Archives de catégorie : Formule entière

Quand l’étoile d’amour, le plus belle des cieux, — 1833 (9)

Maurice de Guérin

Sonnet
A François du Breil de Marsan

Quand l’étoile d’amour, le plus belle des cieux,
File vers l’occident et se couche dans l’onde
Où nous voyons couler tous les bonheurs du monde,
Laissant à peine après quelque lueur aux yeux ;

L’imagination va faire ses adieux
A cette belle étoile, avant la nuit profonde,
Avant que tout soit noir et que tout se confonde
Dans le cœur devenu comme un puits ténébreux.

Alors elle s’en va, l’habile filandière,
Suspendre ses réseaux et sa gaze légère
A quelque branche frêle où luit un peu de jour,

Et se laissant aller à cette balançoire,
Elle s’y joue en l’air, tant que dans l’âme noire
Surnage encore un brin des lueurs de l’amour.

Q15  T15

C’est une once de sable, en un cristal fragile, — 1833 (8)

Léon Buquet Miscellanées

Le sablier

C’est une once de sable, en un cristal fragile,
Et chaque instant du jour là-dedans est compté ;
Et le plus léger grain de ce sable argenté,
Emporte, dans sa chute, un peu de notre argile.

C’est l’horloge, du temps d’Homère et de Virgile,
Et leurs chants, qui des Dieux d’alors ont hérité,
Dans sa course pourtant ne l’ont pas arrêté
Le vieillard séculaire, au pied toujours agile.

Comme ce sable est fin ! dirait-on pas de l’eau ? …
Oh ! qui croirait à voir ce liquide nouveau,
Que, d’un cylindre à l’autre incessamment ruisselle,

Qu’il mesure la vie à tout être jeté
Dans ce monde fatal, et parcelle à parcelle,
Précipite en tombeau l’âme à l’éternité !

Q15  T14 = banv

Du temps de notre enfance étourdie et légère, — 1833 (4)

Marie Nodier-Mannessier in Soirées littéraires de Paris

A mademoiselle ***

Du temps de notre enfance étourdie et légère,
Souvent, oh! bien souvent, j’aime à m’entretenir,
Et le front dans mes mains, rêveuse, à retenir
Tout ce qui m’est resté de ma douce chimère.

Que j’aime à retrouver, timide et passagère,
Ton image d’enfant dans le doux souvenir
De mon bonheur d’alors que rien n’a pu ternir,
Et que jamais ne voile une pensée amère.

Bien des jours ont passé sur ces premiers beaux jours;
Pour nous rien n’est changé, nous nous aimons toujours,
Et mon coeur dans le tien comme autrefois sait lire,

Et comprendre l’esprit qui se joue en tes yeux,
En tes yeux transparents, sur ton front gracieux,
Et dans ta voix si pure, et dans ton frais sourire.

Q15 – T15

Vainement vous voilez votre front gracieux, — 1833 (3)

A. Fontaney – in Bibliothèque populaire..: Poètes français vivans, I

Sonnet à Miss***

Vainement vous voilez votre front gracieux,
De vos longs cheveux blonds, sous la longue mantille;
De cet ardent climat, non, vous n’êtes pas fille,
Et votre âme est surtout étrangère en ces lieux.

L’oeil noir de l’Espagnole est fier, audacieux,
Plus de flamme peut-être en son regard pétille,
On voit au fond du vôtre une larme qui brille,
Le ciel est tout entier dans l’azur de vos yeux.

Mais l’Espagne n’a pas vos grands bois d’Amérique;
Ici ne laissez pas au souffle de l’Afrique
Le bouton se faner si jeune et si vermeil!

Sur ce sol, où l’amour tarit l’âme embrasée,
Gardez bien dans le coeur, votre pure rosée,
Fleur du nord qui venez vous ouvrir au soleil.

Q15 – T15

Ah! S’il est ici-bas un aspect douloureux, — 1833 (2)

Auguste BarbierIl Pianto

Mazaccio

Ah! S’il est ici-bas un aspect douloureux,
Un tableau déchirant pour un coeur magnanime,
C’est ce peuple divin que le chagrin décime,
C’est le pâle troupeau des talens malheureux.

C’est toi, Mazaccio, jeune homme aux longs cheveux,
De la bonne Florence enfant cher, et sublime;
Peintre des premiers temps, c’est ton air de victime
Et ta bouche entr’ouverte et tes sombres yeux bleus ….

Hélas! la mort te prit les deux mains sur la toile;
Et du beau ciel de l’art, jeune et brillante étoile,
Astre si haut monté, mais si vite abattu,

Le souffle du poison ternit ta belle flamme,
Comme si tôt ou tard, pour délivrer ton âme,
Le venin du génie eût été sa vertu.

