Archives de catégorie : formules principales

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire, — 1838 (14)

Charles de Chancel Juvenilia

A ma muse

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire,
Vos chants, dont nul encor n’avait ouï les chœurs,
Et vous vous envolez de mon toit solitaire,
Avide de trouver un écho dans les cœurs !

Hélas ! tout n’est pas rose au monde littéraire !
Si quelques écrivains, y traînent en vainqueurs,
Le plus grand nombre y rampe et la critique austère,
A fustigé leurs noms de leurs rires moqueurs.

Mais, grâce à vos doux yeux, Muse, à votre jeune âge,
Peut-être qu’elle aura pour vous un doux langage,
Et que pour vous guider elle tendra la main ……

Partez, que Dieu vous garde, ô belle voyageuse,
Et que des vents amis vous ramènent joyeuse,
Sans déchirer votre aile aux ronces du chemin.

Q8  T15

A nos aieux, le pur honneur, — 1838 (13)

Théophile Lodin de Lalaire Les victimes

Le siècle

A nos aieux, le pur honneur,
La fleur de la galanterie
L’amour du roi, de la patrie
Et de Dieu ; partant, le bonheur.

Chez eux, point de plat suborneur
Qui livrât la foule ahurie
Au vil Moloch de l’industrie ;
Point de sophiste empoisonneur.

Mais c’est à l’or que je me pique
D’offrir mon encens romantique,
Et je jette le reste aux vents.

Pour l’or, comme un nègre je sue,
J’écris, je trahis, je me vends,
Je sers, je nuis, je meurs, je tue.

Q15  T14  – banv – octo

ö Charle, ô guide sûr ! que de choses trouvées, — 1838 (11)

Ulric Guttinger Jumièges, prose et vers

A mon  honorable ami, M.Charles Nodier, de l’Académie française

ö Charle, ô guide sûr ! que de choses trouvées,
Sur vos pas tant aimés du gothique manoir !
A vous qui d’une main relevez l’encensoir,
Et de l’autre agitez la baguette des fées.

A vous, proses et vers, de ces scènes rêvées
Aux bords où notre muse une fois vint s’asseoir,
Où la sainte abbaye, aux lueurs d’un beau soir,
Sentit à vos accents ses tombes relevées !

A vous tous ces récits qu’entamait votre voix,
Lorsque la paix du monde en évoque les gloires !
A vous tous les échos de ce jour d’autrefois,

Cher et bon enchanteur de nos vieilles histoires,
Héritier des secrets d’un si grand souvenir,
Et dont ce beau passé fait un bel avenir !

Q15  T23

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose: — 1838 (6)

Théophile Gautier La comédie de la mort


Adieu à la poésie

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose:
Ote ta robe blanche et tes beaux rayons d’or;
Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor,
Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.

Il faut que sur le sol ton pied d’oiseau se pose.
Marche au lieu de voler: il n’est pas temps encor;
Renferme dans ton coeur l’harmonieux trésor;
Que ta harpe un moment se détende et repose.

O pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain,
Ils ne comprendraient pas ton langage divin;
A tes plus doux accents ton oreille est fermée!

Mais avant de partir, mon bel ange à l’oeil bleu,
Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée,
Et pose sur son front un long baiser d’adieu!

Q15 – T14 – banv

Hier, dans votre sein, ma montre est descendue. — 1838 (5)

François Ponsard in Oeuvres complêtes, III (1876)

La montre

Hier, dans votre sein, ma montre est descendue.
Le pays lui parut sans doute bien orné,
Car, pour voir chaque site, elle a tant cheminé,
Que la pauvre imprudente à la fin s’est perdue.

Elle battait bien fort; vous l’avez entendue,
Mais vous ne saviez pas que j’eusse imaginé
D’y renfermer au fond un coeur emprisonné;
C’était lui qui battait sur votre gorge nue.

Depuis ce temps, il bat d’un mouvement si vif
Dans le cachot doré qui le retient captif,
Que ma montre en une heure achève la semaine.

C’est ainsi qu’à l’en croire, il s’est passé des mois
Depuis que je vous vis pour la dernière fois;
Il s’est passé pourtant une journée à peine.

Q15 – T15

J’aime, en jetant aux airs des senteurs de jasmin, — 1838 (4)

Théodore CarlierPsukhê; Etudes

Vous encore!

J’aime, en jetant aux airs des senteurs de jasmin,
De tes beaux cheveux bruns mêler la longue tresse!
J’aime, pour m’enivrer d’un bonheur surhumain,
Attirer tes regards, doux comme une caresse!

J’aime te voir pleurer lorsque, sur ton chemin,
Quelque mère indigente à ta pitié s’adresse!
J’aime te voir sourire, et me presser la main,
Lorsqu’un couple béni se parle avec tendresse!

J’aime ta voix, tes pas légers comme l’oiseau,
Ta taille mollement souple comme un roseau,
Et ton coeur pour moi sans mystère!

Mais j’ai peur, quand ton pied se pose à peine au sol,
Que tu ne sois un ange, – et que, prenant ton vol,
Tu ne me laisses sur la terre!

