Archives de catégorie : Formule entière

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef — 1961 (3)

Henri Thomas Shakespearesonnets

52

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef
Mène, s’il veut, à son doux trésor bien gardé,
Lequel il n’ira pas visiter à toute heure
Car trop fréquente joie perd son exquise pointe.

Si les festins sont si rares et solennels
C’est que, lents à venir durant la longue année,
Ils y sont clairsemés comme pierres précieuses,
Ou comme sont les grands joyaux dans le collier.

Ainsi le temps est la cassette qui te garde,
Ou l’armoire qui tient caché le vêtement,
Pour enchanter plus tard l’instant privilégié

Où se redéploiera sa splendeur prisonnière.
Sois loué, toi qui tant excelles que c’est gloire,
Ta présence, et ne pas t’avoir est espérance.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Maître-maîtresse de ma passion, n’as-tu pas — 1961 (2)

Henri Thomas Shakespearesonnets

2
20

Maître-maîtresse de ma passion, n’as-tu pas
Visage féminin, par la Nature peint,
Tendre cœur féminin, mais qui point ne connaît
Le fuyant changement cher aux perfides femmes.

Oeil plus clair que les leurs, et son jeu moins trompeur,
Dorant l’objet sur quoi s’arrête son regard.
Homme en son teint, seigneur en soi de tous les teints,
Voleur des regards d’homme et foudre au cœur des femmes.

Et femme tout d’abord tu as été créé,
Mais nature s’est attendrie en te faisant
Et de toi m’a frustré par une addition,

Une chose adjoignant qui n’est rien pour mes fins.
Puisqu’elle t’a choisi pour le plaisir des femmes,
Ton amour soit à moi, leur trésor, d’en user.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Le vieux marin breton de tabac prit sa prise — 1961 (1)

Raymond QueneauCent mille milliards de poèmes


Le vieux marin breton de tabac prit sa prise
depuis que Lord Elgin négligea ses naseaux
sur l’antique bahut il choisit sa cerise
il chantait tout de même oui mais il chantait faux

On vous fait devenir une orde marchandise
les gauchos dans la plaine agitaient leurs drapeaux
nous regrettions un peu ce tas de marchandise
quand les grêlons fin mars mitraillent les bateaux

Devant la boue urbaine on retrousse sa cotte
aventures on eut qui s’y pique s’y frotte
lorsque Socrate mort passait pour un lutin

Cela considérant ô lecteur tu suffoques
tu me stupéfies plus que tous les ventriloques
la gémellité vraie accuse son destin

Q8 – T15

Ors et décors, simili marbre et chrysoprase, — 1960 (2)

Paul Morin Géronte et son miroir

Ciné

Ors et décors, simili marbre et chrysoprase,
Obligeant clair-obscur, contacts accommodants …
Assise près de moi, lourde de chair et d’ans,
La dame blonde bave en haletant d’extase.

Quand Némorin se plaint du désir qui l’embrase
Et qu’Estelle choit sur des gazons imprudents,
Le plaisir fait claquer ses aurifères dents
Et suinte de ses flancs comme l’huile d’un vase.

Elle hume le suc, mieux que fraise en avril,
De ce film inconcevablement puéril,
En hennissant, telle la jument de Xaintrailles ;

Et l’air chaud déplacé par ses lombes puissants
Evoque cette odeur de jasmin et d’entrailles
Des chambres où les morts sont gardés trop longtemps.

Q15 T14  y=x :e =b

A chaque doigt sourd la goutte — 1959 (8)

Paul Valéry Douze poèmes inédits (ed. Octave Nadal)

A chaque doigt

A chaque doigt sourd la goutte
Et tu trempes tes mains pour
Mieux feindre sur qui t’écoute
L’onde d’un premier amour

Né limpide flamme ou bulle
D’azur qu’on croit étranger
A tous les sus et sans nulle
Epaule à boire ou manger

Sans se pencher ton visage
Ou l’autre qu’on dirait tel
Vers ses sœurs du paysage
Que le vacarme immortel

Peur de la chèvre camuse
Inonde de cornemuse.

shmall 7s

Que d’élégantes chairs habillent ton squelette! — 1959 (6)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

L’astronome du navire ‘Sylvaine’

Que d’élégantes chairs habillent ton squelette!
O dentelle absolue, toute solidité;
L’Armature – et ton sein se gonfle de beauté
Navire d’existence à l’utile toilette.

Heureux qui dans tes bras suit voiles et voilettes
Qu’il brise enfin la coupe au vin d’anxiété
A dénouer ton corps de l’ivoire habité
Tes courbes et son bras que marie la tempête.

Plus heureux l’astronome accepté par tes yeux
Les souffles de choisir pour ta poitrine avide
Et converser avec tes yeux silencieux,

Changeants, folle toilette au plus humain des vides.
Elu, pour choisir vents et courants, sans mentir
J’irais droit à l’apothéose où t’engloutir.

Q15 – T23

Maint passé par tant de couloirs — 1959 (5)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Cheminée

Maint passé par tant de couloirs
Riches d’affres en lourds trophées
Part fumant à chaque bouffée
Dont s’allume un l’autre nos soirs.

Feu, des orgueils chambre! où surseoir
– Chambre un rien l’isole étouffée –
Aux serres jusqu’au bout chauffées
Du rien cher qui console un loir.

Torche ô fulgurant nécessaire…
Moi le tien en branle. Abandon:
Il a chu le sépulcre dort,
Nos nuits blanches nous agrippèrent.

Chambre où fumée en désaveu
De nos feux en immortel vœu.

Q15 – T30 – octo – disp: 4+4+4+2

Sans plongées, dominé d’un effrayant berceau, — 1959 (4)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

La toilette

Sans plongées, dominé d’un effrayant berceau,
L’attelage marin déboise les courants
Chiffrés d’une presque île où débarquent vos larmes.
La comète a distrait son escorte noircie:

Voiliers aux beaux soupirs fils des nœuds dénoués,
Roseaux d’arcs insolents s’ils se lavent les mains
Dans le sel que mendie l’orphelin des piscines
Et les plantations qui sommeillent avec.

S’afficher en dompteur aux élégants décombres!
Les meutes, les juments boivent leur couleur, nous
Ventre à terre, la nôtre avec le vin des criques.

Avare on se signait là sans attendre comme
Tout le camp de la nuit sur le débarcadère
Qu’elle chavire après cette immense toilette.

bl

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd, — 1958 (19)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean TARDIEU

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu’on le nomme pierre,
Ramassé l’an dernier près d’une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu’était ce jour.

Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s’il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre et boude l’alentour,

Qui n’aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu’on l’accepte ou qu’on l’aime,
Qui n’aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.

Nous toujours à l’affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.

Q15 – T14 – banv

Nous avons en commun de la terre et du temps, — 1958 (18)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean FOLLAIN

Nous avons en commun de la terre et du temps,
Des sentiers et des prés debout près des villages,
Des caves, des greniers creusés dans d’autres âges,
Des insectes rêvant l’attaque en attendant.

Nous avons en commun la teneur du dedans
Des chambres, des coins d’ombre et des objets d’usage,
Une espèce de puits où sont les paysages
Et le besoin de retenir tous les partants.

Presqu’un même soleil, pas la même lumière,
Je te vois là, pleurant sur la mort coutumière,
Plus d’étrange dans ton pays que dans le mien.

Follain, mon vieil ami, même un peu mon complice,
En ce jour accompli, je te donne mon bien,
Le vol d’une alouette et son chant de délices.

Q15 – T14 – banv