Archives de catégorie : formules principales

Mona-Lisa ! – D’où vient qu’en cherchant dans le Louvre — 1869 (35)

René Danglars in l‘Artiste

Les incarnations de la Joconde

Mona-Lisa ! – D’où vient qu’en cherchant dans le Louvre
Mon maître, mon titan, Léonard de Vinci,
Plus loin que la Joconde en rêvant je découvre
Ce tableau féminin, ce Saint-Jean que voici ?

Jean ! ce bras délicat, la gorge qui s’entr’ouvre,
Ces cheveux longs, bouclés, qu’a la Joconde aussi ?
Non, c’est le souvenir de Monna qui se rouvre,
L’amour de Lionardo, sa foule, son souci !

Il la croise en tous cieux, il la rêve, il lui donne
Le peplum du disciple ou l’œil de la madone ;
Son pinceau travestit l’idéal enchanté.

A voir Mona-Lisa dans ce beau Jean-Baptiste,
On surprend Léonard en son amour d’artiste :
Sa maîtresse est pour lui le type de beauté !

Q8  T15

C’est le nouveau théâtre, humains, réel, étrange ; — 1869 (33)

Arsène Houssaye in L’Artiste

Portrait D’Alexandre Dumas II

C’est le nouveau théâtre, humain, réel, étrange ;
Marguerite Gautier coudoie Ophélia,
Le cœur saigne en raillant, l’amour est un échange
De deux corruptions et d’un camélia.

Le demi-monde s’ouvre à la baronne d’Ange,
Diane avec un lys fume un régalia ;
Le masque du démon est le masque de l’ange,
Pendant que des deux mains applaudit Lélia.

Ce n’est plus Dumas I ; ce n’est plus l’ancien drame,
Le romantisme avec son vertige et sa trame,
Ses rois, ses chevaliers, son idéalité.

Non : c’est une autre vie et c’est une autre source,
La comédie au bois, au salon, à la bourse,
Plus tragique peut-être en sa réalité.

Q8  T15

Voyant qu’aujourd’hui les marchands — 1869 (32)

Louis de Veyrières Monographie du sonnet

Un improvisateur, de dix-neuf à vingt ans, déjà célèbre, heureux héritier d’Eugène de Pradel, nous fournira le second exemple par le sonnet suivant, composé dans une réunion au collège de Roanne, le 4 avril 1865.

Alfred Besse

La Loire

Voyant qu’aujourd’hui les marchands
Ont le pas même sur les princes,
Que les lauriers les plus brillants
Sont pour les cerveaux les plus minces,

Que des critiques insolents,
A Paris narguant leurs provinces,
Pour briser les plus beaux talents,
De leurs plumes se font des pinces ;

La sainte Poésie en pleurs
S’est dit : « cherchons des cieux meilleurs,
Où l’on puisse rêver la gloire ».

Puis, implorant votre concours,
Elle vient abriter ses jours
Sur les bords fleuris de la Loire.

Q8  T15  octo

Il est un amour saint comme l’amour d’un ange, — 1869 (31)

(Louis de Veyrières) Monographie du sonnet

Delphis de la Cour

L’amour maternel

Il est un amour saint comme l’amour d’un ange,
Un amour dont le ciel ne peut être jaloux,
Et qui change à son gré, par un miracle étrange,
Les louves en brebis et les brebis en loups.

Il donne tout sans rien demander en échange,
Il nous berce du cœur, enfant, sur ses genoux ;
C’est l’amour maternel, amour pur, sans mélange,
Un autre ange gardien que Dieu mit près de nous.

Les fils sont oublieux : quand la vie est amère,
Qu’ils viennent se jeter dans les bras de leur mère,
Des liens de son cœur rien ne brise les nœuds ;

Elle ne craint la mort que pour ces fils qu’elle aime,
Elle sait qu’on survit ; la mort pour elle-même
N’est qu’un prolongement de l’existence en eux.

Q8  T15

Que de mystères couvre un nom ! … — 1869 (30)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Georges Garnier

Sonnet-Anagramme
Marie-Aimer

Que de mystères couvre un nom ! …
Sous la lettre palpite l’âme :
Le caillou recèle la flamme ;
Dans le granit chante Memnon.

– ‘ Oh ! ‘ bégaye un grave Zénon,
Cet exorde est une réclame
Pour un jeu que la raison blâme …
Quelque anagramme ? … – pourquoi non ?

La vérité se voile d’ombres :
Pythagore l’extrait des nombres :
Des mots nous pouvons l’exhumer.

Amor ! – Roma ! dit Egérie …
Si ma bouche murmure : « Aimer ! »
L’écho des cieux répond : « Marie ! »

Q15  T14 – banv –  octo

La deuxième règle consiste à croiser les rimes de chaque quatrain, et par conséquent à ne pas les croiser dans le second tercet.

