Archives de catégorie : carn

Q8 – T15

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe — 1849 (2)

Baudelaire in La Silhouette

A une jeune saltimbanque

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe
Tu raclais la romance, et qu’en un carrefour,
Pour attirer la foule à voir tes sauts de carpe,
Un enfant scrofuleux tapait sur un  tambour;

Quand tu couvais de l’oeil, en tordant ton écharpe,
Quelque athlète en maillot, Alcide fait au tour,
Qu’admire le bourgeois, que la police écharpe,
Qui porte cent kilogs et t’appelle mamour.

Ta guitare enrouée et ta jupe à paillettes
Etalaient à nos yeux le rêve des poëtes,
La danseuse d’Hoffmann, Esmeralda, Mignon.

Mais déchue à présent, te voilà, ma pauvre ange,
Sultane du trottoir, ramassant dans la fange
L’argent qui doit soûler ton rude compagnon.

Q8 – T15 Paru sous la signature de Privat d’Anglemont ce sonnet à été restitué à Ch.B. par W.T. Bandy.

Lorsque dans ma route isolée — 1848 (5)

Eugène Debons Chants d’amour

Lorsque dans ma route isolée
Ton regard vient, plein de douceur,
Me montrer la voûte étoilée
Où s’élance mon cœur ;

Tel, se glissant, dans la vallée,
Un joyeux rayon de chaleur
Rend à la fleur étiolée
La vie et le bonheur.

Quand ton sourire, après l’orage,
Dissipe le sombre nuage
Qui me voilait les cieux ;

O blanche étoile de mon âme !
Qu’il m’est doux, guidé par ta flamme,
De baiser tes beaux yeux !

Q8  T15  2m

Dans ces élans de ma tendresse — 1847 (5)

dr. Alexandre Delainne Hommage lyrique aux sciences naturelles

A toi

Dans ces élans de ma tendresse
Lorsque mon cœur bat près de toi,
D’où vient mon indicible ivresse ?
Oh ! si tu le sais, dis-le moi !

Mon âme qui n’est plus maîtresse
De ses transports, de son émoi,
Vers la tienne vole, s’empresse
Et veut s’y confondre … pourquoi ?

C’est que du ciel l’ordre inflexible
Par ses lois, de l’être sensible
Veut aussi charmer le séjour.

Et l’attraction si féconde,
Ce sublime pivot du monde,
Entre nous deux s’appelle … amour !

Q8  T15  octo

L’ombre tombait, du soir régnait l’heure indécise, — 1846 (9)

Louis Chefdeville Les solitudes

La cloche

L’ombre tombait, du soir régnait l’heure indécise,
Triste, j’étais assis aux bords qui me sont chers.
La mer battait la grève, et l’aile de la brise
Passait en gémissant sur les sables déserts.

Argentant le galet, l’algue et la roche grise,
A mes pieds lentement expiraient les flots clairs.
Je révais. Tout à coup la cloche d’une église,
Comme un écho lointain retentit dans les airs.

Et je frémis lors, une ivresse inconnue,
Au bruit des saints accords, remplit mon âme émue,
Et longtemps j’écoutai la voix qui tour à tour

Disait – tantôt sonore et tantôt faible et vague ,
– Sur la plaine aux bergers, aux pêcheurs sur la vague :
– Rendez grâce au Seigneur : Voici la fin du jour.

Q8  T15

Le soir, quand je m’assieds près d’elle à la fenêtre, — 1845 (11)

Charles Bethuys Phases du cœur

Discrétion

Le soir, quand je m’assieds près d’elle à la fenêtre,
Effleurant ses genoux de mes genoux tremblans,
De peur des yeux furtifs qui veulent trop connaître,
Je cache mon amour sous quelques faux-semblans.

J’étouffe mes soupirs, toujours prompts à renaître,
Et j’abjure à ses pieds mes rêves accablans :
Elle sourit, et moi que le trouble pénètre
J’ai l’air de regarder la nue aux flocons blancs.

Puis, pour me dérober à ma pose distraite,
Je lis tout haut des vers, et ma bouche discrète
Choisis ceux où l’amour ne se reflète pas.

Le cercle, en m’écoutant, se trompe à l’apparence
Et ne trouve à ma voix que de l’indifférence
Car il ne saisit point ce que je dis tout bas.

