Archives de catégorie : formules principales

Aux murs où Jean Calvin brûla Michel Servet, — 1848 (4)

Charles Didier La porte d’ivoire


A Jacques-Imbert Gallois

Le poète :  Mais, monseigneur, il faut bien que je vive
Le Cardinal de Richelieu : je n’en vois pas la nécessité.

Aux murs où Jean Calvin brûla Michel Servet,
D’agio vit et vit bien le banquier magnifique ;
Bien vermeil et bien gras, le bourgeois prolifique
Se fait du doux rien-faire un commode chevet.

Au nom du plébéien qui souffrait, qui sauvait,
Le prédicant bavard du Dieu vivant trafique,
Et, damnant son prochain d’une voix séraphique,
Il mange bien, boit mieux et dort sur un duvet.

Le danseur vit du bal, le docteur de la goutte,
Sur le char du budget le pédant fait la route,
Comme un singe autrefois le fit sur un dauphin.

La courtisane vit de ses banales veilles,
L’espion est payé pour avoir des oreilles,
Le parasite dîne …. et le poëte a faim.

Genève, 1827

Q15  T15

Dans un sombre tableau du vieux Albert Dürer, — 1848 (1)

Charles FournelPoésies

Dans un sombre tableau du vieux Albert Dürer,
Un cavalier pensif par la forêt chevauche,
Il porte lance à droite et longue épée à gauche,
Il ne sait point jusqu’où sa route va durer:

Les goules, qui des morts courent se saturer,
Lui montrent griffe et dents; le vieux spectre qui fauche
Lui sourit tendrement, et l’ombre en foule ébauche
Des visions, que l’oeil ose à peine endurer.

Quand là-bas, sous le ciel et sur la verte côte,
Ton bourg luit au soleil, en chemin côte-à-côte
Avec l’affreuse Mort, où vas-tu compagnon?

Quand, nous tendant les bras, le bonheur nous invite
A passer avec lui nos ans, qui vont si vite,
Où nous entraînes-tu, perfide ambition?

Q15 – T15

Poète à la voix pure, aux pensers ravissants — 1847 (7)

Hippolyte Tampucci Poésies nouvelles

Millevoye

Poète à la voix pure, aux pensers ravissants
Millevoye apparut dans cette sombre vie
Comme un ange d’amour et de mélancolie,
Pour séduire l’oreille et le cœur et les sens.

Le front tout parfumé de baisers caressants,
Il exhalait son âme en douce mélodie.
L’ardente volupté, pour lui n’eut point de lie,
Mais des flots de nectar, sans cesse renaissants.

Il lègue à l’avenir une page immortelle.
Enfin, las de bonheur, comme une fleur nouvelle,
Il tombe en son midi, brisé, sans se flétrir.

O soir délicieux d’une belle journée !
O sort digne d’envie ! ô sainte destinée !
Jeune, aimer, être aimé, le chanter, puis mourir !

Q15  T15

O doux baiser, qu’au milieu des alarmes, — 1847 (6)

Gabriel Monavon Jeunes fleurs

Un baiser

O doux baiser, qu’au milieu des alarmes,
J’osai ravir au sein de la beauté,
Riant larçin, trésor de volupté,
Dont les périls ont redoublé les charmes.

A tes élans, pour opposer des armes,
La crainte en vain s’unit à la fierté,
Tu sus t’ouvrir un passage enchanté,
Et la pudeur t’a pardonné ses larmes.

O doux baiser ! tendre espoir d’un amant,
Sois le prélude et le gage charmant
Des biens promis à ma flamme discrète.

Sur ce beau sein que tu pris en vainqueur,
Laisse à jamais ton empreinte secrète,
Et sois le sceau des mystères du cœur.

Q15  T14  déca – banv

Dans ces élans de ma tendresse — 1847 (5)

dr. Alexandre Delainne Hommage lyrique aux sciences naturelles

A toi

Dans ces élans de ma tendresse
Lorsque mon cœur bat près de toi,
D’où vient mon indicible ivresse ?
Oh ! si tu le sais, dis-le moi !

Mon âme qui n’est plus maîtresse
De ses transports, de son émoi,
Vers la tienne vole, s’empresse
Et veut s’y confondre … pourquoi ?

C’est que du ciel l’ordre inflexible
Par ses lois, de l’être sensible
Veut aussi charmer le séjour.

Et l’attraction si féconde,
Ce sublime pivot du monde,
Entre nous deux s’appelle … amour !

