Archives de catégorie : Formule entière

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu, — 1928 (8)

François-Paul Alibert in Chantiers

Inscription

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu,
Ou cette palme, objet de toute inquiétude,
Ne substitue encore une autre solitude
Au raisin fugitif dans ta soif contenu

Ensemble ou tour à tour toi-même devenu
Les monstres engendrés de ta sollicitude,
Soit l’austère devoir, soit l’amoureuse étude,
Sur le sable te laisse inextinguible et nu.

Mais de quelque douceur, pour combler son ouvrage,
Que le mortel espoir de ce dernier mirage
T’inspire en vain la source et de désir amer,

Du moins qu’à l’horizon scintille l’onde vierge
Où, des sombres troupeaux engloutis sous la mer,
Une seule sirène adolescente émerge.

Q15 – T14 – banv

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre — 1928 (7)

Pierre AlbertyLe jardin d’Eros

Dollars

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre
Filtre sournoisement par les vitraux du bar
Et, peu à peu, voici que paraît plus blafard
L’éclairage diffus des plafonniers d’albâtre.

Dans la moiteur de l’air flotte une odeur douceâtre:
Alcools, poudres de riz, oeillets fanés, pommard!
Effluve féminine et relents de homard;
Le jazz, pour terminer, joue un fox-trot folâtre.

Nue, à même la nappe et les serviettes sales,
Une fille est couchée au milieu de la salle, `
Tandis qu’au gloussement joyeux de ses compagnes

Un américain glabre aux lunettes d’écaille,
Flegmatique, introduit dans l’impudique faille
Des dollars ruisselants péchés dans du champagne!

Q15 – T15

Sur le trottoir fleurant la cuisse et le cigare — 1928 (4)

Gustave Le Rouge Verlainiens et décadents

Le Diseur de caveaux

Sur le trottoir fleurant la cuisse et le cigare
De ce café noté du flic en cent bagarres,
Le Diseur grave, tel un juge en sa cimarre

Baîlle et s’explame en des faux cols très inédits.
Il savoure, couvé par les yeux ébaubis
Des garçons de café propices aux crédits,

Le respect des beautés autour de lui rangées.
Or l’absinthe, dont sa fringale s’est gorgée,
S’est habilement jusqu’à très tard prolongée.
Mais une inquiétude abrège les gorgées.

Car l’heure approche où va s’empiler aux caveaux,
Le peuple familier des michés et des veaux.
Ivre du bock promis et sûr des longs bravos,
Il s’encourt déclamer son ode au vieux chameau.

s.rev: ddd ccc bbbb aaaa –  » un peu à la manière de Laurent Tailhade « .

Logos, éons et séfirots; — 1927 (4)

Charles-Adolphe Cantacuzène Identités versicolores

Sonnet
à J.B

Logos, éons et séfirots;
Alexandrins, Gnose et Cabale;
Triangles et pouvoirs des mots;
Souffle d’évocation pâle.

L’Ether d’éternité, les flots,
Le feu, la terre sidérale;
Et vous, reflets dans les cristaux,
Lumière, immortalité mâle.

Tout cela nous n’en parlions pas
Du temps que nous croisions nos pas,
Chez toi, cher, ou dans les ruelles.

Et cependant le Pimander,
La Baghavat-Gita, Dieu! Quelles
Perles sur le Boulevard Vert.

Q8 – T14 – octo

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie — 1927 (3)

Shakespeare Sonnets trad. Emile Le Brun

LII

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie
Qui l’amène à son cher trésor bien mis sous clef,
Mais n’allant pas le voir à toute heure, de crainte
D’émousser son plaisir, aigu tant qu’il est rare.

Si nos fêtes sont chose unique et solennelle,
C’est d’apparaître au cours de longs mois, peu fréquentes,
Diamants d’un grand prix, sertis de loin en loin,
Joyaux en chef parmi les perles du collier.

