Archives de catégorie : formules principales

Elle faisait songer aux très vieilles forêts. — 1883 (3)

Maurice RollinatLes Névroses

La Bibliothèque
A José Maria de Heredia

Elle faisait songer aux très vieilles forêts.
Treize lampes de fer, oblongues et spectrales,
Y versaient jour et nuit leurs clartés sépulcrales
Sur ses livres fanés, pleins d’ombre et de secrets.

Je frissonnais toujours lorsque j’y pénétrais:
Je m’y sentais, parmi des brumes et des râles,
Attiré par les bras des treize fauteuils pâles
Et scruté par les yeux des treize grands portraits.

Un soir, minuit tombait, par sa haute fenêtre
Je regardais au loin flotter et disparaître
Le farfadet qui danse au bord des casse-cous,

Quand ma raison trembla brusquement interdite:
La pendule venait de sonnet treize coups
Dans le silence affreux de la chambre maudite.

Q15 – T14 – banv

Elle est dans tout ; elle est dans nos folles chansons, — 1882 (17)

Edouard Doucet Une poignée de sonnets

La poésie
« Cela me fait du bien et me repose l’âme » (Théophile Gautier)

Elle est dans tout ; elle est dans nos folles chansons,
Dans le naïf aveu d’une enfant brune ou blonde,
Dans la brise du soir qui fait un pli sur l’onde,
Dans la fleurette éclose à l’ombre des buissons ;

Elle est dans le soleil qui dore nos moissons,
Dans le bruit imposant de l’océan qui gronde,
Et dans l’oiseau qui prend sa course vagabonde
Quand arrive l’hiver et ses cruels frissons.

La poésie enfin, c’est la fière maîtresse
Qui garde à notre cœur une éternelle ivresse
Et lui fait oublier ses plus rudes tourments ;

C’est le baume divin qui calme la souffrance,
C’est la main qui toujours vient essuyer nos pleurs,
C’est la secrète voix qui nous dit :Espérance !

Q15  T14 – banv

* (H.N.) sorte de piège pour les petits oiseaux

Pour y brûler un grain d’ambre ou d’encens — 1882 (15)

Eugène Manuel En voyage

Cassolette
Vieux sonnet

Pour y brûler un grain d’ambre ou d’encens
Gentil sonnet est une cassolette :
Nous y mettrons innocente amourette
Regrets tardifs ou bien désirs naissants.

Tels du soleil les feux ébouissants
Sont réfléchis même en la gouttelette,
Telle, en un bois, la simple violette
Sous les buissons, se trahit aux passants.

Plus fort parfum n’irait à sa mesure !
Quant à railler sa fine ciselure,
C’est blâmer fleurs en un petit terrain,

Dessins légers sur une broderie,
Joyaux mignons pour la galanterie :
Orfèvre suis, et non fondeur d’airain !

Q15  T15  octo  s sur s

Dans un petit sonnet mettre l’immensité : — 1882 (14)

Eugène Manuel En voyage

Sur la falaise

Dans un petit sonnet mettre l’immensité :
Y renfermer le ciel profond, la mer, la grève,
Le flot mouvant, le roc miné, le bruit sans trève,
Et la brume d’hiver, et l’ouragan d’été ;

Montrer à l’horizon, sur la vague emporté,
Le navire, fétu que l’abîme soulève ;
Et jeter dans cette ombre, et mêler à ce rêve
Ta lumière, Seigneur, et ton éternité » :

Ah ! c’est vraiment alors écrire un long poème ;
C’est introduire l’âme aux régions qu’elle aime,
Et grandir l’humble vers qui promettait si peu !

Le cadre est assez vaste, et le poète à l’aise
Peut vivre tout un jour, au bord de la falaise,
De ce petit sonnet qui lui parle de Dieu.

Q15  T15  s sur s

Léandre amoureux qui recourt — 1882 (12)

Antoine Cros Les belles heures

Sonnet-chanson

Léandre amoureux qui recourt
A Rosine, blanche et fleurie,
Doit-il, pour son amour qui crie,
Choisir le chemin le plus court ?

Voit-on l’Archer-dieu, qui parcourt
L’Azur d’Aurore en Hespérie,
Montant son char d’orfèvrerie,
Choisir le chemin le plus court ?

Pour vous conquérir, fleurs sacrées,
Toisons d’or de loin désirées,
Lyre, sagesse, clair flambeau,

Pour vous cueillir, ô palmes vertes,
Par la Gloire sereine offertes,
Suivons le chemin le plus beau !

