Archives de catégorie : formules principales

Dans les rameaux des ifs et des cèdres en cône, — 1911 (10)

Léon Vérane Terre de songe

Dans les rameaux des ifs et des cèdres en cône,
Les perroquets rouges et verts se sont juchés
Et troublent d’un frôlis d’ailes le soir d’automne
Au long des boulingrins de corolles jonchés.

Et le nain, sous son chaperon de velours jaune
Où comme un bleu panache un iris est fiché,
Jongle avec des citrons, des cédrats et des pommes
Aux cris rauques des grands oiseaux effarouchés.

Mais la lune surgie au ciel de lazulite,
Ecorne sa rondeur aux ifs pointus du bois,
Et le nain qui jonglait, soudain devenu triste,

Songe qu’il a manqué pour la première fois
Un citron, un cédrat ou une pomme blanche,
Puisqu’un fruit est resté dans la fourche des branches

Q8  T23  quelques assonances

Saper les fondements de la propriété, — 1911 (7)

Jules Durand Poésies

Le renversement

Saper les fondements de la propriété,
Epouvanter le monde avec plaisir de fauve,
Tuer, blesser, détruire en lâches qui se sauve,
Sans crier ‘gare à vous’ c’est crime en vérité.

Ils fabriquent l’enfin de leur atrocité,
Hantés de visions au fond de leur alcôve,
Car voir l’habit cousu, la robe azur et mauve,
Ronge leur cœur jaloux qu’aigrit l’adversité.

Au chemin criminel, quand l’âme est déjà morte,
Ne s’arrête qui veut, parfois le mal l’emporte.
Ah ! maudit soit l’auteur d’un tel égarement.

Si la matière est tout, l’homme à l’homme s’oppose
Et lui lance sa bombe à vrai renversement :
La loi divine donc à tout vivant s’impose.

Q15  T14 – banv –  acrostiche palindromique

Ainsi qu’un coeur brisé, ton cul saigne, mignonne — 1911 (6)

J.K. Huysmans

Sonnet saignant

Ainsi qu’un coeur brisé, ton cul saigne, mignonne
Les règles à grands flots coulent, et, affamé
D’amour et de mucus, faune enthousiasmé,
Je bois ton vin sanglant et je me badigeonne

Les lèvres d’un carmin vaseux qui me goudronne
Et moustache et langue. Ah! dans ton poil, gommé
Par les caillots fondus, j’ai maintes fois humé
Une odeur de marine, et, pourtant, ça t’étonne,

Que je puisse avaler ton gluten sans dégoût,
Mais c’est le vrai moment, pour un homme de goût,
De barbouiller sa bouche au suc rouge des règles,

Alors que les Anglais ont débarqué, joyeux!
Pour activer ce flux, vite l’ergot de seigle;
Car si baiser est bien, gabahoter* est mieux.

Q15  T14 gabahoter* : gamahucher

Au-delà de l’Araxe où bourdonne le gromphe, — 1911 (3)

Philippe Berthelot in Philippe Martinon Dictionnaire méthodique et pratique des rimes françaises

« … triomphe, l’exemple ordinaire des mots sans rimes, n’aura pas de rime ici, puisqu’il n’en pas dans l’usage. *
* Nous citerons pourtant, à titre de curiosité, le sonnet suivant, de M. Philippe Berthelot

Alexandre à Persépolis 330 av J.C.

Au-delà de l’Araxe où bourdonne le gromphe,
Il regardait, sans voir, l’orgueilleux Basileus,
Près du rose grandit que poudroyait le leuss,
La blanche floraison des étoiles du romphe .

Accoudé sur l’Homère au coffret chrysogromphe,
Revois-tu ta patrie, ô jeune fils de Zeus,
La plaine ensoleillée où roule l’Aenipeus,
Et le marbre doré des murailles de Gomphe?

Non! le roi qu’a troublé l’ivresse de l’arack,
Sur la terrasse où croît un grêle azédarac,
Vers le ciel, ébloui du vol vibrant du gomphe

Levant ses yeux rougis par l’ivresse et le vin,
Sentait monter en lui comme un amer levain
L’invincible dégoût de l’éternel triomphe.

Q15 – T15 –  y=x ( d=a ) – – Cet exemple nous a été signalé par mr J.Cl. Milner.(JR)

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main. — 1911 (2)

Henri de RégnierLe miroir des heures

Sur un exemplaire des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main.
Le papier est de choix, et la lettre est accorte,
Et la première page, au bas du titre, porte
La haute ancre marine où s’enroule un dauphin.

