Archives de catégorie : formules principales

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front — 1931 (6)

Gérard d’Houville Les poésies

Les amis

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front
Je veux aimer les habitants du noir rivage
Ceux qui, trop tôt pareils aux fantômes sans âge,
D’un rêve inassouvi peuplent le Styx profond.

Oui. Je le sais. Plus tard, au jour ils rentreront
Continuant le livre ou finissant la page,
Jeunes gens, jeune femme, et ce même visage
Interrogeant l’amour qui jamais ne répond…

Mais, avant de renaître en ces forces futures,
Encore, attendez-moi sur les rives obscures.
Bientôt j’arriverai. Car je veux vous revoir

Amis de ma jeunesse! Et vous dire, ombre d’ombre,
Tout ce que, lorsqu’on vit, on n’a pas le pouvoir
D’exprimer, que l’on tait, et qui, dans l’âme, sombre …

Q15- T14 – banv

Oh! quand sous la nécrose —1931 (5)

Charles-Adolphe Cantacuzène L’au-delà de l’en-deçà

Sonnet

Oh! quand sous la nécrose
L’homme, encor plus vivant,
Souffre et se décompose
Et meurt énormément!

Mais le saint, cette rose,
En son embaumement,
Il ne se décompose;
Mais mort, il souffre tant!

Il souffre, le saint tendre,
De ne pouvoir attendre
Décomposition.

Les rayons de la grâce
Brûlent sur la surface
Du cadavre, glaçon.

Q8 – T15 – 6s

O jeunesse voici que les noces s’achèvent — 1931 (2)

Robert Desnos Les nuits blanches

O jeunesse

O jeunesse voici que les noces s’achèvent
Les convives s’en vont des tables du banquet
Les nappes sont tachées du vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves

Une vague a roulé des roses sur la grève
Quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
Et les rois ont mangé la galette et la fève

Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
Que leur sommeil soit calme et leur mort sans rigueur

Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
Qu’on emplisse mon verre et bouchant mes oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur

Q15 – T15

Pour le mal qu’il me fait — 1931 (1)

Robert Desnos Les nuits blanches

Lou la Rouquine, II

Pour le mal qu’il me fait
Ton amour m’est fétiche
Laisse rassir la miche
Dans le fond du buffet

Dans la nuit du café
La nébuleuse biche
Fuit dans le ciel en friche
Aux lueurs d’autodafé

Quand tu viens nuitamment
Rôder tel un dément
Près de Lou la coquine

Si tu lis l’avenir
Dis-moi quand va mourir
L’amour plus hérissé qu’un buisson d’églantines

Q15 – T15 – 2m : 6s; v.14: alexandrin

Pour mourir sans regret il faut être si lasse — 1930 (3)

Robert DesnosYouki 1930 poésie

Mourir

Pour mourir sans regret il faut être si lasse
Pour mourir sans regrets des désirs oubliés
Pour mourir sans chagrin pour mourir sans pitié
Faut-il détruire aussi les mains les yeux les faces

Celles-là qui sont nées choisies parmi les races
avec un cœur violent par nul amour plié
avec des membres durs que rien ne peut lier
Savent chercher la mort parmi les ombres basses

Mais celles qui aimaient celles qui dans leurs bras
surent garder parfois dans la froideur des draps
L’amant ou le mari jusqu’à défier les ombres

Fermeront leurs deux yeux par une nuit sans feux
Et jetant leur amour comme un dernier enjeu
Connaîtront le repos creux comme les décombres.

Q15 – T15

Toi qui fends d’une habile rame — 1930 (2)

Vincent MuselliLes sonnets à Philis

L’épigramme

Toi qui fends d’une habile rame
Des flots de miel et de venin ,
Es-tu virile ou féminin,
Charmante ou charmant Epigramme?

De l’orgueil la plus forte trame,
Tu déchires d’un ongle nain,
Et tiens dans un rire bénin
Tous les poignards du mélodrame.

Tout est chez toi doute et conflit:
Si parfois ton ardeur faiblit,
C’est ta chute qui te relève:

L’on voit dans ton étroit discours
Le maître enseigné par l’élève,
La trahison portant secours.

Q15 – T14 – banv –  octo

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère — 1930 (1)

Léon VeraneLe livre des passe-temps

Aveu

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère
Au banquet promis prendre un jour ma part
Levant, à la fois, la lyre et le verre,
Parmi les élus auprès de Ronsard.

Errant de demain comme de naguère,
C’est assez, pour moi que le boulevard
Mène entre les haies de ses réverbères
Vers un tabouret au comptoir d’un bar.

Je n’appelle pas le Règne et le Trône,
Et tout couvre-chef m’est une couronne,
Satisfait d’avoir au fil des mes jours,

Bu d’un même cœur le vin et l’absinthe,
Et d’avoir conçu d’obscures amours,
Au long des trottoirs pour des filles peintes.

Q8 – T14 – tara

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour — 1929 (4)

Pierre FrayssinetPoésies (ed. 1931)

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour
N’est plus que le réel où s’est mué l’ombrage
Pour rire je bâtis aventureuse cage
L’ordinaire connu que précise le jour.

La ligne qui s’essaie à tenir le contour
De toute chose vue qui fait mon entourage
Exagère parmi l’intérieur paysage
Une chaise posée sur un espace court.

Si je m’y tiens voilà que le silence lie
Tout rêvé mouvement de mon corps qui s’oublie
A ne paraître rien dans le vide alentour

Et telle alors sera qu’une ivresse donnée
Dans l’engourdissement de ce prestige court
Le nu de ta langueur créole imaginée !

Q15  T14 – banv – y=x :d=a

Si le souci d’aimer me poise — 1929 (3)

Roger AllardPoésies légères

Coquelicot

Si le souci d’aimer me poise
Aux orges du prochain été
J’irai vers les bosquets hantés
Du lieu-dit « Au Goujon de l’Oise ».

L’Île de France aux yeux d’ardoise
En souriant voudra tenter
De ravir à vos cruautés
Le cœur à qui vous cherchez noise.

Mais en vain parmi les crins blonds
De cette reine des moissons
Rougira le pavot sauvage,

Pourrai-je désormais le voir
Refleurir à son avantage
Ailleurs que dans vos cheveux noirs?

Q15 – T14 – banv –  octo