Archives de catégorie : banv

A des heures et sans que tel souffle l’émeuve — 1899 (26)

Mallarmé Poésies

Remémoration d’amis belges

A des heures et sans que tel souffle l’émeuve
Toute la vétusté presque couleur encens
Comme furtive d’elle et visible je sens
Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve

Flotte où semble par soi n’apporter une preuve
Sinon d’épandre pour baume antique le temps
Nous immémoriaux quelques-uns si contents
Sous la soudaineté de notre amitié neuve

O très chers rencontrés en le jamais banal
Bruges multipliant l’aube au défunt  canal
Avec la promenade éparse de maint cygne

Quand solennellement cette cité m’apprit
Lesquels entre ses fils un autre vol désigne
A prompte irradier ainsi qu’aile l’esprit

Q15 – T14 – banv

Avec comme pour langage — 1899 (24)

Mallarmé Poésies

Eventail
de Madame Mallarmé

Avec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux

Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c’est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui

Limpide (où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d’invisible cendre

Seule à me rendre chagrin)
Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse

shmall – 7s

Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître — 1899 (18)

Mallarmé Poésies

Le pitre châtié

Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître
Autre que l’histrion qui du geste évoquais
Comme plume la suie ignoble des quinquets,
J’ai troué dans le mur de toile une fenêtre.

De ma jambe et des bras limpide nageur traître,
A bonds multipliés, reniant le mauvais
Hamlet! c’est comme si dans l’onde j’innovais
Mille sépulcres pour y vierge disparaître.

Hilare or de cymbale à des poings irrité,
Tout à coup le soleil frappe la nudité
Qui pure s’exhala de ma fraîcheur de nacre,

Rance nuit de la peau quand sur moi vous passiez,
Ne sachant pas, ingrat, que c’était tout mon sacre,
Ce fard noyé dans l’eau perfide des glaciers.

Q15 – T14 – banv

Rien, cette écume, vierge vers — 1899 (16)

Mallarmé Poésies

Salut

Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flôt de foudres et d’hivers;

Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Q15 – T14 – banv –  octo

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres, — 1899 (4)

Paul RomillyMuse & Musette

Apostrophe

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres,
Suer sans repos, me battre les flancs,
Hanneton rêveur, pondre des vers blancs,
Denués de sens autant que les vôtres.

Vous m’auriez crié « Te voilà des nôtres! »
Dupes volontiers de mes faux-semblants.
Prêtres maladifs aux cultes troublants,
Vous l’auriez compté parmi vos apôtres.

Mais je ne veux pas de ces lâchetés.
Vos suffrages sont trop cher achetés:
J’écarte la main que vous m’alliez tendre.

Hiboux clignotant d’un oeil hébété,
Nous ne sommes pas faits pour nous entendre:
Vous préférez l’ombre, et moi la clarté.

Q15 – T14 – banv –  tara

Préface de G. Vapereau (auteur du Dictionnaire des Contemporains) – Après deux siècles environ de discrédit, notre génération littéraire a ramené, pour le sonnet, une ère de faveur et d’éclat. L’école romantique, se souvenant qu’il remonte, par delà le règne trop longtemps célébré des maîtres classiques, à l’époque moins démodée de la Renaissance, l’avait repris comme l’étendard de la Pléiade. On s’y est attaché pour les prétendues difficultés de sa forme, pour les contrastes de mots ou d’images que sa concentration met en relief, pour ses effets de prosodie, je dirai presque d’acoustique, pour ses harmonieuses sonorités! Quelques-uns l’ont adopté, sans prétention ni arrière-pensées, comme le cadre le plus favorable d’une noble idée et d’un sentiment délicat. Grâce à ces diverses aspirations, les sonnets se sont de nouveau multipliés, et plusieurs ont paru digne de survivre. Une pensée d’amour mystérieux et discret, dans le ‘sonnet d’Arvers’, a suffi pour sauver le nom et le souvenir d’un poète voué, sans cet éclair, à un entier oubli. D’autres, comme Joséphin Soulary, ont produit des sonnets avec assez de continuité pour en former ses recueils, et, malgré leur travail acharné de ciselure littéraire, ils ne survivent auprès de la postérité, qui a commencé pour eux, que par l’ingéniosité du trait et la délicatesse du sentiment. Quant aux prosodistes qui cherchent avant tout, dans le sonnet, le mérite de la difficulté vaincue, comme celui qui a fait l’un des siens en quatorze syllabes, ils réalisent des bizarreries sans intérêt, et, s’il reste un souvenir de leurs tours de force, on a bientôt oublié les noms des acrobates des lettres qui les ont accompli.
M. Paul Romilly n’est pas de ces derniers. Malgrè sa facilité à tourner la stance, quatrain ou tercet, il affranchit le sonnet de quelques-unes de ses puériles exigences; mais il ne cesse d’y voir ce petit cadre savant qui fait ressortir en pleine lumière la pensée ou le sentiment, augmente l’éclat ou nuance la grâce. ….