Qu’est donc pour moi le temps qui vous détient? L’armoire
Recelant le manteau de gala qui doit faire
Qu’un non-pareil moment soit fêtes non-pareilles

Lorsqu’il redéploiera sa splendeur prisonnière.
Béni soit de haut prix qu’est le vôtre: on vous a,
Quel triomphe! Et lorsque vous manquez, quel espoir!

bl – disp: 4+4+4+2 – Alexandrins blancs (non rimés) et disposition hybride sur la page: strophes séparées (à la française) mais décrochement vers la droite du couplet final (comme dans l’édition originale, le ‘quarto’)

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table, — 1927 (1)

J.P. Samson Emploi du temps

Bacchante
sonnet dans le goût de Laurent Tailhade

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table,
Elle a, sous le chaud d’une plume à trois francs,
L’œil en éclipse et le sourire contestable
D’une qu’un trop long jeûne expose au mal d’enfants.

Plus votive que, peint sur quelque vieux rétable,
Un évêque, le jus du ciboire extirpant,
Elle sirote, aux frais de son mec lamentable,
Du cidre sans alcool le jus déconstipant.

Le restaurant végétarien résonne aux cris
De sa gorge que racle un ressaut de prurit
Guère orgiaque, hélas! … c’est la bombe pas chère;

Et lorsqu’on bouclera le sinistre local,
Ils éliront, debout aux échos d’un choral
Salutiste, pour ça, une porte cochère.

Q8 – T15

Ta rose distraite et trahie — 1926 (5)

Francis Ponge Dix courts sur la méthode


Le jeune arbre

Ta rose distraite et trahie
Par un entourage d’insectes
Montre depuis sa robe ouverte
Un cœur par trop en piété.

Pour cette pomme l’on te rente
Et que t’importe quelqu’enfant
Fais de toi-même agitateur
Déchoir le fruit comme la fleur.

Quoiqu’encore malentendu
Et peut-être un peu bref contre eux
Parle! dressé face à tes pères

Poète vêtu comme un arbre,
Parle, parle contre le vent
Auteur d’un fort raisonnement.

bl – octo

A la poste d’hier tu télégraphieras — 1926 (4)

Robert DesnosC’est les bottes de 7 lieues cette phrase ‘Je me vois’


Les gorges froides
A Simone

A la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.

La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles!

C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.

Adieu! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.

Q8 – T15

Le cœur sur l’arbre vous n’aviez qu’à le cueillir, — 1926 (2)

Paul Eluard Capitale de la douleur

Poèmes

Le cœur sur l’arbre vous n’aviez qu’à le cueillir,
Sourire et rire, rire et douceur d’outre-sens.
Vaincu, vainqueur et lumineux, pur comme un ange,
Haut vers le ciel, avec les arbres.

Au loin, geint une belle qui voudrait lutter
Et qui ne peut, couchée au pied de la colline.
Et que le ciel soit misérable ou transparent
On ne peut la voir sans l’aimer.

Les jours comme des doigts repliant leurs phalanges.
Les fleurs sont desséchées, les graines sont perdues,
La canicule attend les grandes gelées blanches.

A l’œil du pauvre mort. Peindre des porcelaines.
Une musique, bras blancs tout nus.
Les vents et les oiseaux s’unissent – le ciel change.

r.exc.  – 2m

Hortense a soulevé sa jupe à crinoline — 1925 (1)

Alexandre de Virineau (= Fernand Fleuret)Douze sonnets lascifs … –

Léda incomprise

Hortense a soulevé sa jupe à crinoline
Et fait glisser en bas son pantalon léger,
Car elle voit au loin vers elle converger
Tous les grands cygnes blancs dont le bec dodeline.

Sur le bord du bassin, provocante et câline,
Elle s’offre au grand mâle, et pour l’encourager ,
Lui sourit, puis tressaille en voyant s’allonger
Le beau col souple et blanc, vivante javeline.

Sous l’étrange désir dont l’ardeur l’obséda,
Elle s’ouvre en pensée à l’amant de Léda
Et croit enfin sentir le dard dans sa nature;

Mais le grand cygne blanc lève un œil étonné
Vers la fente impubère à l’étroite ouverture
Et s’éloigne déjà sans avoir deviné.

Q15 – T14 – banv