Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Les yeux obscurs sur le sépulcre de granit, — 1894 (18)

Revue de l’Est

L’éternel passant

Les yeux obscurs sur le sépulcre de granit,
Je criai : trouve-tu le repos dans ta couche,
Toi qui tentas d’une âpre et lamentable course
Etreindre l’Idéal par delà les zéniths ?

Toi que hante le noir secret des aconits,
Toi qui, raillé par le Temps chauve au sceptre courbe,
Au lit de Procuste trouvas l’heure trop courte,
Réponds, as-tu trouvé la Fin où tout finit ?

Dors-tu, toi l’Eternel Passant, écrasé d’ivres
Calvaires fous à travers les cités, maudites
Par les désespoirs las qu’ont saigné tes orteils ? –

Or du Sépulcre sourd sourdit une voix morne :
Mais, ô Songeur, comment voudrais-tu que je dorme
Avec ces vers rongeurs au cœur de mon sommeil ?

(Charles Guérin)

Q15  T15  rimes b et c : assonances

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s

A pas lents, et suivis du chien de la maison, — 1893 (4)

Albert Samain Au jardin de l’infante

Automne

A pas lents, et suivis du chien de la maison,
Nous refaisons la route à présent trop connue.
Un pâle automne signe au fond de l’avenue,
Et des femmes en deuil passent à l’horizon.

Comme dans un préau d’hospice ou de prison,
L’air est calme et d’une tristesse contenue;
Et chaque feuille d’or tombe, l’heure venue,
Ainsi qu’un souvenir, lente, sur le gazon.

Le Silence entre nous marche – coeurs de mensonges,
Chacun, las du voyage, et mûr pour d’autres songes,
Rêve égoïstement de retourner au port.

Mais les bois ont, ce soir, tant de mélancolie
Que notre coeur s’émeut à son tour et s’oublie
A parler du passé, sous le ciel qui s’endort,

Doucement, à mi-voix, comme d’un enfant mort …

Q15 – T15 +  d – 15v – 15 vers, comme souvent chez Samain.

Blanche, comme les flots de blanche mousseline, — 1892 (5)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Solitaire

Blanche, comme les flots de blanche mousseline,
Enveloppant sa chair exsangue de chlorose,
Elle rêve sur un divan dans une pose
Exquise de langueur, et de grâce féline.

De ses yeux creux jaillit un regard qui câline
Dans le vague, elle se rose,
Sa bouche se carmine et frissonne mi-close,
Sa taille par instants se cambre, puis s’incline.

Sa gorge liliale, où rouges sont empreintes
De lèvres, se raidit comme sous les étreintes,
Elle sursaute en proie au plaisir, et retombe.

Dans ses longs cheveux d’or épars rigide et pâle,
Et dans l’harmonieux tressailllement d’un râle,
On dirait un cadavre un peu frais pour la tombe.

Q15 – T15  – Tout en rimes féminines

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres — 1891 (24)

La Conque

Maurice Quillot

La comédie de la mort
à Stéphane Mallarmé

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres
Où pousse des touffes d’adorables chrysanthèmes
Dans les enclos fermés de cadenas et de chaînes!
– Comme si l’on craignait que les âmes se perdent.

On écrit leurs noms sur des Croix dans les herbes vertes:
Et dans l’ombre du soir, les parents vont tout blêmes,
Parce qu’ils ont peur de voir les Morts, hors de leurs gaînes,
S’en venir leur dire avec des bouches trop ouvertes:

 » Que venez vous ici, ridicules trouble-fêtes;
Allez, ce grand calme est bon pour nos pauvres têtes,
Et nos cheveux sont le gazon des lentes charmilles.

Comme les Dieux immortels, nous vivons sans querelles;
Nous disons nos ‘Ave’ sous les petites chapelles
Où sont inscrits nos noms dans les Caveaux des Familles! »

Q15 – T15 – 13s – Rimes approximatives (assonnances).

Vieil idéal manchot des mornes architectes — 1891 (23)

L’Ermitage

Georges Fourest

A la Vénus de Milo
‘Aux quinze-vingts le vieil Homère et toi cascade, Hortense, ma fille’ Jules Vallès

Vieil idéal manchot des mornes architectes
Sortis premiers de l’Ecole des Vilains-Arts;
Paros mal retrouvé par les benêts hasards,
Keulla-Reduction pour cracheurs de Pandectes

Plâtre durci sur la tronche pleine d’insectes
Des petits Italos, article de bazars,
Nulle en bizarre et bon nanan des vieux busards
Chez Balandard sur la pendule où tu t’objectes!