Q15  T15  octo  –  v.4=v.8

Autrefois elle était fière, la belle Ida, — 1882 (11)

Jean Richepin Les caresses

Sonnet romantique

Autrefois elle était fière, la belle Ida,
De sa gorge de lune et de son teint de rose,
Ce gongoriste fou, le marquis de Monrose,
Surnommait ses cheveux les jardins d’Armida.

Mais le corbeau du temps de son bec la rida.
N’importe ! Elle sourit à son miroir morose,
Appelant sa pâleur de morte une chlorose,
Et son cœur est plus chaud qu’une olla-podrida.

O folle, c’est en vain que tu comptes tes piastres,
Tes yeux sont des lampions et ne sont plus des astres.
Tu n’achèteras pas même un baiser de gueux.

Pourtant si ton désir frénétique se cabre,
S’il te faut à tout prix un cavalier fougueux,
Tu pourras le trouver à la danse macabre.

Q15  T14 – banv

Versez avec lenteur l’absinthe dans le verre, — 1882 (9)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Aux buveurs d’absinthe

Versez avec lenteur l’absinthe dans le verre,
Deux doigts, pas davantage, ensuite saisissez
Une carafe d’eau bien fraîche : puis versez
Versez tout doucement, d’une main bien légère.

Que petit à petit votre main accélère
La verte infusion, puis augmentez, pressez
Le volume de l’eau, la main haute : et cessez
Quand vous aurez jugé la liqueur assez claire.

Laissez-la reposer une minute encor,
Couvez-la du regard comme on couve un trésor :
Aspirez son parfum qui donne du bien-être !

Enfin, pour couronner tant de soins inouïs,
Bien délicatement prenez le verre – et puis
Lancez sans hésiter le tout par la fenêtre.

Q15  T15

Coiffeur ! tu me trompais, quand, par tes artifices, — 1882 (8)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Calvitie

Coiffeur ! tu me trompais, quand, par tes artifices,
Tu disais raffermir mes cheveux défaillants,
Ceux qu’avaient épargnés tes fers aux mors brûlants,
Tu les assassinais d’eaux régénératrices. !

Tu m’as causé, coiffeur, de si grands préjudices,
Que je te voudrais voir, ayant perdu le sens,
Sur toi-même épuiser tes drogues corruptrices
Et tourner contre toi des engins mafaisants.

Ainsi, quand l’ouragan s’abat sur la futaie,
D’un souffle destructeur il arrache et balaie
La verte frondaison qui jonche le chemin.

Au bocage pareil, mon front est sans mystère,
Il ne me reste plus un cheveu sur la terre,
Et je gémis, songeant au crâne de Robin*

* Professeur d’histologie à la Faculté de Paris

Q14  T15

Primo Religion : – La vieille grimacière — 1882 (6)

Eugène Pottier in Œuvres complètes (ed.1966)

La Sainte Trinité

Primo Religion : – La vieille grimacière
Qui vous la fait, jobarde, au dogme, au sacrement,
Qui tient l’homme à genoux en l’appelant : Poussière
Et vous vend du miracle en sachant qu’elle ment.

Propriété : – Mais moi, mobilière ou foncière
Je proviens du travail ! – oui, c’est ton boniment :
Mais le travail s’en plaint, honnête financière,
Tu l’as dévalisé par ton prélèvement.

Ordre enfin ! – un César, un général qui sacre,
Qui maintient au-dedans la paix par le massacre
Et le guerre au-dehors sans risquer un cheveu.

Très Sainte Trinité, c’est toi qui nous rançonne :
Prêtre, usurier, soudard : sur terre en trois personnes,
Le mensonge, le vol et le meurtre sont Dieu.

Q8  T15

L’anus profond de Dieu s’ouvre sur le néant — 1882 (5)

Le Chat Noir

Edmond Haraucourt

Philosophie
sonnet honteux

L’anus profond de Dieu s’ouvre sur le néant
Et, noir, s’épanouit sous la garde d’un ange.
Assis au bord des cieux qui chantent sa louange,
Dieu fait l’homme, excrément de son ventre géant.

Pleins d’espoir, nous roulons vers le sphincter béant
Notre bol primitif de lumière et de fange;
Et, las de triturer l’indigeste mélange,
Le Créateur pensif nous pousse en maugréant.

Un être naît: salut! Et l’homme fend l’espace
Dans la rapidité d’une chute qui passe:
Corps déjà disparu sitôt qu’il apparaît.

C’est la Vie: on s’y jette, éperdu, puis on tombe;
Et l’Orgue intestinal souffle un adieu distrait
Sur ce vase de nuit qu’on appelle la tombe.

Q15 – T14 – banv