Tandis que je suivais, nonchalant et morose, — 1869 (29)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Auguste Lestourgie

Tandis que je suivais, nonchalant et morose,
L’étroit sentier qui mène au sommet du coteau,
La brume le couvrait d’un humide manteau,
Me cachant les ajoncs et le bruyère rose ;

En mon coeur sombre aussi se cache quelque chose ;
Toute la floraison de mon doux renouveau,
Amour et poésie ! … ah ! mon rêve si beau,
Sous quel brouillard épais maintenant il repose !

Mais je monte, et déjà dans le ciel moins obscur,
Aux grisailles d’automne est mêlé quelque azur ;
Mon cœur dans son linceul se débat et palpite.

Fuyez, vapeurs, fuyez, soucis pesants et froids !
L’Orient se colore, ombres, tombez plus vite !
Le soleil et mon cœur renaîtront à la fois.

Q15  T14 – banv

«  Les repos y sont observés avec une exactitude suffisante, sauf peut-être pour la fin du sixième vers. On l’a vu, les quatrains commencent et finissent par des rimes féminines. »
L’agencement des vers dans le sonnet qui suit offre la même ordonnance ; mais le premier et le dernier de chaque quatrain sont terminés par une rime masculine ».

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus, — 1869 (26)

Albert MératL’idole

Avant-dernier sonnet

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus,
Inscrivaient Callipyge au socle de la pierre,
Ils aimaient, par amour de la grande matière,
La vérité des corps harmonieux et nus.

Je ne crois pas aux sots faussement ingénus
A qui l’éclat du beau fait baisser la paupière;
Je veux voir et nommer la forme tout entière
Qui n’a point de détails honteux ou mal venus.

C’est pourquoi je vous loue, ô blancheurs, ô merveilles,
A ces autres beautés égales et pareilles,
Que l’art même, hésitant, tremble de composer;

Superbes dans le cadre indigne de la chambre,
L’amoureuse nature a, d’un divin baiser,
Sur votre neige aussi mis deux fossettes d’ambre.

Q15 – T14 – banv

La vie est un sonnet triste et funambulesque — 1869 (25)

Gabriel Marc Soleils d’octobre

La vie humaine

La vie est un sonnet triste et funambulesque
Dont le premier quatrain est seul d’or & d’azur.
Jusqu’à vingt ans, les bois sont verts, le ciel est pur,
Et l’on marche à travers un pays romanesque.

Puis, la scène devient froide, brumeuse et presque
Funèbre. Il faut lutter dans un dédale obscur,
Et jouer, pour manger un pain amer & dur,
Des farces d’histrions sous un masque grotesque.

Au milieu des soucis, des remords, des douleurs,
Noirs récifs dans la mer insondable des pleurs,
L’homme navigue ainsi jusqu’à son dernier lustre.

Et le sonnet soumis à l’inflexible sort,
Qu’on soit prince, bandit, pâtre ou poète illustre,
S’achève par ce mot épouvantable: Mort.

Q15 – T14 – banv

Pour le sonnet, huit ou dix pieds ! — 1869 (23)

Louis Veuillot Les couleuvres

Le Sonnet

Pour le sonnet, huit ou dix pieds !
A douze, il prend des ampleurs lourdes ;
Le remplissage y met ses bourdes,
Vain bâton des estropiés.

Que de fléaux multipliés !
Les longueurs, les emphases sourdes,
Les adjectifs creux comme gourdes,
Chargent les vers humiliés.

Les douze pieds, c’est la charrette.
Pégase regimbe, il s’arrête,
Voyant qu’il faut prendre le pas.

Libre de cette peur fatale,
Sur huit pieds, fringant, il détale,
Et s’il crève, il ne traîne pas.

Q15 – T15 – octo – s sur s

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit : — 1869 (22)

Louis Veuillot Les couleuvres

Intermède

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit :
“ Alcippe, il est donc vrai ! par un furtif commerce,
A transgresser la loi ton faible esprit s’exerce,
Et fait faire au sonnet un métier interdit ? ”

Boileau, chez moi, n’est pas de ces gens sans crédit.
Je donnai mes raisons, et ce fut une averse.
Il reprit : “ Le chemin où toujours chacun verse,
Et le chemin  mauvais, non le chemin hardi.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème …
Soit ! Mais n’en tire pas la conséquence extrême
Qu’un poème en sonnets puisse être sans défaut.

C’est ainsi que l’on crée aux temps de décadence :

D’un monstre avec effort accouche l’impuissance ! ”
Il se tut. Je changeai de rythme, assez penaud.

Q15 – T15 – s sur s