Archives de catégorie : banv

Ce qui sera bientôt ne sera plus ; — 1945 (10)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Derniers vers

Il disperato

Ce qui sera bientôt ne sera plus ;
Demain se meurt au cœur de ce jour même :
Derrière moi, qui perdrai ce que j’aime,
Du temps futur s’enfuit vraiment le flux.

Jours qui viendrez, vous êtes révolus,
Gens qui naîtrez, enfants que l’amour sème
Dans l’avenir aux couleurs de poème,
Vous êtes morts qui vivrez superflus.

La vie est riche en fausse pierrerie ;
S’il t’arrivait que l’heure te sourie
Tiens l’espérance une vieille catin :

Vois sous son fard l’éternelle grimace,
Garde ta bouche, ou crains demain matin
Qu’elle ait baisé quelque immonde limace.

Q15  T14  déca

Les nus bien joints, leurs sources mieux que jointes, — 1945 (9)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

« En acte »

Les nus bien joints, leurs sources mieux que jointes,
L’amour en force, à huit membres ramant,
Presse les corps vers l’éblouissement
Du haut sommet aux deux divines pointes.

Aux flancs, aux reins, aux seins, les mains empreintes
L’être avec l’être ajustant fortement
Pour l’œuvre intense et l’âpre emportement
Des heurts dansés par leurs fureurs étreintes.

L’âme commune,, à chaque tendre choc,
Sent le délice exhausser roc sur roc
Les vifs degrés qui visent à la cime :

Sa hâte ébranle une vie aux abois
Et la chair verse une plainte unanime
Qui plane et meurt sur la suprême fois …

Q15  T14 – banv –  déca

Je suis ce riche à qui le rite d’une clé — 1945 (2)

Shakespearesonnets trad André Prudhommeaux

52

Je suis ce riche à qui le rite d’une clé
Peut ouvrir un trésor plus cher que ses yeux mêmes:
Il se cache souvent l’éclat des diadèmes
Gardant aigu l’acier d’un plaisir constellé.
Ainsi le prix de toute joie est redoublé
Par son retour plus rare et par de longs carêmes,
Ainsi dans un écrin les joailliers parsèment
Plus distants les joyaux, feu soudain dévoilé.
Or le temps qui te garde est la châsse parfaite,
C’est l’armoire où repose une robe de fête
Aux seuls jours de l’honneur déployant ses plis fins.
Béni sois-tu trésor secret de l’alternance
Qui donne le triomphe aux instants les plus clairs,
Et répands sur la perte encore une espérance!

Q15 – T14 – banv – sns – tr (sh52)

Son âme de poète hélas était partie — 1944 (19)

Antonin Artaud in Oeuvres Complètes, I

Sur un poète mort

Son âme de poète hélas était partie
Dans les sons musicaux et gothiques d’un soir
Et merveilleusement parmi les haubans noirs
Le soleil inclinait sa carène jaunie.

Alors j’étais venu de ma mélancolie
De cet homme divin voir la dépouille et voir
La Beauté où se forme ainsi qu’un reposoir
La Sublime Pensée éclatante et fleurie.

Les vagues de la mer faisaient un bruit de foule,
Les cordages râlaient avec un bruit de houle
Parmi les flammes d’or des cierges qui pleuraient.

Et des voix s’élevaient du velours et de l’or
Du grand vaisseau que des processions décoraient
Aux sons très doux soufflant aux flûtes de la mort.

Q15 – T14 – banv

Transcrit de mémoire; daté 1914

Si tu veux, ouvrons la porte — 1943 (5)

Vincent Muselli Plusieurs sonnets

Si tu veux

Si tu veux, ouvrons la porte
Qui mène au jardin secret:
Laisse-toi prendre à ce ret,
O Toi, si frêle et si forte!