Q8  T15  octo

Oh ! mes jeunes amours, qu’êtes-vous devenues, — 1847 (4)

Charles Brainne Premières armes

A Madame A.M.

Oh ! mes jeunes amours, qu’êtes-vous devenues,
Vous que j’aurais voulu garder comme un trésor ;
L’instant où je croyais toucher du front les nues,
Et m’élever au ciel par un magique essor.

Accents mélodieux, extases inconnues
Qu’un ange soupirait sur une harpe d’or,
Harmonieux essaim de beautés toutes nues
Qui devant moi passiez et repassiez encor.

Ah ! revenez à moi, revenez, doux mensonges,
Qui voltigiez la nuit sur les ailes des songes,
Revenez endormir mes yeux mouillés de pleurs.

Rendez-moi, par pitié de ma longue souffrance,
Un peu de joie, au prix d’un siècle de douleurs,
Pour tous mes souvenirs une seule espérance.

Q8  T14

Quel caprice vivant qu’Alice! — 1847 (3)

Charles Hugo in Album d’Alice Ozy

Quel caprice vivant qu’Alice!
Par caprice elle eut pour amant
Un prince. On ne sait pas comment
Elle le quitta. – Par caprice!

L’éclat n’a rien qui l’éblouisse.
Elle préfère à tout moment
L’humble fleur au fin diamant,
Du beau rayon le pur calice.

Aujourd’hui sans savoir pourquoi,
Par caprice elle m’aime, moi! –
Par caprice, elle m’est fidèle.

Je ne connais dans ses amours
Qu’un caprice qu’elle a toujours:
C’est le caprice d’être belle.

Q15 – T15 – octo  Un des poèmes écrits par un des fils de Victor Hugo, rival (malheureux) de son père pour les faveurs de la belle Alice Ozy .

Amazone aux reins forts, solide centauresse, — 1847 (2)

Théodore de Banville Le sang de la coupe

Amazone nue

Amazone aux reins forts, solide centauresse,
Tu tiens par les cheveux, sans mors et sans lien,
Ton cheval de Titan, monstre thessalien;
Ta cuisse avec fureur le dompte et le caresse.

On voit voler au vent sa crinière et sa tresse.
Le superbe coursier t’obéit comme un chien,
Et rien n’arrêterait dans son calme païen
Ton corps, bâti de rocs comme une forteresse.

Franchissant d’un seul bond les antres effrayés,
Vous frappez du sabot, dans les bois non frayés,
Les pâtres chevelus et les troupeaux qui bêlent.

Toi, Nymphe, sans tunique, et ton cheval sans mors,
Vos flancs restent collés et vos croupes se mêlent,
Solide centauresse, amazone aux reins forts!

Q15 – T14 – banv

Au beau cauchois, la plus humble chaumière, — 1846 (11)

Victor Fleury, secrétaire de la mairie d’Ingouville Lointains

Sonnet

Au beau cauchois, la plus humble chaumière,
Sur son toit vert de mousse a des Iris d’azur,
Et sa vigne, accrochée à des clous sur les murs,
Pour jeter l’ombre au seuil inondé de lumière ;

Quelques poules, un coq, dont la voix la première
Salue à l’orient le jour encore obscur ;
Une mare dormante, ou bien un ruisseau pur,
Ou vient souvent puiser une fraîche fermière.

Et, devant la masure, un jardin, où les fleurs
– Doux emblêmes laissés comme choses fertiles, –
Ne poussent qu’au hasard parmi les biens utiles.

Une haie, en été, la défend des chaleurs,
Et les sureaux touffus, et la blanche aubépine
Y neigent, vers le soir, au vent de la colline.

Q15  T30

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance, — 1846 (10)

Philippe d’Arbaud-Jouques Idylles antiques et sonnets

XII

Avignon, tu charmais les jours de mon enfance,
Quand d’une aïeule, heureux, je revoyais le seuil,
Et le Rhône flattait des bruits de son écueil,
Par sa mère conduit, l’enfant de la Durance.

Aujourd’hui, dans tes murs, étranger je m’avance,
Car ses remparts ont vu mon aïeule au cercueil,
Hélas ! depuis ce jour ton différent accueil
Glace en moi du passé la douce souvenance.

Bel âge, où, de la vie hôtes encor nouveaux,
Entre-voyant ses biens, nous ignorons ses maux !
Partout d’un jour serein je croyais voir l’aurore.

N’avez-vous plus, beaux lieux auxquels j’ai tant songé ,
Ce charme ? …. quel séjour me l’offrirait encore ?
L’illusion n’est plus, et le monde est changé.

Q15  T14 – banv