Archives de catégorie : formules principales

Oh ! que j’aime à m’asseoir au sein d’un frais vallon, — 1832 (5)

– Joseph Bard Les mélancoliques

L’aurore

Oh ! que j’aime à m’asseoir au sein d’un frais vallon,
Quand le crêpe des nuits a fait place à l’aurore !
Que j’aime à respirer sur un lit de gazon
Qu’abritent le mélèse et l’épais sycomore.

Là, les nuages d’or diaprent l’horizon,
Comme un voile du Dieu que l’univers adore,
Ici le roc altier blanchi par l’aquilon
De la pourpre du jour lentement se colore.

Je vois sur le grand lac les cygnes éveillés
Tendre leur col d’albâtre à des bords émaillés,
Ou mêler à l’azur le duvet de leurs ailes ;

Plus loin, la basilique aux gothiques cerceaux
Reflétant le soleil dans ses rouges vitraux
Briller comme un fanal des rives éternelles.

Q8  T15

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile, — 1832 (1)

J-B. Claray de Crest-VollandSonnet … à M. C.L. Mollevault

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile,
De la double colline a franchi les hauteurs.
Anacréon, Properce, et Tibulle, et Virgile
Revivent dans tes vers, applaudis des lecteurs.

Tu ne cueillis jamais une palme fragile;
Le mérite t’appelle au trône des auteurs;
Tant que vivra le goût sur ce globe d’argile,
Nos neveux rediront tes accords enchanteurs.

C’est à toi d’emboucher la trompette héroïque,
De chanter un grand roi, philosophe stoïque,
Qui fit régner Minerve où régnait le Dieu Mars.

Dans un hameau charmant, moderne Lucrétile,
Où tu sais marier l’agréable à l’utile,
Tu consacres ta vie au culte des beaux-arts.

Q8 – T15 – y=x : e=a

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ; — 1831 (4)

Charles Lassailly in L’Almanach de Muses

Hommage

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ;
Méprisant le vulgaire aveugle et ses bravos,
Loin de l’ornière antique où la foule se traîne,
D’une gloire précoce étonnes tes rivaux ;

A toi que, tout enfant, une belle marraine
Initiait en songe à des secrets nouveaux ;
A toi, dont le génie est un cheval sans rêne,
Car une voix t’a dit : Je sais ce que tu vaux !

A toi, qui juge seul le conquérant avide
Dont la chute ébranla son siècle encore vide.
A toi qui pouvais prendre un glaive au lieu d’un luth ;

Puis à toi, qui chantas tes chants comme un prophète,
Avec son dieu qui parle, à toi, le grand poète ;
A toi qui seras roi, Victor Hugo, Salut !

Q8  T15

Sur le ciel bleu du soir où l’étoile étincelle — 1831 (2)

Théodore Carlier – in Annales Romantiques

A une jeune fille

Sur le ciel bleu du soir où l’étoile étincelle
Jamais le pâle éclair ne traîne de lueur;
Jamais, ô belle enfant, la rêveuse douleur
Sur un front de quinze ans n’ose poser son aile.

Et pourtant sérieuse, à vos yeux infidèle,
Fuyant, comme un témoin, cette bruyante soeur
Dont le rire enfantin poursuit votre rougeur,
Vous allez aussi douce, aussi naïve qu’elle,

Retrouver votre mère et lui dire en pleurant,
Que l’on souffre beaucoup alors qu’on a quinze ans.
Oui, certes, vous souffrez, car votre regard brille;

Oui, certes, vous souffrez, car votre sein de lis
Palpitant sous la robe en enfle tous les plis;
Oui, vous souffrez … qui donc aimez-vous, jeune fille?

Q15 – T15

On dit que sur le roc où le grand empereur, — 1831 (1)

J.J. Hosemann & P. BoucherPoésies évangéliques

Napoléon – Sonnet

L’Eternel a en abomination tout homme hautain de coeur – Prov. xvi,5

On dit que sur le roc où le grand empereur,
Jouet des trahisons, fut jeté à l’envie,
Regardant en arrière il pleura dans son coeur,
Aux amers souvenirs de sa géante vie.

Alors se présentant devant son créateur,
– Oh! que cela soit vrai! – d’une âme réfléchie,
Le pauvre prisonnier, plein d’une humble douleur,
Fit du héros tombé la morale autopsie.

L’homme comprit la loi que le roi méconnut;
Il sentit vaguement le besoin d’un salut:
Et ce volcan humain, qui remua la terre, –
Ce soldat sans égal, devant qui tout fléchit,
Son front pyramidal courbé dans la poussière,
Près la mort – qui dit vrai, – se reconnut petit!

