Archives de catégorie : formules principales

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample, — 1893 (3)

Louis Le Cardonnel au Banquet de La Plume

A Stéphane Mallarmé

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample,
Le Poète, malgré la Terre et le Destin,
Se bâtit dans son coeur un asile hautain,
Et s’y donne, ébloui, des fêtes sans exemple.

Debout sur le passé lumineux, il contemple
L’Avenir, déroulant son mirage lointain,
Et dessine aux clartés d’un immortel matin,
Pour s’y diviniser, l’ordonnance d’un Temple.

Des visions qu’il crée il est l’auguste amant,
Et, par un juste orgueil, en elles s’acclamant,
Il regarde monter son âme à leurs visages.

Et ces vaines fureurs, dont l’homme a palpité,
N’éveillent pas de trouble en ses prunelles sages,
Qui sont des firmaments tout bleus d’Eternité.

Q15 – T14 – banv

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante, — 1892 (11)

Jules Baudot in  L’année des poètes

L’art

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante,
Avec des mots très doux ainsi que des rumeurs,
D’une légère main, comme font les semeurs,
Sème dans notre esprit que la vie est méchante.

Dans le quatrain qui suit, exalte, prône, chante
La Femme altière et belle, en d’ardentes clameurs,
Et pour bien expliquer l’amour dont tu te meurs
Fais un portrait puissant de celle qui t’enchante.

Alors, en un tercet fort savamment rimé,
Exprime-nous que toi, qui fus pourtant l’Aimé,
Tu n’est plus maintenant qu’un étranger pour elle.

Puis, au tercet final, qu’il ne faut point gâter, –
L’Art serein n’aimant point les cris de tourterelle, –
Sonne un grand vers d’or pur, – pour ne point sangloter !

Q15  T14 – banv –  s sur s

Blanche, comme les flots de blanche mousseline, — 1892 (5)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Solitaire

Blanche, comme les flots de blanche mousseline,
Enveloppant sa chair exsangue de chlorose,
Elle rêve sur un divan dans une pose
Exquise de langueur, et de grâce féline.

De ses yeux creux jaillit un regard qui câline
Dans le vague, elle se rose,
Sa bouche se carmine et frissonne mi-close,
Sa taille par instants se cambre, puis s’incline.

Sa gorge liliale, où rouges sont empreintes
De lèvres, se raidit comme sous les étreintes,
Elle sursaute en proie au plaisir, et retombe.

Dans ses longs cheveux d’or épars rigide et pâle,
Et dans l’harmonieux tressailllement d’un râle,
On dirait un cadavre un peu frais pour la tombe.

Q15 – T15  – Tout en rimes féminines

Le givre: vivre libre en l’ire de l’hiver — 1892 (4)

André FontainasLes vergers illusoires

Le givre: vivre libre en l’ire de l’hiver
Rumeur qui se retrait au regard d’une vitre
Où, peut-être, frémit éphémère l’élytre
De tel vol ou d’un souffle épais de menu-vair.

Le ciel gris s’est, fanfare!, à soi-même entr’ouvert:
N’est-ce pas qu’y ruisselle au front morne une mitre?
Non! sénile noblesse où nul n’élude un titre
A se mentir moins vil que ne rampe le ver.

L’heure suit l’heure encor, aucune n’est la seule:
Pareille à soi, voici venir qui l’enlinceule
Pour brusque naître d’elle et pour mourir soudain.

Un chardon bleu, pas même, au suaire, ni lisse
Offrant, rêve chétif et dédain du jardin,
Ne fût-ce qu’une épine à s’en former un thyrse.

Q15 – T14 – banv

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire, — 1892 (3)

André FontainasLes vergers illusoires

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire,
Sont-elles en présage à nos fuites de joies
Qu’auraient les yeux d’une autre à suivre un jeu de soies
En frissons brefs au long des parois de porphyre?

Mais nul geste que l’aube encore ne s’y mire
Au fantastique épars de ce que tu déploies,
Ou, verbe, ne s’y grave en hymnes, jeunes proies
A promulguer: rien n’est qui soit, sinon écrire.

Une brume vieillie agonise au pilier,
Et s’y meurtrit la voix d’angoisse rauque étreinte
Pour s’y sentir naissante aux outrages plier.

Aux havres d’or naguère où s’incurvait Corinthe
Nul éphèbe ne vogue en voeux d’âme nouvelle
Vers les fauves toisons que l’aurore y révèle.

Q15 – T23

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ; — 1991 (33)

Louis Capillery in L’année des poètes

Sans cœur

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ;
Puis, prenant deux saphirs sur son royal bandeau,
Lui-même, il cisela vos grands yeux de sirène,
Brillants, comme au soleil brillent deux gouttes d’eau.

Quand il vous eut donné cet air de souveraine,
Il mit dans votre voix un ramage d’oiseau,
Quelque chose de doux, de languissant, qui traîne
Comme le chant lointain que soupire un roseau.

Sur vos lèvres qu’entr’ouvre un sommeil, il fit naître
Ce sourire de sphinx, si profond que, peut-être,
Nul ne saura jamais s’il est triste ou moqueur.

Alors, vous contemplant, il vous trouva si belle
Que, n’osant plus toucher à son oeuvre nouvelle,
Sous votre sein d’ivoire il oublia le cœur.

Q8  T15

Le Sonnet, ce léger poème en miniature, — 1991 (32)

Emmanuel Gosselin in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Le sonnet

Le Sonnet, ce léger poème en miniature,
De plus d’un lapidaire a tenté le ciseau.
Le cadre n’est pas grand, soit, mais qui donc mesure
Le talent de l’artiste à l’ampleur du tableau ?

La toile importe peu : tout est dans la peinture
Lorsqu’une main habile a tenu le pinceau.
Ne comptons pas les vers, voyons la ciselure
Pétrarque ou Meissonnier, l’idéal, c’est le beau !

Quand l’Art pur guide seul la plume ou la palette,
Il transforme en chef-d’oeuvre une simple bluette
Et loge le printemps dans un pli de gazon.

Dans un coin de falaise il met la mer profonde,
Nous montre l’infini dans un bout d’horizon,
Et dans l’étroit Sonnet fait tenir tout un monde.

Q8  T14  s sur s (Pétrarque= Meissonnier. On frémit)

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

La nuit l’eau calme des bassins — 1991 (27)

Léon Blum in La Conque

Sonnet

La nuit l’eau calme des bassins
Au reflet des lumières vagues
Forme d’imaginaires vagues
Et de fantastiques dessins.

Ce sont de bizarres coussins
Brodés de colliers et de bagues
Des chevaliers dressant leurs dagues
Des fleurs larges comme des seins …

… Des formes chétives et frêles
Des femmes et des sauterelles
D’oiseaux clairs et de papillons

Dansent aussi sur l’eau tranquille
Dont l’éclair fuyant des rayons
Respecte le rêve immobile.

Q15  T14 – banville –   octo Ce frêle sonnet octosyllabique n’annonce pas encore le Président du Conseil du Front Populaire, le lâche administrateur de la Non-Intervention, ni l’inventeur du ‘cycle infernal des salaires et des prix’