Archives de catégorie : Formule entière

L’un d’entre eux est versé dans la philosophie. — 1918 (3)

Adolphe Aderer Les heures de la guerre

I

L’un d’entre eux est versé dans la philosophie.
Admettons. Il pourrait (ne serait-ce qu’un peu),
La tâche suffisant à remplir une vie,
Nous parler des penseurs vénérés en tout lieu :

Aristote, Zénon, Platon qui nous confie
Le verbe de Socrate, aussi pur qu’un ciel bleu,
Sénèque, Cicéron, Lucrèce au fier génie
Descartes, « ce mortel dont on eût fait un Dieu ».

Spinoza de Hollande et Bacon d’Angleterre,
Stuart Mill, Hume, Locke admiré par Voltaire,
Tous ces libres esprits qui s’évadent du cant,

Encore des Français, Condillac, Malebranche.
Tant d’autres, devant qui l’humanité se penche.
Il les méprise tous, il ne sait qu’un nom : Kant.

Q8  T15

Les n°s 2 et 3 de cette petite série s’occupent, dans le même esprit, de Goethe (pour la poésie) et de Wagner

Vous qui logez à quelques pas — 1918 (2)

Paul Valéry Lettre à André Gide

 » … quant à la Voisine, je lui ai envoyé ce sonnet au lieu de fleurs ou chocolat. Je crois qu’il était ainsi  »

Sonnet à madame Lucien Muhlfeld

Vous qui logez à quelques pas
De ma littéraire cuisine,
Noble dame, bonne voisine,
Voici mes fruits qui ne sont pas

Dans la laque ni le lampas,
Ni de Boissier fruits de l’usine,
Mais ce sont fruits de Mnémosyne
Qui sait confire ses appas.

Croquez, mordez les rimes qu’offre
Le sonnet au bizarre coffre,
Non ouvré par les fils du ciel;

Et choisissez dans une gangue
De mots collés selon leur miel
La noix fondante sur la langue!

« Je t’assure qu’il n’est pas si mauvais que ça. Il faut que la fin fasse mal aux dents. Avec un peu de travail on y serait arrivé. »

Q15 – T14 – banv –  octo

Toi qui tends à l’Amour les trésors de ta robe — 1917 (3)

Jean Royère Par la lumière peints


Soeur de la rose, ô mer

Toi qui tends à l’Amour les trésors de ta robe
D’un geste qui dédie aux astres les tombeaux,
Fane sur eux encor les pétales de l’aube,
Afin que les couchants de la rose soient beaux.

Soeur de la rose, ô mer, et tes rythmiques flots
Qui pâment sous l’aurore en la chair descendue,
Tu feindras la fureur humaine des sanglots
Pour figurer l’amour à qui la mort est due.

Mais ton écume, azur moutonnant à sa suite,
Fera s’émerveiller la ligne du baiser
Si la vague du soir se précise et m’invite,
Presque une soeur vivante, à te paraphraser,

Toi qui nous fait un ciel des clartés de l’espace,
Amour, ô mort blottie en une chair qui passe.

shmall

La guerre a fait le plus grand tort — 1915 (12)

Henri Béraud Glabres


VIII  Le pessimiste

La guerre a fait le plus grand tort
Au commerce du parapluie,
La clientèle s’est enfuie,
Comme hirondelle au vent de mort.

Monsieur Bibelot se plaint fort,
Etant de cette confrérie
Chez qui l’amour de la Patrie
S’aune aux fentes du coffre-fort.

Il aspire à la paix. N’importe
Quelle paix ! Le morne cloporte
Soudain se mue en Ezéchiel,

Et dresse, au seuil de sa boutique,
L’ombre aboyeuse vers le ciel
D’une frousse apocalyptique.

Q15  T14  – banv – octo

Bien loin, lecteur, de ces bucoliques barbus — 1915 (10)

Henri Béraud Glabres

Dédicace

Bien loin, lecteur, de ces bucoliques barbus
Qui paissent leur bercail aux champs de Montparnasse,
Loin de ces brasseries, emmi les bons poilus,
Les anciens et les bleus (tous d’ailleurs de la classe))

La guerre donna l’être à ces vers ingénus,
Jusqu’aux lieux du carnage Apollon se prélasse.
L’Hélicon se transporte à Mesnil-les Hurlus,
Un boyau mène Eros aux crêtes du Parnasse.

Que ce luth de bivouac par ses accents rassure
Le cœur de l’apeuré Thersite. Et toi, Censeur,
Muse du caviar, tu chercheras en vain,

Dans ce recueil : rébus, parabole ou satire*.
Ce n’est que badinage, et pour montrer enfin
Aux ciblots épatés qu’on garde le sourire.

* Hélas ! la censure a cherché, et ce ne fut pas en vain. Voir page 17.

Q8  T14

‘ciblot’ est absent du TLF ; sans doute= civil.

Belladones et Cimarose — 1915 (9)

Paul Dermée in Sic

Jeu

Belladones et Cimarose
Miroirs lumineux des Songhas
Ma seule amie au cœur de rose
Touffes d’ivresse ô Seringa.

Cinnamones et primerose
Subtil horizon des lampas
La chair que ma tendresse arrose
Semble un lotus clos sous mes pas.

Cétoine à l’eau vive d’aurore
L’azur est là que le ciel dore
La cinéraire est mis au bois.

Vois la surprise aux yeux qu’on aime
Les soudains appels d’un hautbois
Soupirs ailés du dieu suprême.

Q8  T14  octo

France, France, la douce, entre les héroïnes — 1915 (8)

D’Annuzio in Guy Tosi : La vie et le rôle de D’Annunzio en France au début de la Grande Guerre (1961)

France, France, la douce, entre les héroïnes
Bénies, amour du monde, ardente dans la croix,
Comme aux murs d’Antioche, alors que Godefroi
Sentait sous son camail la couronne d’épines,

Debout avec ton Dieu comme au pont de Bouvines,
Dans ta gloire à genoux comme au champ de Rocroi,
Neuve immortellement comme l’herbe qui croît
Au bord de tes tombeaux, au creux de tes ruines,

Fraîche comme le jet de ton blanc peuplier,
Que demain tu sauras en guirlandes plier
Pour les chants non chantés de ta jeune pléiade,

Ressuscité en Christ, qui fais de ton linceul
Gonfanon de lumière et cotte de croisade,
« France, France, sans toi le monde serait seul »*

* Hugo – La légende des Siècles – les fléaux

Q15  T14 – banv –