Amie, et faisons de sorte,
Par un amoureux apprêt,
Que je tienne, indiscret,
En cet émoi d’être morte

Elyséen, mais si bref!
Ah, n’en demeure grief
En ta chair jeune et fleurie,

Mais qu’un désir ingénu,
Charmante, y persiste et rie
A tel beau dieu reconnu!

Q15  –  T14 – 7s

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne, — 1941 (1)

Emile Bussière A la gloire du Maréchal : les grands noms de l’épopée française. Sonnets sur Roland, Jeanne d’Arc, Napoléon, Pétain

Le maréchal Pétain
L’ambassadeur

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne,
Et livré, conscient d’un criminel effort,
Nos armes, nos canons, pour les œuvres de mort,
D’effroyables bandits relâchés par le bagne.

Dans une foudroyante et savante campagne,
Le général Franco s’affirmant le plus fort,
Réduisit, sans pitié pour leur malheureux sort,
Les assassins traqués jusque dans leurs montagnes.

Depuis, le Maréchal dût, comme ambassadeur,
Pour réparer nos torts, plaider avec ardeur,
D’Irun à Malaga, de l’Ebre jusqu’au Tage

Partout on lui tendit une loyale main,
Mais il ne devait pas achever son voyage,
Car Dieu l’avait marqué pour un plus haut destin.

Q15  T14 – banv

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents — 1939 (1)

Raoul Ponchon in  Marcel Coulon: toute la poésie de Ponchon

Sonnet à Chevreul

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents
Plein la bouche, et déjà dorloté par l’Histoire,
Direz, si ces vers-ci meublent votre mémoire
Un tel me célébrait lorsque j’avais cent ans.

Lors, vous n’aurez aucun de vos petits-enfants
Qui n’ait soif à ce nom et ne demande à boire,
Répétant à l’envi votre immortelle gloire
Et le nombre fameux de vos jours triomphants.

Pour moi, je serai mort depuis belle lurette
Mais je refleurirai dans quelque pâquerette
Vous, vous aurez toujours la même horreur du vin.

Ah ! si vous m’en croyez, ô vieillard sobre et digne,
Ainsi que tout le monde éteignez-vous demain
Mais cueillez aujourd’hui les roses de la Vigne.

(1886)

Q15 – T14 – banv

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier, — 1938 (7)

Pierre Malicet Les sonnets du juge

L’assesseur

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier,
Faire le manucure au cours de l’audience,
Ni bavarder trop fort, mais sauver l’apparence,
Et d’un sommeil bruyant n’être pas coutumier.

Cet auditeur passif n’est qu’un pur chancelier
Disent les ignorants avec quelque impudence.
Ils ne veulent pas voir que la jurisprudence
Est l’oeuvre de ces gens au bon vouloir entier

Qui subissent sans fin, pénitence invisible,
Les assauts des bavards dont ils forment la cible,
Et sans pouvoir bouger de leur vaste fauteuil,

Supportent un bon vieux qui préside à sa mode,
Trop lentement parfois, c’est là le grand écueil,
Alors qu’ils ont, eux seuls, la meilleure méthode.

Q15  T14 – banv

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe. — 1938 (6)

Raoul Ponchon La muse au cabaret

L’exemplaire du Roy

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe.
Un exemplaire unique, admirable, un trésor!
Tout habillé de pourpre, et les fleurs de lys d’or
En étoilant les plats, nombreuses comme l’herbe.

Le vélin en est pur, l’impression superbe,
Messieurs les éditeurs, à cette époque encor,
Se montraient soucieux de soigner le décor
Qui faisait ressortir et resplendir le verbe.

Mais ce rare bouquin ne serait rien ma foi,
S’il n’était pas le propre exemplaire du Roy.
Il l’est. Et dans un coin de marge, on y remarque,

Alors que le poète arrive au baragouin
De l’éloge, ces mots, de la main du monarque:
 » Mon vieux Malherbe, ici, tu vas un peu trop loin! »

Q15 – T14 – banv