Archives de catégorie : banv

Jadis, quand on rimait et pensait richement, — 1933 (5)

H René Lafon La rôtisserie des Muses ou l’art d’accommoder les rimes

Sonnet au sonnet

Jadis, quand on rimait et pensait richement,
Nos poètes faisaient, avec respect, usage,
Pour abriter l’idée ou pour fixer l’image
D’un tout petit hôtel particulier charmant.

On l’appelait : Sonnet. Cet étroit logement
Suffisant pour l’aïeul, semble au fils d’un autre âge ,
Et l’on fuit ce cher cadre où l’on tenait langage
Quatuordecimoversiculairement.

Le temps était auguste, il fleurait son naguère.
Pétrarque l’habita. Bombardé par la guerre,
La Muse en cheveux courts, ingrate, l’éconduit.

Un sonnet, pensez donc ! trois étages ! trop maigre ! …
Et c’est pourquoi l’on voit triompher aujourd’hui
Le gratte-ciel yankee… ou la paillotte nègre !

Q15  T14 -banv –  s.sur s

Appelé bientôt à d’autres combinaisons, — 1932 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets sans écho, etc.

Sonnet

Appelé bientôt à d’autres combinaisons,
J’y voudrais retrouver ce soir et ses merveilles,
Ce parc avec les miens, ces lumières vermeilles
Et vertus clair-obscur, ce lac & ses gazons.

Lune, peupliers, cygne et saule, exhalaisons,
C’est l’automne lunaire aux décadentes treilles,
Déjà; ce sont déjà, chers cœurs, les avant-veilles
Des soirs, des longs soirs où nous nous emprisonnons.

Ma femme, ma fille, oh! Aimons la douce automne
Qui se soir, dans ce parc, en passant nous redonne
Un peu de sa chaleur et de son franc parfum.

Dînons au bord du lac où cet automne rôde
Sous l’électricité du rayon calme et brun
Qui sort du temps, du lac et de la brume chaude.

Q15 – T14 – banv

L’oiseau de flamme apporte un message. La grille — 1931 (8)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’oiseau de flamme apporte un message. La grille
Ne s’ouvre plus qu’aux doigts des anges menaçants.
Aux fenêtres du nords des violons cassants
S’accoudent et l’amour enlace un ciel qui brille.

Au large les bijoux et leur louche escarbille,
Les éventails de roche ou de verre, l’encens
Pourpre des baisers morts ! tous les êtres absents
Les beaux points cardinaux continuent leur quadrille.

C’est toi qui viens, immense aurore éternité
Je le sais, tu rendras ce qui fut habité
Plus muet qu’une fleur et plus douteux qu’un prisme.

Après moi qui n’aspire à toi que par dépit
Comme un papillon blanc au vague mimétisme
Un épi bleu se couche et c’est un noir épi.

Q15  T14 – banv
Dans ces deux sonnets (7-8) parfaitement banvilliens, d’écriture automatique, l’inconscient du poète s’est soumis à la forme stricte sauf que, patatras, le dernier vers du premier sonnet contient un énorme hiatus. Et les vers 12 et 14 du second riment de manière erronée. On ne joue pas sans risque avec l’inconscient !

L’amour sur le chemin dansait avec la peur — 1931 (7)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’amour sur le chemin dansait avec la peur
Car je portais le feu des étoiles aux vignes.
Il m’a fallu plus tard interpréter les signes
Des grands puits de pétrole et du désir trompeur.

Le jour se balançait, tendre comme un vapeur
Par-delà les talus couverts de fleurs malignes,
Les femmes qu’entrainait la lumière étaient dignes
De me guider brillant chèvrefeuille grimpeur.

Une aune de ruban merveilleux s’envolait
De chaque épave, un ciel fait de bouquets de lait
Aux apparitions donnait libre carrière.

Mon cheval approchait au galop de minuit
De ce poste le plus éloigné de la terre
Où depuis je suis mort et où mon âme luit

Q15  T14 – banv

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front — 1931 (6)

Gérard d’Houville Les poésies

Les amis

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front
Je veux aimer les habitants du noir rivage
Ceux qui, trop tôt pareils aux fantômes sans âge,
D’un rêve inassouvi peuplent le Styx profond.

Oui. Je le sais. Plus tard, au jour ils rentreront
Continuant le livre ou finissant la page,
Jeunes gens, jeune femme, et ce même visage
Interrogeant l’amour qui jamais ne répond…

Mais, avant de renaître en ces forces futures,
Encore, attendez-moi sur les rives obscures.
Bientôt j’arriverai. Car je veux vous revoir

Amis de ma jeunesse! Et vous dire, ombre d’ombre,
Tout ce que, lorsqu’on vit, on n’a pas le pouvoir
D’exprimer, que l’on tait, et qui, dans l’âme, sombre …

Q15- T14 – banv

Toi qui fends d’une habile rame — 1930 (2)

Vincent MuselliLes sonnets à Philis

L’épigramme

Toi qui fends d’une habile rame
Des flots de miel et de venin ,
Es-tu virile ou féminin,
Charmante ou charmant Epigramme?

De l’orgueil la plus forte trame,
Tu déchires d’un ongle nain,
Et tiens dans un rire bénin
Tous les poignards du mélodrame.

Tout est chez toi doute et conflit:
Si parfois ton ardeur faiblit,
C’est ta chute qui te relève:

L’on voit dans ton étroit discours
Le maître enseigné par l’élève,
La trahison portant secours.

Q15 – T14 – banv –  octo

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour — 1929 (4)

Pierre FrayssinetPoésies (ed. 1931)

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour
N’est plus que le réel où s’est mué l’ombrage
Pour rire je bâtis aventureuse cage
L’ordinaire connu que précise le jour.

La ligne qui s’essaie à tenir le contour
De toute chose vue qui fait mon entourage
Exagère parmi l’intérieur paysage
Une chaise posée sur un espace court.

Si je m’y tiens voilà que le silence lie
Tout rêvé mouvement de mon corps qui s’oublie
A ne paraître rien dans le vide alentour

Et telle alors sera qu’une ivresse donnée
Dans l’engourdissement de ce prestige court
Le nu de ta langueur créole imaginée !

Q15  T14 – banv – y=x :d=a

Si le souci d’aimer me poise — 1929 (3)

Roger AllardPoésies légères

Coquelicot

Si le souci d’aimer me poise
Aux orges du prochain été
J’irai vers les bosquets hantés
Du lieu-dit « Au Goujon de l’Oise ».

L’Île de France aux yeux d’ardoise
En souriant voudra tenter
De ravir à vos cruautés
Le cœur à qui vous cherchez noise.

Mais en vain parmi les crins blonds
De cette reine des moissons
Rougira le pavot sauvage,

Pourrai-je désormais le voir
Refleurir à son avantage
Ailleurs que dans vos cheveux noirs?

Q15 – T14 – banv –  octo

O Sonnet, tes quatorze rimes, — 1929 (1)

Henri de RégnierVestigia Flammae

Frontispice

O Sonnet, tes quatorze rimes,
En leur ordre bien mesuré,
Ont je ne sais quoi de sacré
Pareil aux dépouilles opimes!

Pur joyau, honneur de nos rimes,
Ton or, avec art ajouté,
Enchâsse le reflet nacré
Des mots qu’avec soin nous polîmes.

Comme les conques de la mer
Que travaille le flot amer
Au gouffre bleu que nul ne sonde,

Tu conserves tous les échos,
O Sonnet à la vie profonde,
En tes méandres musicaux!

Q15 – T14 – banv – octo  – s sur s