Q8  T15

ll reprit:  » Tout est mort! J’ai parcouru les mondes; — 1844 (11)

Nerval Le Christ aux oliviers

II

Il reprit:  » Tout est mort! J’ai parcouru les mondes;
Et j’ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés,
Aussi loin que la vie, en ses veines fécondes,
Répand des sables d’or et des flots argentés:

 » Partout le sol désert côtoyé par des ondes,
Des tourbillons confus d’océans agités …
Un souffle vague émeut les sphères vagabondes,
Mais nul esprit n’existe en ces immensités.

 » En cherchant l’oeil de Dieu, je n’ai vu qu’un orbite
Vaste, noir et sans fond, d’où la nuit qui l’habite
Rayonne sur le monde et s’épaissit toujours;

« Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,
Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre,
Spirale engloutissant les Mondes et les Jours!

Q8 – T15

Il élevait au ciel sa tête solennelle, — 1844 (7)

Ch.Louis Mollevault La langue française

Sonnet à Mr Bescherelle aîné

Il élevait au ciel sa tête solennelle,
Cet arbre de la langue à l’ombrage enchanteur,
Mais le fou romantique a dressé sa prunelle,
Et frappé son beau sein d’un glaive contempteur.

L’arbre, sans chanceler sur sa base éternelle,
Repousse fièrement votre fer destructeur,
Et vous, en attaquant sa sève maternelle,
Vous attaquez, ingrats, son bienfait protecteur.

Affermissez au loin sa racine profonde,
Bescherelle, sur vous ce fertile arbre fonde
Et ses fleurs, et ses fruits, d’attraits toujours nouveaux.

Vous qui voulez atteindre à son superbe faîte,
Du savant grammairien que ma lyre aime et fête,
Méditez à loisir les utiles travaux.

Q8  T15

Quand Pétrarque révait à la beauté, Madame, — 1844 (4)

Louis Ullbach Gloriana

Sonnet à Madame M***J***

Quand Pétrarque révait à la beauté, Madame,
Comme un diamant pur il taillait un sonnet,
En faisait une coupe, y répandait son âme,
Et Laure souriant de ses mains la prenait.

Oh ! ce poète heureux sur lequel une femme,
Dans un ciel azuré saintement rayonnait ,
Me disputant ces vers que votre voix réclame,
Il vous les offrirait, hélas ! s’il revenait.

Mais de vous obéir, moi, je me sens indigne.
Il faudrait, pour oser ce que votre œil désigne,
A moi plus de talent, à vous mains de vertu !

Car vous, à qui le ciel, harmonieux mélange !
Mit une âme d’artiste avec un regard d’ange,
Vous pourriez être Laure, et Pétrarque n’est plus !

Q8  T15  s sur s

J’aurais aimé Mignon, que Goethe a célébrée, — 1844 (2)

Hippolyte Lucas Heures d’amour

Sonnet

J’aurais aimé Mignon, que Goethe a célébrée,
Fille de bateleur, au corps svelte et charmant,
Dont la voix est si pure en chantant la contrée
Où fleurit l’oranger sous un ciel si riant ;

Clémentine cherchant sa raison égarée ;
Béatrice, ange pur, que Dante allait priant ;
Mais surtout Ophélie, en un fleuve attirée,
Comme un saule pleureur, près du bord se noyant.

Enfin, pour dire mieux, je déteste les femmes
Aux regards assurés, aux orgueilleuses âmes,
Roses de trop d’éclat éblouissant mes yeux.

Mais j’aime les beautés aux paupières baissées,
Fleurs pareilles à toi, sur leur tige affaissées,
Dont le parfum est près de s’enlever aux cieux !

Q8  T15

Pourquoi livrer ces vers, baignés de tant de larmes, — 1843 (27)

Alphonse Le Flaguais Marcel

Pourquoi livrer ces vers …. ?

Pourquoi livrer ces vers, baignés de tant de larmes,
Au monde qui ne veut qu’égayer ses loisirs ?
Pourquoi lui confier ces intimes alarmes ? …
Il aime les chansons et se rit des soupirs.

Ces accents d’un amour plein de deuil et de charmes,
Se perdront sous le ciel comme de vains désirs.
Notre siècle moqueur a de cruelles armes
Contre l’infortuné qui trouble ses plaisirs.

Mais un besoin puissant trouble l’âme trop pleine
D’épancher ses secrets, de raconter sa peine,
Et sitôt qu’on se plaint on se croit soulagé !

Je redis mon bonheur, mon beau songe rapide ;
J’aimais, …. un tel amour, malgré la tombe avide
Reste le même encor lorsque tout a changé.

Q8  T15