Archives de catégorie : alal

Q8 – T14

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux — 1884 (6)

L. Jehan-Madelaine Sonnets de Pétrarque – Traduction libre –

I

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux
Rappellent les écarts de ma folle jeunesse,
Alors que, me croyant à jamais amoureux,
J’exaltais dans mes chants quelque belle maîtresse;

Si vous avez aussi brûlé des mêmes feux,
Eprouvé les tourments de l’amour, son ivresse,
Vous plaindrez mon malheur, mes accents douloureux
Et vous pardonnerez mon extrême faiblesse.

Je comprends maintenant qu’on traite d’insensé
Cet ancien sentiment: mon coupable passé,
Que je déplore, hélas!, dont je rougis moi-même.

Ma folie a produit ce fruit: le repentir.
Tout ce qui plaît au monde est mensonge ou blasphème:
Epris de l’amour vrai, je maudis le plaisir.

Q8 – T14 – tr (Pétrarque, rvf 1)

Enfant, il se plaisait à torturer les chats — 1879 (11)

L’union littéraire et le Sonnetiste réunis

Maurice Rollinat

Le mouchard

Enfant, il se plaisait à torturer les chats
Et leur tirait les yeux avec ses ongles sales;
Il bafouait son père et couvrait de crachats
Sa mère ayant pour lui des bontés colossales.

Jeune homme, au lupanar, artiste en entrechats,
Il faisait le pantin dans les ignobles salles;
La débauche et le vin formaient tous ses achats;
Son oeil avait déjà des lueurs transversales.

Homme, il s’est marié pour exercer son poing,
Et tandis que sa femme, hélas!, ne mangeait point,
Lui, se gorgeait sans honte avec des catins saoûles.

On le voit aujourd’hui moins fréquemment pochard.
Il passe cauteleux dans l’ombre et dans les foules:
C’est que l’affreux ivrogne est devenu mouchard.

Q8 – T14

Le sonnet, cadre étroit, mais où la poésie — 1876 (14)

Eugène Lambert in L’Artiste

Le sonnet

Le sonnet, cadre étroit, mais où la poésie
Enferme avec amour, sans le faire éclater,
Tout ce qui charme : amour, foi, raison, fantasie,
Et vient en ce milieu charmant pour y chanter !

C’est tout ce qu’il concentre en sa forme choisie ;
C’est la parcelle d’or que l’art sait présenter
A son creuset, qu’informe encore, il a saisie
Pour en fait un bijou qu’un burin doit sculpter ;

Tous les parfums d’Asie, et que le Tigre arrose,
En une goutte d’ambre ou d’essence de rose ;
Tous les rayons qu’un prisme en lui peut réunit ;

C’est toute la rosée, en sa perle irisée ;
Et tous les sentiments en un seul souvenir,
Et qui d’un coin du cœur nous font un Elysée !

Q8  T14  s sur s

Aussi, la créature était par trop toujours la même, — 1874 (23)

Verlaine Parallèlement

Le sonnet de l’homme au sable

Aussi, la créature était par trop toujours la même,
Qui donnait ses baisers comme un enfant donne aux lois,
Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.

Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :
Ce pouf était dans l’air dès le principe, je le vois ;
Quand la chair et le sang, exaspérés d’un long carême,
Réclamèrent leur dû, – la créature était en bois.

C’est le conte d’Hoffmann avec de la bétise en marge,
Amis qui m’écoutez, faites votre entendement large,
Car c’est la vérité que ma morale ; et la voici :

Si, par malheur, – puisse d’ailleurs l’augure aller au diable
Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,
Qu’il réclame un conseil de revision préalable.

Q8  T14  14 s.

Magnétiseur aux mains brûlantes, — 1874 (11)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Valéry Vernier

Le thé

Magnétiseur aux mains brûlantes,
Envoyé de l’Empire vert,
Qui rend les âmes nonchalantes
Aux raouts du Paris d’hiver,

Soutiens les forces chancelantes
De ces mondains qui, privés d’air,
Chaque nuit, victimes galantes,
S’étouffent en quelque concert.

