Archives de catégorie : formules secondes

formules dérivées des formules principales par renversement des tercets

Il se trouve cerné sur un champ de bataille — 1877 (4)

Henri Passérieu – in Union littéraire des poètes et littérateurs de Toulouse

Sonnet militaire

Il se trouve cerné sur un champ de bataille
Par cinquante guerriers, noirs démons forcenés:
Sur son visage ardent, une sublime entaille
Rougissait d’un sang pur ses traits illuminés.

Au milieu du bruit sec produit par la ferraille,
Au milieu des grands coups et reçus et donnés
On eut dit un géant perçant une muraille,
Et près de voir enfin ses efforts couronnés.

– Il succombe pourtant; la légère Espérance
Voyant ses yeux voilés par la prochaine mort,
S’enfuit, l’abandonnant en proie à la souffrance.

Alors, se ranimant dans un suprême effort,
Et levant vers le ciel sa figure meurtrie
Il retomba criant: « Vive notre Patrie! »

Q8 – T23 – bi

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers — 1874 (20)

Léon Duvauchel in L’Artiste

Sur le sonnet
Ma foi, c’est fait ! (Rondeau de Voiture)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers
Trop court pour contenir en entier ma pensée :
Alors, comme une barque au hasard balancée,
Elle chavire ou va, boiteuse, de travers.

Elle voudrait aussi pour bornes l’univers,
Lorsqu’aux mondes lointains elle s’est élancée,
Lorsqu’à la fiction je la vois fiancée,
Qu’elle s’est mis au front des diadèmes verts.

Souvent, hélas ! poète impuissant, infertile,
Le sonnet est trop long, et je n’ai pas rimé
Deux beaux quatrains jouant sur un sujet aimé ;

Et je te fâche alors d’un désir inutile,
Muse, tu ne veux pas ces jours-là m’écouter…
Pourtant j’en ai fait un … presque sans m’en douter !

Q15  T30  s sur s

L’air tiède de la chambre, où la nuit règne encore, — 1874 (12)

Cabaner Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Lever de soleil dans une chambre

L’air tiède de la chambre, où la nuit règne encore,
Fraîchit par degrés, puis, vaguement, les contours
Grossissants des objets paraissent noirs et lourds,
Masses d’ombre, qu’aucun incident ne décore.

Meubles, tentures, tout cependant se colore
Dans ce réduit resté tel pendant bien des jours.
Du lit à baldaquins le fond de vieux velours
Orangé, s’éclairant, cherche à singer l’aurore…

Il jette ses reflets au satin bleu d’azur
Du couvre-pieds qui, comme une mer calme, ondule.
Le jour éclate; le velours d’un carmin pur

S’ensanglante, jouant son rôle, – et, ridicule,
Boursouflée, empourprée encor par le sommeil,
Une tête des draps sort, pareille au soleil.

Q15 – T23

Le dimanche, je reste au logis, accoudé — 1873 (36)

Robert Caze Les poèmes de la chair

Plaisirs du dimanche, sonnet bourgeois

Le dimanche, je reste au logis, accoudé
Sur un livre de vers ou bien sur une estampe ;
Et, pour chasser l’ennui qui parfois bat ma tempe,
Je fume lentement ma pipe, comme un dey

Nonchalant et rêveur sous son turban brodé.
Subtile, la fumée au plafond glisse, rampe,
Et meurt. Puis tout à coup j’entends frémir la rampe
De l’escalier; car un ami dévergondé

M’emmène dans les bois de Chaville ou d’Asnières,
Boire du petit bleu, manger du poisson frit.
L’on se grise et l’on fait la cour aux canotières.

Aussi, le lendemain, trouve-t-on dans son lit
Une femme couchée à côté de soi-même,
Qui vous dit doucement à l’oreille : « je t’aime ! »

Q15  T23

Les coquelicots noirs et les bleuets fanés — 1873 (17)

Charles Cros Le coffret de santal

Avenir

Les coquelicots noirs et les bleuets fanés
Dans le foin capiteux qui réjouit l’étable,
La lettre jaunie où mon aïeul respectable
A mon aïeule fit des serments surannés,

La tabatière où mon grand-oncle a mis le nez,
Le trictrac incrusté sur la petite table
Me ravissent. Ainsi dans un temps supputable
Mes vers vous raviront, vous qui n’êtes pas nés.

Or, je suis très vivant. Le vent qui vient m’envoie
Une odeur d’aubépine en fleur et de lilas,
Le bruit de mes baisers couvre le bruit des glas.

O lecteurs à venir qui vivez dans la joie
Des seize ans, des lilas et des premiers baisers,
Vos amours font jouir mes os décomposés.

Q15 – T30

Absurde et ridicule à force d’être rose, — 1873 (14)

Charles Cros Le coffret de santal

Révolte

Absurde et ridicule à force d’être rose,
A force d’être blanche, à force de cheveux
Blonds, ondés, crêpelés, à force d’avoir bleus
Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsycose.

Absurde, puisqu’on n’en peut pas parler en prose,
Ridicule, puisqu’on n’en a jamais vu deux,
Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux …
Dépasser le réel ainsi, c’est de la pose.

C’en est même obsédant, puisque le vert des bois
Prend un ton d’émeraude impossible en peinture
S’il sert de fond à ces cheveux contre nature.

Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
Qu’on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
Classique admet: les lys, la neige. Ça m’irrite!

Q15 – T30

La Néréide sort des flots et sur la plage — 1872 (36)

Cabaner

La Néréide

La Néréide sort des flots et sur la plage
Avance, l’oeil errant et le sein haletant.
Malgré sa terreur d’être aperçue, et comptant
Sur la nuit, elle arrive aux abords du village.

Et dans son désespoir enhardie: « ô volage!
Redit-elle, volage ami que j’aime tant!
Tu ne viens jamais plus, et tu sais bien, pourtant,
Que sans toi je souffre et que rien ne me soulage!  »

Telle est sa voix, que tous croient entendre la mer
En tourment … puis, s’étant retirée, aux premières
Lueurs du jour, debout, loin sur le flot amer,

Elle dressa ses bras, ses seins et ses paupières,
Et perdant lentement sa forme et ses couleurs,
La déesse mourut, s’étant fondue en pleurs.

Q15 – T23 – dédié à Théophile Gautier

Ainsi qu’aux temps lointains où les Agonothètes* — 1872 (31)

Paul Arène et Alphonse DaudetLe Parnassiculet Contemporain

Theressa

Ainsi qu’aux temps lointains où les Agonothètes*
Provoquaient des jeux grecs les transports convulsifs,
Tu trônes, Theressa dans l’Alcazar massif,
Colonelle, au-dessus d’un océan de têtes.

Salpinx** dont les éclats font cabrer les poètes,
Sous ta lèvre s’agite un Lhomond subversif
Et ton corps sidéral a le frisson lascif
Des jaléas murciens ruisselant de paillettes.

Lors que frémit ta voix – ce cor de cristal pur, –
Dans mon coeur le Démon pousse des cris atroces,
Et fait trève au travail sourd de ses dents féroces.

C’est pourquoi je viens, Moi, qu’habite un Diable impur,
Lâchement enivrer mon âme pécheresse
Dans ton vin capiteux, sonore enchanteresse!
* Les Agonothètes présidaient aux jeux
** Trompette grecque

Q15 – T30