plâtre
Où la Rosalba met sa fleur bleuâtre.

Q15 – T30 – tara

Comme la perle fine avec art enchâssée, — 1869 (36)

Charles Coligny in l‘Artiste

Le sonnet

Comme la perle fine avec art enchâssée,
Brille en un cercle d’or étroit et pur écrin
Comme entre les parois d’un corset de satin,
Une taille légère est doucement pressée.

Comme le gant moulant une main parfumée,
Dessine exactement les ongles de carmin,
Au vers quatorzième imposant le mot : Fin !
Strictement le sonnet enserre la pensée.

Mais de tous ces liens se joue en souriant,
L’art calme et radieux, l’art fier que rien n’entrave,
Qui se relève roi quand on le croît esclave.

Chaque mot caressé par son doigt triomphant,
Etincelle parmi les frêles dentelures,
Comme un brillant orné de riches ciselures.

Q15  T30  s sur s

Un moment difficile à passer est celui — 1869 (10)

Fernand Desnoyers

Impressions d’un guillotiné

II
Un moment difficile à passer est celui
Où l’on est réveillé, le matin, par un prêtre
Auquel le condamné dit: « C’est pour aujourd’hui? … »
Et qui répond:  » Mon fils, vous allez comparaître … »

Et coetera – La main moite cherche un appui;
On se lève – Le vent de la mort vous pénètre
Comme un air glacial qui vient d’une fenêtre.
L’espoir se sèche en vous; on regrette la nuit …

La messe, les apprêts de la sombre toilette,
Le froid des grands ciseaux passant par les cheveux,
Causent des soubresauts et des hoquets nerveux.

L’échafaud apparaît. L’obliquité si nette,
Le luisant et surtout le calme du couteau,
Donnent à réfléchir … Le reste est fait bientôt.

Q9 – T30

Aline sommeillait un matin, Léona, — 1869 (6)

Henri Cantel Amours et priapées

Aline

Aline sommeillait un matin, Léona,
Voyant la blonde vierge en fleur, et demi-nue,
Dans ses veines sentit une force inconnue
Courir, comme la foudre éclatant sous la nue.

Sa folle passion soudain se déchaîna;
Elle trembla, rougit, pâlit. Ivre et farouche,
Elle enlaça sa proie, et lui ferma la bouche
D’un baiser. Lors l’enfant se dressa sur sa couche!

 » Aline, mon cher coeur et mon rêve adoré,
Va, ne crains rien, c’est moi, ta Léona, je t’aime
Et brûle d’infuser mon amour en toi-même!

Mes lèvres vont cueillir ton fruit tant désiré!  »
La victime, n’osant fuir l’oeil noir qui la couve,
Se taisait sous les dents puissantes de la Louve.

abbb ab’b’b’ – T30

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères — 1868 (25)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires

Les truffes

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères
De la subtile joie et du savant baiser !
Sans lesquelles il n’est point permis de priser
La table épiscopale & les royales chères !

Quand la pourpre du vin saigne en nos coupes claires,
Et que la lèvre en fleur commence à se griser,
Dans l’argent mat où vous aimez à reposer,
Vous brillez sur la nappe aux lueurs des torchères.

Truffes, salut ! … si dans les tubercules bruns
L’aï mousseux a fait pénétrer ses ivresses,
Un soufle plus chaud tremble aux bouches des maîtresses,

Et pour toi délaissant leurs blancs nids de caresses,
Dans les boudoirs secrets, loin des yeux importuns,
Les amoureux désirs nagent dans tes parfums.

Q15  T30

Une ville gothique, avec tout son détail, — 1868 (12)

coll sonnets et eaux-fortes

Théophile Gautier

Promenade hors des murs

Une ville gothique, avec tout son détail,
Pignons, clochers et tours forme la perspective;
Par les portes s’élance une foule hâtive,
C’est déjà le printemps, des prés verdit l’émail.

Le bourgeois s’endimanche et quitte son travail.
L’amoureux par le doigt tient l’amante craintive,
D’une grâce un peu roide, ainsi que sous l’ogive
Une sainte en prison dans le plomb d’un vitrail.

Quittant par ce beau jour, bouquins, matras, cornues,
Le docteur Faust, avec son famulus Wagner,
S’est assis sur un banc et jouit du bon air.

Il vous semble revoir des figures connues:
Wolgemuth et Cranach les gravèrent sur bois,
Et Leys les fait revivre une seconde fois.

Q15 – T30

Car les bois ont aussi leurs jours d’ennui hautain, — 1868 (10)

coll sonnets et eaux-fortes

Léon Dierx

Révolte

Car les bois ont aussi leurs jours d’ennui hautain,
Et, las de tordre au vent leurs grands bras séculaires,
S’enveloppent alors d’immobiles colères;
Et leur mépris muet insulte le destin.

Ni chevreuils, ni ramiers chanteurs, ni sources claires;
La forêt ne veut plus sourire au vieux matin,
Et, refoulant la vie aux plaines du lointain,
Arborera l’orgueil des douleurs sans salaires.

O bois! premiers enfants de la terre! grands bois!
Moi, dont l’âme en votre âme habite, et vous contemple,
Je sens les piliers prêts à maudire le temple.

Un jour, demain peut-être, arbres aux longs abois,
Quand le banal printemps reverdira nos fêtes,
Tous, vous resterez noirs, des racines aux faîtes.

Q16 – T30