Archives de catégorie : Formule entière

Madame, de ce jour vous souvient-il encore — 1921 (18)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet serpentin

Madame, de ce jour vous souvient-il encore
Qui s’écoula pour moi si rapide et si doux,
Où, de l’aurore au soir et du soir à l’aurore,
Je ne fis que vous voir ou que penser à vous ?

Un bon feu pétillant dans le foyer sonore,
Dehors un temps de chiens orné d’un froid de loups,
Et moi les yeux fixés sur deux yeux que j’adore,
Sans fâcheux importuns et sans témoins jaloux ;

Et puis le soir, plein de mystère et de silence,
De vos lèvres faisant tomber la confidence,
Et tout bas dans mon cœur balbutier l’amour ;

Puis la nuit m’endormant sous le toit où vous êtes,
Pleine pour moi de trouble et d’angoisses secrètes…
Vous souvient-il encor, Madame, de ce jour ?

Q8 – T15  ‘sonnet serpentin’ : le dernier vers reprend plus ou moins le premier

Le chemin est facile et doux, la marche lente, — 1921 (17)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet renversé

Le chemin est facile et doux, la marche lente,
L’œil va des champs pleins d’ombre au soleil éclatant,
Et rien ne presse encor l’allure nonchalante
Du voyageur timide au regard innocent.

Puis, c’est une colline âpre mais verte encore ;
L’horizon plus voisin s’échauffe et se colore,
On marche plus ardent vers un but souhaité ;

Plus loin, c’est la montagne abrupte ; les broussailles
A nos pieds fatigués font de rudes entailles ;
Le souffle est court, le col tendu, le pas heurté.

Le mont s’abaisse enfin : le long de l’autre pente,
Pesamment, le front lourd et courbé, l’on descend,
Et, las de soutenir sa course chancelante,
Le voyageur dans l’ombre éternelle s’étend.

QTTQ

Le rire tenait sa bouteille — 1921 (10)

La vie des lettres et des arts

Paul Eluard

Bouche usée

Le rire tenait sa bouteille
A la bouche riait la mort
Dans tous les lits où l’on dort
Le ciel sous tous les corps sommeille

Un clair ruban vert à l’oreille
Trois boules une bague en or
Elle porte sans effort
Une ombre aux lumières pareille

Petite étoile des vapeurs
Au soir des mers sans voyageurs
Des mers que le ciel cruel fouette

Délices portées à la main
Plus douce poussière à la fin
Les branches perdues sous la rouille

Q15  T15  octo (irr.)

Le ballon bleu de la pendule — 1921 (9)

La vie des lettres et des arts

André Breton

Titre

Le ballon bleu de la pendule
Et les petits nids des manchons
C’est là-dessus que nous couchons
Notre matin est incrédule.

A l’écureuil fou qui recule
La hampe offre ses cabochons
De faux rubis et nous trichons
Pour passer l’eau quand elle ondule

Les comédiens du bosquet
Sauvent le puits où l’on vaquait
A ses conquêtes en musique

Un évêque éteint nommé Jean
Ramène sa chape de brique
Sur le grand espace changeant

Q15  T14  –  banv – octo

Banvilien de sructure (ce que ne sont pas ceux des deux acolytes) le sonnet de Breton n’est pas régulier en ses mots-rimes : « jean / changeant » !

Trois murs échelonnés —1921 (8)

Franz Hellens Amis carrés, étroits

Trois murs

Trois murs échelonnés
(Je me voudrais plus de souplesse)
Je les ai vus tout un hiver
Porter la nuit en équilibre.

Ils ont cette fierté des lignes
Qui ne peuvent changer
Mais j’aimerais moins de rigueur
Dans cet amour qui me protège.

Aussi j’ai peur, en ce printemps
Dont se fleurit le plus haut mur
Que cette crête d’anémones

N’emporte en se fanant
Le seul espoir que j’aie encore
De vivre au delà de mes bornes.

bl – 2m : octo; 6s: v.1, v.6, v.12 

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon — 1921 (4)

Alfred Jarry in Le Disque vert

Le Bain du Roi

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fleurie, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.

Les pairs étaient douzain: il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle;
Pour chacun de ses pas son orgueil patagon
Lui taille au creux du sable une creuse pantoufle.

Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire

Où sont portraiturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, le tour Eiffel.

Q8 – T14

Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume — 1921 (2)

Roger VitracLe faune noir – in Des-lyre (ed.1964)


**
**

Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume
Bouche au collier de larmes Forgeron
Que l’ombre de ton bras lève la femme plume
Et que ton bras lui plante une harpe en plein front

Et qu’elle chante avec l’écharpe de bitume
Hyperbole des cils, gril où nous rôtirons
Sous l’arbre ensanglanté dont elle se parfume
Et nos poumons légers sont là pour le clairon

Ah nature insensible à l’étincelle mâle
Fille du vin Elle est jolie au bord de l’eau
A ses dents tu peux voir si son squelette est pâle

Mais si tu veux passer par les coups de marteau
D’un poing fêlé comme le cœur de l’étrangère
Frappe Le Forgeron est bien en chair ma chère

Q8 – T23

Clair de lune à la mer: les rayons jettent — 1921 (1)

Jehan d’Arvieu Le monde sous l’étoile

Alleluia

Clair de lune à la mer: les rayons jettent
Des rubans argentés sur l’onde noire,
Des reflets satinés aux jeux de moire,
Des brillants, des émaux et des paillettes.

Caressés de clartés les flots répètent
Aux splendeurs de la nuit un chant de gloire
Murmurant dans un rêve d’oratoire
Sous le vol messager de leurs mouettes.

Clair de lune à l’Eden; la paix dernière.
A l’astre virginal, comme ondes calmes,
Chanteront dans un bruit furtif de palmes,

Les élus tout nimbés de sa lumière,
Cependant que chargés de leurs louanges
Monteront de la mer les vols des anges.

Q15 – T30 – déca – rimes féminines

Le grésil frileux hérisse les mousses — 1920 (16)

Joséphin Soulary sonnets

Intus et in cute*

Le grésil frileux hérisse les mousses
Où je vous cueillais, rêve et muguet blanc.
L’âpre vent du nord, des mêmes secousses,
Bat l’âme oppressée et l’arbre tremblant !

Es-tu l’agonie, angoisse indicible ?
Es-tu le tombeau, nature insensible ?
Es-tu ‘l’oubli morne, horizon de fer ?

– Ne crois pas au sol enchaîné de glace,
Ne crois pas au cœur mort à la surface :
L’éternel printemps couve sous l’hiver.

Dans le fond du sol ses haleines douces
Font germer le chêne au giron du gland :
Dans le fond du cœur son souffle indolent
D’un nouvel amour fait poindre les pousses.

Q9  T15  tara  QTTQ

* « intérieurement et sous la peau. » (citation de Perse, satire III, v.30)

Une poupée autour du doigt — 1920 (13)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Froid de loup

Une poupée autour du doigt
Trop inhabile à l’escarmouche
Votre aiguille fit la farouche
Pardon si je fus maladroit

A la rencontre d’autres mois
Un décembre fermant la bouche
Candide (c’est ce qui me touche)
Nous de nouveau sommes en froid

La charpie imite la neige
En clignant des yeux pourquoi n’ai-je
Vu qui de nous avait raison

Répétons encore si j’ose
Que l’on meurt en toute saison
Voyez s’évanouir les roses

Q15 – T14 – banv –  octo

Billet de faveur, I …. Hortense s’évanouit, apercevant  au bout de son petit doigt une goutte de sang rose comme la rosée. Elle revient à elle, et à moi, moyennant un sonnet