Paganisme des quincaillers! Bronze en toc! Zinc!
Sache que les adorateurs du marquis Tseng,
Ceux qu’un magot, poussah falot, séduit et botte,

O mijaurée, ont renversé ton piédestal
Et qu’ils ont mis dans un Panthéon de cristal
Ta Soeur négresse aux longs têtons: la Hottentote!

Q15 – T15

Sur les autels de pourpre ornant les cathédrales — 1891 (18)

Le concours de La Plume
(concours, premier prix)

Les vrais crucifiés, ce sont les amoureux
Jean Richepin

Sur les autels de pourpre ornant les cathédrales
Qu’élève un coeur mystique à la seule Beauté,
Des Madones, nimbant leurs fronts purs de clarté,
S’érigent dans l’orgueil de leurs robes astrales.

Les Christs crucifiés aux peintures murales
Lèvent leurs yeux pâmés d’amère volupté:
A leurs lèvres du sang de leur sein dévasté
Monte un baiser d’amour avec leurs derniers râles.

La Déesse, invincible aux regards des fervents,
S’épand et se transforme en songes décevants
Qui flottent doucement dans la pâleur des cierges.

Et mêlés aux parfums des encensoirs dorés
Plus haut que l’hosannah des pleurs désespérés,
Planent les chants subtils des implacables Vierges.

Marcel Noyer

Q15 – T15

L’enfant blême est au lit ; le père frémissant, — 1890 (29)

Arthur de Beauplan in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

La montre à secondes

L’enfant blême est au lit ; le père frémissant,
L’œil fixé sur sa montre où court l’aiguille agile,
Compte les bâtements du pouls dans cette argile,
Le doigt sur une artère où bouillonne le sang.

Le mal comme le flux monte ; l’homme impuissant
Oppose vainement sa science fragile ;
Il faudrait un miracle ainsi qu’en L’Evangile,
Pour prolonger la vie en cet agonisant.

C’est fini ! … De draps blancs on décore la porte ;
Le corps est sur un char … il est l’heure … on l’emporte …
Les larmes sous les yeux ont creusé leur ravin.

L’aiguille d’or pourtant trotte toujours, altière ;
Et le ressort d’acier, la montre, la matière,
Survit à l’oeuvre où Dieu mit son souffle divin.

Q15  T15

Ah ! plaignez mon destin, sensible et bon lecteur, — 1890 (22)

Cirederf Ybl. in L’Aurore

Enigme-sonnet
dédiée aux lectrices langonnoises

Ah ! plaignez mon destin, sensible et bon lecteur,
Car il est peu d’humains, sur la terre et sur l’onde,
Qui ne se sente pris d’une pitié profonde
Au récit émouvant de mon cruel malheur.

Dans un boudoir parmi des meubles de valeur
Ou bien dans une chambre où la richesse abonde
L’on me couche et voyez la cruauté du monde
Chacun me foule aux pieds et m’écrase le cœur !

Mais là n’est pas le terme, hélas ! de mon martyre,
Poussé par je ne sais quel infernal délire,
Un monstre au bras nerveux, au regard sombre et dur,

Me soulève et s’armant d’un bâton – oh ! l’infâme ! –
Frappe et me bat si fort qu’aussitôt je rends l’âme
Fin nuage poudreux qui se perd dans l’azur …

Q15  T15

Traînant un long manteau d’hermine bien fourré, — 1890 (12)

Léon Valade Poèmes posthumes

Sonnet d’hiver

Traînant un long manteau d’hermine bien fourré,
Janvier, monarque antique à la barbe de neige,
S’avance bruyamment au milieu d’un cortège
De femmes et d’enfants dont il est adoré.

En vain les mécontents te savent mauvais gré
Des étrennes, impôt très vieux que rien n’allège:
La popularité reste ton privilège,
O Roi dont la couronne est de papier doré;

Soit qu’au flanc des gâteaux insérant une fève,
Tu te prêtes, pour rire, à la royauté brève
Dont s’égaye un instant le plus pauvre festin;

Soit que ton échanson, l’empereur Charlemagne
Verse aux bons écoliers, trop bourrés de latin,
Des flots quasi-moussus de simili-champagne.

Q15 – T14