Pour le couvrir, on n’a voulu ni parchemin
Trop orné, ni velours trop éclatant, de sorte
Que son double plat noir, pour tout lustre, comporte
A chacun de ses coins, un seul fleuron d’or fin.

En sa parure sobre et sombre autant que belle,
Il évoque un décor de gondole, comme elle,
Or sur noir, à la fois galant et ténébreux,

Car c’est ainsi jadis qu’un seigneur de Venise
Fit relier pour lui, sans chiffre ni devise
Ce livre qui plaisait à son cœur amoureux.

Q15 – T15

Ma douce enfant ma gosseline, — 1911 (1)

Arthur Cravan Premiers poèmes (1908-1911)

Solo de soir

Ma douce enfant ma gosseline,
Le golfe dort adamantin
Seul quelque obstiné galantin
Pince un lento de mandoline.

Dans la brise frôlant câline
Comme une manche de satin,
Goûtons ce soir napolitain,
Suave ainsi qu’une prâline

Qui fond au cœur exquisément.
Un oiseau dans l’enchantement
Rossignole avec véhémence.

Nous écouterons si tu veux
Sa sentimentale romance
Car il lune dans tes cheveux.

Q15 – T14 -banv –  octo

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants. — 1910 (13)

Maurice Hennequin et Georges Basset Une aventure impériale

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants.
Ne se rencontrent point aux pays d’aventure ;
Et pour trouver traîtrise, embuscade et capture,
Point n’est besoin, je crois, de sortir de céans !

A vos pieds, en vaincus, ont gémi des géants.
Voyez combien de cœurs, cy, gisent sur la dure ;
Et je pleure en songeant que, le mal que j’endure
Pour le fuir, il faudrait passer les Océans !

Car vos grands yeux, toujours, sont pleins de maléfices.
Leur charme est un tissu de profonds artifices.
Et c’est un autre sphinx que leurs rellets câlins.

A l’âge, où des dangers on se fait une fête.
Lâche, je n’ose point, de peur d’une défaite
Affronter les éclairs de vos grands yeux divins !

Q15 – T15

La neige a couronné de blancheur le château, — 1910 (12)

Léon Vérane in Les façettes

La neige a couronné de blancheur le château,
La glace claire bave aux gueules de ses guivres,
Sans redouter l’autan que les frimas délivrent,
A l’entour du donjon, plane un vol de corbeaux.

La salle est vaste ; un jour gris tombe des carreaux
Que la nuit a voilé de fins rideaux de givre.
Dans l’âtre, un feu puissant tord ses membres en cuivre
Et jette sur le sol des lueurs de flambeaux.

Sans cesse résonnant entre les meneaux grêles,
Le cristal que le vent ébranle de ses ailes,
Bourdonne, les créneaux sifflent, geignent les tours,

A l’épaule du vent roulant sa clameur noire.
Mais rien ne peut tirer du charme de velours
L’enchanteur endormi dans son fauteuil d’ivoire.

Q15  T14 – banv

Un coq chante au lointain. Les bruyères en fleurs — 1910 (11)

Thomas Maisonneuve Aquarelles provençales

La lande

Un coq chante au lointain. Les bruyères en fleurs
Comme un velours brodé viennent draper leurs herbes,
Et la lande fleurit ses épineuses gerbes
Offrant son bouquet d’or aux matins enjôleurs.

Le granit pointe au ras du sol, où, tels des pleurs
Des lichens d’argent gris emmitouflent son faîte,
Et la lande paraît préparer une fête ;
Tout le charme du ciel avive ses couleurs.

Elle ondule, ainsi que des vagues aux marées
D’automne, quand la brise, aux grèves mordorées,
Hurle son chant d’oubli parmi les chardons bleus ;

Mais l’immobilité qu’elle a vous poigne l’âme,
Et le le vaste horizon, dont s’éteignent les feux,
L’étreint, comme un collier étreint un cou de femme.

Q45  T14 – banv

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte. — 1910 (10)

Edmond Rostand Didascalie de Chantecler

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte.
Portail croulant. Mur bas fleuri d’ombelles. Foin.
Fumier. Meule de paille. Et la campagne au loin.
Les détails vont se préciser au cours de l’acte.

Sur la maison, glycine en mauve cataracte.
La niche du vieux chien de garde, dans un coin.
Epars, tous les outils dont la terre a besoin.
Des poules vont, levant un pied qui se contracte.

Un merle dans sa cage. Une charrette. Un puits.
Canards. Soleil. Parfois une aile bat, et puis
Une plume, un instant, vole, toute petite.

Des poussins, pour un ver, se disputent entre eux.
Le dindon porte au bec sa rouge stalactite.
– Silence chaud, rempli de gloussements heureux.

Q15 – T14 – banv