Q15 – T15

« Oh ! me changent les Dieux en odorante rose ! » — 1832 (8)

Polydore Bounin Poésies et poèmes

SONNET
Change me, some God, into that breathing Rose !
Wordsworth

« Oh ! me changent les Dieux en odorante rose ! »
Soupire en son caprice un fol adolescent,
Et son œil porte envie au bouton languissant
Qui sur le sein d’Emma suavement repose ;

Ou bien il est jaloux d’un jeune oiseau qui glose
En sa cage auprès d’elle ; ou bien, gazon naissant,
Il aimerait céder à son pied caressant :
Mais celui-là veut trop qui veut pareille chose.

Il en est dont le cœur est calme en ses désirs,
Et qui sauraient borner ici-bas leurs plaisirs
A vivre, simple fleur au vallon négligée,

Herbe éclose à l’abri d’un épineux buisson,
Ou libre roitelet mariant sa chanson
Au doux gazouillement d’une source ombragée.

Q15  T15

Sommeil, fils du Silence et père du Repos, — 1832 (6)

– Jeannet Desjardins Mes souvenirs d’Angleterre

XVI – Sonnet imité de Drummond

Sommeil, fils du Silence et père du Repos,
La Paix, née de ton sein, se répand sur la terre ;
Les bergers et les rois devant toi sont égaux,
C’est toi qui des humains consoles la misère !
L’être qui respirait dans l’oubli de ses maux
Sent sous ta baguette se fermer sa paupière :
Tu refuses sur moi d’épancher ces pavots
Que tu verses sur tous d’une aile tutélaire.
Daigne étendre ta main qui sécha tous les pleurs,
J’implore ta puissance, accablé de douleurs,
Ah, viens, viens de mon cœur dissiper les alarmes !
Dieu puissant, quels qu’ils soient, dispense tes bienfaits !
Plutôt que de vivre sans connaître tes charmes,
Si tu m’offrais la mort je baiserais tes traits !

Q8  T14  sns  tr

adaptation du sonnet ‘ Sleep, silence’ child, sweet father of soft rest’.

Métrique incertaine : des ‘e muets’ à la césure aux vers 6 et 13

Oh ! que j’aime à m’asseoir au sein d’un frais vallon, — 1832 (5)

– Joseph Bard Les mélancoliques

L’aurore

Oh ! que j’aime à m’asseoir au sein d’un frais vallon,
Quand le crêpe des nuits a fait place à l’aurore !
Que j’aime à respirer sur un lit de gazon
Qu’abritent le mélèse et l’épais sycomore.

Là, les nuages d’or diaprent l’horizon,
Comme un voile du Dieu que l’univers adore,
Ici le roc altier blanchi par l’aquilon
De la pourpre du jour lentement se colore.

Je vois sur le grand lac les cygnes éveillés
Tendre leur col d’albâtre à des bords émaillés,
Ou mêler à l’azur le duvet de leurs ailes ;

Plus loin, la basilique aux gothiques cerceaux
Reflétant le soleil dans ses rouges vitraux
Briller comme un fanal des rives éternelles.

Q8  T15

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile, — 1832 (1)

J-B. Claray de Crest-VollandSonnet … à M. C.L. Mollevault

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile,
De la double colline a franchi les hauteurs.
Anacréon, Properce, et Tibulle, et Virgile
Revivent dans tes vers, applaudis des lecteurs.

Tu ne cueillis jamais une palme fragile;
Le mérite t’appelle au trône des auteurs;
Tant que vivra le goût sur ce globe d’argile,
Nos neveux rediront tes accords enchanteurs.

C’est à toi d’emboucher la trompette héroïque,
De chanter un grand roi, philosophe stoïque,
Qui fit régner Minerve où régnait le Dieu Mars.

Dans un hameau charmant, moderne Lucrétile,
Où tu sais marier l’agréable à l’utile,
Tu consacres ta vie au culte des beaux-arts.

Q8 – T15 – y=x : e=a

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ; — 1831 (4)

Charles Lassailly in L’Almanach de Muses

Hommage

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ;
Méprisant le vulgaire aveugle et ses bravos,
Loin de l’ornière antique où la foule se traîne,
D’une gloire précoce étonnes tes rivaux ;

A toi que, tout enfant, une belle marraine
Initiait en songe à des secrets nouveaux ;
A toi, dont le génie est un cheval sans rêne,
Car une voix t’a dit : Je sais ce que tu vaux !

A toi, qui juge seul le conquérant avide
Dont la chute ébranla son siècle encore vide.
A toi qui pouvais prendre un glaive au lieu d’un luth ;

Puis à toi, qui chantas tes chants comme un prophète,
Avec son dieu qui parle, à toi, le grand poète ;
A toi qui seras roi, Victor Hugo, Salut !

Q8  T15