Q8 – T14

Votre génie est grand, Ami; votre penser — 1830 (16)

Sainte-Beuve Consolations

A V.H.

Votre génie est grand, Ami; votre penser
Monte, comme Elisée, au char vivant d’Elie.
Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie.
Votre souffle en passant pourrait nous renverser.

Mais vous prenez bien garde, Ami, de nous blesser;
Noble et tendre, jamais votre amitié n’oublie
Qu’un rien froisse souvent les coeurs et les délie.
Votre main sait chercher la nôtre et la presser.

Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d’armes,
S’il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes,
Il le met dans son casque et le porte en chemin;

Et de son gantelet  le touche avec caresses:
La nourrice serait moins habile aux tendresses;
La mère n’aurait pas une si douce main.

Q15 – T15

Pleurnichard hypocrite, et hypocrite flatteur, Sainte-Beuve finit de prendre date et de s’imposer à la postérité comme l’initiateur de la sonnet-manie qui, encore timidement, se prépare.

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie, — 1830 (15)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet
imité de Wordsworth

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie,
Qu’un éclatant forfait renverse du devoir ;
Du sang ; des rois bannis, misérables à voir ;
Ce n’est pas là-dedans qu’est toute poésie.

De soins plus doux la Muse est quelquefois saisie ;
Elle aime aussi la paix, les champs, l’air frais du soir,
Un penser calme et fort, mêlé de nonchaloir ;
Le lait pur des pasteurs lui devient ambroisie.

Assise au bord de l’eau qui réfléchit les cieux,
Elle aime la tristesse et ses élans pieux ;
Elle aime les parfums d’une ame qui s’exhale,

La marguerite éclose, et le sentier fuyant,
Et, quand Novembre étend sa brume matinale,
Une fumée au loin qui monte en tournoyant.

Q15  T14 – banv

En ces heures souvent que le plaisir abrège, — 1830 (14)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

En ces heures souvent que le plaisir abrège,
Causant d’un livre à lire et des romans nouveaux,
Ou me parlant déjà de mes prochains travaux,
Suspendue à mon cou, tu me dis : Comprendrai-je ?

Et, ta main se jouant à mon front qu’elle allège,
Tu vantes longuement nos sublimes cerveaux,
Et tu feins d’ignorer … Sais-tu ce que tu vaux,
Belle Ignorante, au blonds cheveux, au cou de neige ?

Qu’est toute la science auprès d’un sein pâmé,
Et d’une bouche en proie au baiser enflammé,
Et d’une voix qui pleure et chante à l’agonie ?

Ton frais regard console en un jour nébuleux ;
On lit son avenir au fond de tes yeux bleus,
Et ton sourire en sait plus long que le génie.

Q15  T15

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ; — 1830 (13)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ;
L’amant voit les attraits où n’en voit point l’époux ;
Mais que d’autres, narguant les sarcasmes jaloux,
Vantent un poil follet au-dessus d’une bouche ;

D’autres, sur des seins blancs un point comme une mouche ;
D’autres, des cils bien noirs à des yeux bleus bien doux,
Ou sur un cou de lait des cheveux d’un blond roux ;
Moi, j’aime en deux beaux yeux un sourire un peu louche :

C’est un rayon mouillé ; c’est un  soleil dans l’eau,
Qui nage au gré du vent dont frémit le bouleau ;
C’est un reflet de lune au rebord d’un nuage ;

C’est un pilote en mer, par un ciel obscuruci,
Qui s’égare, se trouble, et demande merci,
Et voudrait quelques Dieu, protecteur du voyage.

Q15  T15

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline, — 1830 (12)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline,
Débordant le bandeau qui le voile à nos yeux,
Baignent des deux côtés des sourcils gracieux :
Tel un double ruisseau descend d’une colline.

Et sa main, soutenant ce beau front qui s’incline,
Aime à jouer autour, et dans les flots soyeux
A noyer un doigt blanc, et l’ongle curieux
Rase en glissant les bords où leur cour se dessine.

Mais, au sommet du front, où le flot séparé
Découle en deux ruisseaux et montre un lit nacré,
Là, je crois voir Amour voltiger sur la rive ;

Nager la Volupté sur deux vagues d’azur ;
Ou sur un vert gazon, sur un sable d’or pur,
La Rêverie assise, aux yeux bleus et pensive.

Q15  T15