Archives de catégorie : formules principales

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre, — 1866 (2)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville
I

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre,
Vidant joyeusement ma bourse et mon hanap;
Maintenant, je suis roide, et froid comme un cadavre,
J’ai la pâleur du coing et je bois du jalap.

Le désir de la mer m’entraîne vers Le Havre,
L’amour des hauts sommets me pousse jusqu’à Gap;
Mais je souffle en montant, où le passé me navre,
Et j’ai peur du naufrage en doublant quelque cap.

Amis des droits vaincus, mon vers défend le peuple;
Je dis à l’Avenir: « l’Irlande se dépeuple,
Accours la consoler, Dieu le veut … allons, houp! »

Puis je songe à dormir à l’ombre, sous un trèfle.
Un torride soleil rend mou comme une nèfle;
Je m’attends à mourir du typhus ou du croup.

Q8 – T15 Exercice de rimes rares: -avre – ap – euple – oup – èfle (TLF) jalap : Plante proche du liseron, très répandue en Amérique du Nord, dont la racine tubéreuse est utilisée comme purgatif :

Au milieu des lianes de jalap pleines de corolles parlantes
Les grands échassiers gris et roses se régalent de lézards croustillants et s’envolent avec un grand bruit d’ailes à notre approche.
CENDRARS, Du monde entier au cœur du monde, Vomito negro, 1957, p. 144. – P. méton. Extrait de la racine de la plante aux propriétés laxatives.

Lincoln, grand citoyen, fils de la liberté, — 1865 (3)

J.C. Lusine extrait du Phare de la Loire sous forme de faire-part


Un rameau d’Immortelle

Lincoln, grand citoyen, fils de la liberté,
Intègre magistrat, vertu digne d’Homère ;
Toi qui n’oublias point ton berceau ni ta mère,
Gloire de l’Amérique et de l’Humanité !

Ton devoir est rempli ; ton ombre avec fierté
Voit l’esclavage en vain quêter un victimaire,
Il n’a pris que ton coprs, le crime est éphémère …
Ton œuvre à toi s’envole à l’Immortalité !

Aussi, comme une femme au fruit de ses entrailles
Le Sud au Nord uni pleure à tes funérailles :
Ton sang dicte la paix au peuple fier géant.

Reçois donc, ô martyr de la Liberté Sainte,
Des travailleurs dans le deuil et la plainte
Un rameau d’Immortelle à travers l’Océan !

Q15 – T15

Je veux faire un sonnet, – superbe … magnifique! — 1864 (7)

Frederick Juncker Sonnets

Fantaisie

Je veux faire un sonnet, – superbe … magnifique!
Original, surtout: mon sujet est charmant.
Je l’ai tiré du coeur, et, certes!, je me pique
De toucher cette corde harmonieusement …

Pour qu’il soit sans reproche, il faut que je m’applique,
Le revoie et corrige; – il faut également
Qu’il soit mis bien au net, afin que la critique,
Honteuse, devant nous, s’incline poliment.

Ah! Nous allons donc faire une oeuvre de génie!
Je me sens tout dispos! La rime et l’harmonie
Chantent à mes côtés leurs plus belles chansons;

Vite! Dans ce beau feu que ma verve s’allume;
Mon buvard! …   mon papier! Mon garde-main, ma plume!
Et maintenant j’y suis, – tout est prêt – Commençons!

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Q8 – T15 – 15v  – s sur s Ici, il allonge le texte d’une ligne de points, quinzième vers, ou premier vers d’un sonnet absent.

J’aurai trente-six ans dans onze mois d’ici; — 1864 (6)

Frederick Juncker La gerbe


Ego

J’aurai trente-six ans dans onze mois d’ici;
Je suis blond, grand et mince, assez facile à vivre;
Les extrêmes chez moi vont se touchant – Ainsi
Je suis plus fou qu’un singe, ou plus grave qu’un livre.

Je ne suis pas courtois; – pourtant, je dis: Merci!
Quand on m’offre une chaise. – Aisément je me livre
A qui m’offre son coeur; mais – qu’on me pende! – si
J’en ai jamais cherché qu’on rougirait de suivre!

Quant à mes qualités, mes défauts, mon humeur,
Ma foi! N’en parlons pas; je ne suis point fumeur
Et c’est une vertu, de nos jours, assez belle.

Je travaille pour vivre et chante par amour,
Enfin, je crois en Dieu, très-cher lecteur, et pour
En finir avec moi, sache que je m’appelle:
Frédérick Juncker

Q8 – T15 Frédérick Junker introduit son nom en supplément à son sonnet, par sa signature manuscrite en facsimile.

Qui peut vous oublier blondes filles du Nord, — 1864 (4)

A. de Flaux Sonnets

XIV
Sur les jeunes filles de Stockholm

Qui peut vous oublier blondes filles du Nord,
Au teint pâle, aux yeux bleus, si pures et si belles
Qu’il nous semble toujours aux voûtes éternelles,
Comme des séraphins, vous allez prendre essor!