Q8 – T15 – 2m (octo:v.11, v.14)

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve! — 1838 (1)

Jules LacroixPervenches

1-3 L’auteur dédie son ‘sonnet sur le sonnet’ à Sainte-Beuve: le sonnet y est dit ‘vase d’or’, ‘cloche’, ‘cage d’or et de cristal’ (toujours le cristal). Pour saluer trois poètes amis, quoi de plus naturel que le vers de 3 syllabes. Les tercets de 3 sont à deux rimes: cdd  ccd
Dans sa préface, il ne résiste pas au désir de montrer qu’il a connu le sonnet bien avant sa vogue naissante (il en met une bonne centaine dans son livre):  » 16 mai 1838 –  Parmi dix ou douze mille vers que je ne publierai sans doute jamais, en voici quelque-uns que j’ai tiré de la poussière; il y a une dizaine d’années qu’ils sont écrits. J’étais poëte alors, ou du moins je voulais l’être
Je me rappelle avec épouvante qu’il n’est pas un seul de ces pauvres sonnets qui ne m’ait dévoré huit bonnes heures: en vérité ce calcul est effrayant!
Je commence à comprendre que huit heures valent beaucoup mieux qu’un sonnet, qui, tout merveilleux qu’il puisse être, ne vaut pas un long poëme, à moins que ce poëme ne soit très ennuyeux.
…. il est assez probable que ces quelques sonnets, autrefois mes joyaux poétiques les plus précieux, n’eussent jamais vu la lumière, car je les avais entièrement oubliés, lorsqu’un jour, dans une de ces fâcheuses dispositions morales où l’on ne peut ni lire ni travailler, où l’on voit tout sous des couleurs sombres, je découvris par hasard, en fouillant dans mes cartons, une vingtaine de feuilles noires et chargées d’écriture, margine scripta, et in tergo...
Je relus donc plusieurs de ces pages raturées et presque indéchiffrables, et j’avoue que ce ne fut pas sans quelque émotion de plaisir; je m’écriai avec une joie d’enfant: « Mes sonnets! voilà mes sonnets! » absolument comme Jean-Jacques Rousseau qui, voyant briller une jolie fleur bleue dans un buisson, se rappela tout à coup le frais enclos des Charmettes après trente années d’amertume et de larmes, et s’écria sans une mélancolie délicieuse: « Oh! voilà des pervenches! ».

1
A mon ami Sainte-Beuve

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve!
Ton bras vient d’arracher au cendres de l’oubli
Le vieux Ronsard, géant de marbre enseveli;
Et sa gloire au soleil reparait toute neuve!

Dans sa muse profonde à grands flots je m’abreuve.
Le sonnet, vase d’or, sculpté, riche, accompli,
Le beau sonnet vermeil, que l’artiste a rempli,
Maintenant brille et coule, abondant comme un fleuve.

J’aime l’ode, coursier aux longs crins vagabonds,
Qui va terrible et fière, et s’élance par bonds!
Mais le sonnet pompeux m’éblouit et m’enchante:

C’est une cloche où roule un écho de métal;
Une cage vibrante, et d’or et de cristal,
Où voltige un oiseau mélodieux qui chante!

Q15 – T15  – s sur s

Le soleil de mes jours a pâli de bonne heure ; — 1837 (6)

Krystyn Ostrowski La semaine d’exil


A Hélène

Le soleil de mes jours a pâli de bonne heure ;
A peine ayant goûté du bonheur enfantin
L’orage m’a surpris, et bientôt, ô destin !
J’irai me reposer dans la froide demeure.

La vie, ô mon enfant! n’est pas ce que je pleure :
Mais je n’ai pas cueilli les roses du matin,
Et le soir vient si tôt, mon gîte est si lointain,
Sans ami» sans espoir, il faut donc que je meure!

A toi, jeune fontaine, un rivage odorant,
Les bosquets du Gepustck, les demeures des anges ;
Laisse les noirs écueils aux ondes du torrent;
Et quand il va mourir eu entraînant ses fanges,
Permets, jeune ruisseau, que dit moins en mourant,
Sans ternir ton cristal, il dise tes louanges.

Q15  T15  disp 8+6

Les vagues à vos pieds, comme aux pieds de leur reine, — 1837 (5)

Raymond Du Doré Poésies d’un proscrit


Sonnet

Les vagues à vos pieds, comme aux pieds de leur reine,
Venaient, ô Julia ! se briser tour à tour :
L’azur tendre et profond de la voûte sereine
Se peignait à vos yeux plus brillans que le jour.

Sur votre front charmant, dans vos boucles d’ébène,
Des zéphirs arrivans jouaient avec amour,
Et l’effort indiscret de leur suave haleine,
Quelquefois trahissait un ravissant contour.

Le doux frémissement des arbres de la rive,
Les chants du matelot, l’oiseau, l’oiseau, l’onde plaintive,
Tout semblait rendre hommage à vos divins attraits,

Mais vous, sans regarder ni les flots ni la terre,
Pensive, vous teniez la main de votre mère,
Ah ! que vous étiez belle et combien je souffrais.

Q8  T15