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet; — 1899 (3)

Paul RomillyMuse & Musette

Le sonnet

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet;
Je me laisse bercer à son rythme qui chante,
Que sa note résonne ironique ou touchante,
Nocturne rossignol ou joyeux sansonnet;

Et, comme quelquefois de l’air la chanson naît,
Il advient, écartant une rime méchante,
Que l’on fasse, d’un mot à tournure approchante,
Jaillir un sens nouveau qu’à peine on soupçonnait.

D’ailleurs, c’est à mes yeux l’habit qui fait le moine:
Un blanc dominicain plaît mieux qu’un gras chanoine;
Le flacon ciselé fait goûter la liqueur.

Enfin, sonnet galant, en ta forme que j’aime,
N’es-tu pas, mousquetaire, élégant et vainqueur,
Même avec des défauts, moins long qu’un court poème?

Q15 – T14 – banv – s sur s

Une stèle de marbre au seuil d’un Bois Sacré — 1898 (23)

– Jean Royère L’exil doré

Epigraphe à Puvis de Chavannes

Une stèle de marbre au seuil d’un Bois Sacré
Portera dignemen ta mémoire, ô Poète ;
L’artiste y gravera ton nom et, sur le faîte,
L’indice matériel de ton rêve incréé.

Auprès du temple clair, par le soleil doré,
Les cieux te garderont une belle retraite,
Et, pour récompenser leur unique interprète,
Les Muses te voudront dans leur intimité.

Les déesses, tes sœurs, dans la paix souveraine,
Laveront ton autel des ondes d’Hippocrene
Et te couronneront d’harmonie et d’azur.

Et Phébus Apollon ornera ta statue
Des rayons éternes, ravis à l’éther pur
D’une extase céleste et jamais révolue.

Q15  T14 – banv

Du sonnet quel est l’avantage ? — 1898 (20)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Du sonnet quel est l’avantage ?
Vous dit-on souvent au palais :
Il n’a que faire dans les plaids,
Ce n’est qu’un charmant badinage.

Erreur ! on doit à son usage
De condenser non sans succès,
En peu de mots, en quelques traits,
Un confus et lourd verbiage.

Eh quoi ! messieurs les avocats,
Quatorze vers sont-ils au cas
D’encourir une raillerie ?

Onques juge ne dormirait
Si jamais une plaidoirie
N’était plus longue qu’un sonnet.

(G.Hipp)

Q15 T14 – banv – octo  s sur s

Dans l’Epopée, une vaste peinture — 1898 (19)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

‘Ut pictura poesis’

Dans l’Epopée, une vaste peinture
S’enlève à fresque et se brosse à grands traits ;
Des demi-dieux violant les secrets,
Le Drame antique outre un peu la nature ;

Jusqu’aux confins de la caricature
La Comédie exhaussant ses portraits,
Nous fait toucher nos travers de plus près ;
Le Sonettiste est peintre en miniature :

De Michel-Ange il n’a pas les crayons,
De Raphaël les célestes rayons,
Ou de Rubens la magique palette ;

Terburg, Miéris lui prêtent leur pinceau :
L’immensité dans la mer se reflète ;
Un coin de ciel suffit au clair ruisseau.

(Georges Garnier)

T15 Q14 – banv –  déca s sur s

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre, — 1898 (2)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9bis
Hommage à Sappho

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre,
Pour éveiller un chant sauvage et presque amer,
Ou sans cesse clamant, plus profond que la mer,
Son amour incompris que nul n’avait pu lire.

L’appel inentendu que lançait son délire,
Embaumé de caresse et tout fleuri de mer –
veilleux et fous baisers, n’en trouvait que de mer-
cenaires chez l’amant qu’elle brûlait d’élire ….

Elle dort maintenant, sous son linceul vermeil,
Encore inapaisée au suprème sommeil,
Et le flot inquiet qui vient battre la roche

Conserve de ses yeux l’attirante phospho-
rescence et pleure, ainsi qu’un éternel reproche,
Dans le rêve des nuits, le grand nom de Sapho.

Q15 – T14 – banv