De vos yeux abrités sous vos longs cheveux d’or
Parfois, à votre insu, sortent des étincelles.
C’est que le feu caché qui couve en vos prunelles
N’a dans aucun climat fait battre un coeur plus fort.

Pendant les courtes nuits de juin, ô jeunes  filles,
Quand vous veniez, le front caché sous vos mantilles,
Fouler d’un pied léger les prés de Djurgarden,

Je croyais voir au ciel scintiller plus d’étoiles;
L’air était embaumé, la nuit était sans voiles,
Et mon rêve enchanté durait jusqu’au matin.

Q15 – T15

Je me suis laissé prendre au piège — 1863 (12)

François-Victor Lacrampe Les chaumes

Sonnet

Je me suis laissé prendre au piège
De ces deux yeux noirs et profonds,
Et les miens leur font un cortège
Comme aux roses les papillons.

Ces yeux ornent un front de neige
Couronnés de beaux cheveux blonds,
C’est comme un voile qui protège
Leurs mélancoliques rayons.

Malgré moi, je reste en extase ;
Je veux parler, mais chaque phrase
S’arrête et jamais ne finit.

J’admire leur beauté divine,
Silencieux … çà, ma voisine,
Je suis bien près de votre nid.

Q8  T15  octo  bi

Au fond des bois, sous l’humide feuillée, — 1863 (11)

Alexandre Toupet Vieux péchés

Emma Livry

Au fond des bois, sous l’humide feuillée,
Tout gazouillait de badines chansons,
Des bruits joyeux montaient de la vallée,
Et dans leurs nids chantaient les oisillons.

Un papillon avait pris sa volée !
Sylphe rapide, il faisait sa moisson
D’un beau jardin parcourant chaque allée,
Se promenant de la fleur au buisson.

Comme une abeille, ô mutine sylphide,
Tu voltigeais, sans craindre l’avenir
Qui t’entrainait d’un sourire perfide.

Car sans songer qu’un jour tout doit finir,
Tu vins frôler une funeste flamme
Qui dans l’azur fit s’envoler ton âme

Le 15 novembre 1862, pendant une répétition sur la scène de l’Opéra, la gracieuse artiste chorégraphique, qui allait reprende le rôle de Fenella, dans La muette de Portici, s’étant imprudemment mise sur un praticable, placé près d’une herse de gaz, se vi soudainement entourée d’un réseau de flammes.

Q8  T23  déca  bi

Si dédaigneuse un jour de ma pauvre maison, — 1863 (8)

Auguste Lestourgie Rimes limousines

Sonnet

Si dédaigneuse un jour de ma pauvre maison,
Ma muse veut partir et quitter son poète ;
Ah ! qu’elle entende bien que, sans tourner la tête,
Sans regarder ses pas marqués sur le gazon,

Sans voir sa robe blanche au bout de l’horizon,
Je la retrouverai, car je sais sa retraite !
Non ! non ! je n’irai point d’elle me mettre en quête,
Ô, cités, dans vos murs, vaste et noire prison !

Ni sur vos bords fleuris, beaux fleuves d’Italie,
Mer d’Ischia, si chère à la mélancolie,
Ni même sur les tiens, Rhin aux flots indomptés !

Car la muse que j’aime, et que j’ai pour compagne
Naquit un jour de mai sur la haute montagne
Au bord de ces lacs bleus que Wordsworth a chantés !

Q15  T15

Tu veux faire un Sonnet? Prends garde, jeune auteur, — 1863 (1)

Henri Rossey Mélanges poétiques

Le Sonnet
A mon jeune ami Eugène Huvé de Garel

Tu veux faire un Sonnet? Prends garde, jeune auteur,
Ecoute auparavant Boileau qui te conseille.
Ce poëme est, dit-il, une pure merveille
Et du Pinde français sera toujours l’honneur.

Mais de mille écrivains il a trompé l’ardeur,
Il fuit toute licence, au choix des mots il veille;
Il faut qu’en deux quatrains de mesure pareille,
La rime, avec deux sons, huit fois plaise au lecteur.

Puis un double tercet, qu’un sens complet partage,
Doit finir dignement ce difficile ouvrage
Dont Apollon dicta les rigoureuses lois.

Si ton talent n’est pas un éclair qui t’abuse,
Poursuis; mais lis ces vers où je t’offre à la fois
Des règles, un exemple, utiles à ta muse.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Parce que de la viande était à point rôtie — 1862 (11)

Mallarmé in  Oeuvres complêtes – Poésies

Parce que de la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol,
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col,

Parce que d’un lit, grand comme une sacristie,
Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
Ou qu’il n’a pas sommeil, et que, sans modestie,
Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
Et travaille en soufflant inexorablement:

Et de ce qu’une nuit, sans rage et sans tempête,
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète!

Q8 – T14