Frère du spleen, Londres t’adore,
New York te chérit plus encore,
Moscou te sucre avec ferveur.

Mais, chez nous, malgré ta magie,
Si tu séduis un vrai buveur,
Ce n’est qu’aux lendemains d’orgie.

Q8 – T14  octo

lévitiques, — 1872 (24)

Album zutique

Rimbaud

Bouts-Rimés

lévitiques,
un fauve fessier,
matiques,
enou grossier,

apoplectiques,
nassier,
mnastiques
ux membre d’acier.

et peinte en bile,
a sébile
in,

n fruit d’Asie,
saisie,
ve d’airain.

Q8 – T14 – m.irr  – Le début des vers ayant disparu dans le manuscrit, il reste un sonnet réduit à ses ‘sections rimantes’ (comme disait Raymond Queneau) élargies; c’est un exemple (contingent) de ‘sonnet tronqué’, ou ‘trouvé’.

Nous reniflerons dans les pissotières — 1872 (21)

Album zutique

Verlaine

La mort des cochons
Paroles de Baudelaire
Musique de M. le Comte Auguste  Mathias Villers de l’Isle-Adam

Nous reniflerons dans les pissotières
Nous gougnotterons loin des lavabos
Et nous lècheront les eaux ménagères
Au risque d’avoir des procès-verbaux.

Foulant à l’envi les pudeurs dernières
Nous pomperons les vieillards les moins beaux
Et fourrant nos nez au sein des derrières
Nous humeront la candeur des bobos.

Un soir plein de foutre et de cosmétique
Nous irons dans un lupanar antique
Tirer quelques coups longs et soucieux

Et la maquerelle, entr’ouvrant les portes
Viendra balayer, – ange chassieux –
Les spermes éteints et les règles mortes.

Q8 – T14 – tara

On leur fait des sonnets, passables quelquefois; — 1870 (8)

Victor Hugo

Jolies femmes
Sonnet pour album

On leur fait des sonnets, passables quelquefois;
On baise cette main qu’elles daignent vous tendre;
On les suit à l’église, on les admire au bois;
On redevient Damis, on redevient Clitandre;

Le bal est leur triomphe, et l’on brigue leur choix;
On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre,
Tout en dansant, parmi les luths et les hautbois,
Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre:

– La force est tout; la guerre est sainte; l’échafaud
Est bon; il ne faut pas trop de lumière; il faut
Bâtir plus de prisons et bâtir moins d’écoles;

Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. –
Et ces colombes-là vous disent des paroles
A faire remuer d’horreur les os des morts.

Q8 – T14

Parce que de la viande était à point rôtie — 1862 (11)

Mallarmé in  Oeuvres complêtes – Poésies

Parce que de la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol,
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col,

Parce que d’un lit, grand comme une sacristie,
Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
Ou qu’il n’a pas sommeil, et que, sans modestie,
Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
Et travaille en soufflant inexorablement:

Et de ce qu’une nuit, sans rage et sans tempête,
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète!

Q8 – T14

Le vert colibri, le roi des collines, — 1862 (8)

Leconte de Lisle Poèmes barbares

Le colibri

Le vert colibri, le roi des collines,
Voyant la rosée et le soleil clair
Luire dans son nid tissé d’herbes fines,
Comme un frais rayon s’échappe dans l’air.

Il se hâte et vole aux sources voisines
Où les bambous font le bruit de la mer,
Où l’açoka rouge, aux odeurs divines,
S’ouvre et porte au coeur un humide éclair.

Vers la fleur dorée il descend, se pose,
Et boit tant d’amour dans la coupe rose,
Qu’il meurt, ne sachant s’il l’a pu tarir.

Sur ta lèvre pure, ô ma bien-aimée,
Telle aussi mon âme eût voulu mourir
Du premier baiser qui l’a parfumée!

Q8 – T14 – tara