Archives de catégorie : Formule entière

Sur le lac où glissait le cygne au blanc plumage — 1906 (5)

Pierre Plessis in La Sylphide

Nuit

Sur le lac où glissait le cygne au blanc plumage
Le jour lent à mourir jetait ses dernier feux,
Et l’eau claire mirait la lumière des cieux
Entre le nénuphar et le trainant herbage.

Le soir était venu répandant ses senteurs,
Tout auréolé d’or, de calme, de splendeur,
Il avait peu à peu partout tendu ses voiles.

Un dernier chant d’oiseau vibrait sous les grands arbres.
Les arbres se teintaient de rougeurs de coraux,
Une brume montait légère sur les eaux,
Effleurant, en passant , la sculpture des marbres !

Dans le feuillage noir rôdait l’oiseau de nuit ;
Et le cygne d’argent et l’insecte qui luit
Se miraient dans le lac sous des clartés d’étoiles

Q1 (abba) + T1 (ccd) + Q2 (a’b’b’a’) + T2 (eed)

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères — 1906 (4)

Fagus Jeunes fleurs

Invention du sonnet

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères
Essaimaient par la terre et se mêlaient à nous,
A ces jeunes humains robustes, beaux et doux,
Ils léguèrent la lyre aux quatre cordes paires :

Quand Terpandre eut trouvé les trois voix septénaires
Les maîtres de leur cœur se sentirent jaloux.
Nous, filleuls délaissés soudain réveillés loups
Oublièrent la lyre ; or les dieux émigrèrent

Et revinrent ; des fibres d’un grand cœur saignant
Tendirent chacun une lyre et les joignant
–       Pétrarque d’Arrezzole et Dante de Florence –

Pour qu’à nouveau l’on pût chanter par l’univers,
Les fastes, la beauté, les deuils et l’espérance
Les fils des dieux en ourdirent deux foix sept vers.

Q15  T14  – banv –  s sur s

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté — 1905 (17)

Fernand Henry Les Sonnets Portugais d’Elizabeth Barrett Browning

I

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté
La douceur du retour de ces chères années
Dont chacune vient tendre en ses mains fortunées,
A tous, jeunes & vieux, le présent souhaité, –

Tandis que par ses vers j’avais l’esprit hanté,
Je revis, à travers mes larmes, ces journées,
Dans le bonheur et dans la tristesse égrenées,
Qui sur mon front avaient tout à tour projeté

L’ombre de leur passage et j’étais toute entière
A pleurer quand soudain, par derrière, aux cheveux
Un fantôme me prit ; et, comme de mon mieux

Je luttais, une voix se fit entendre, altière :
«  Devine qui te tient ? » « C’est la Mort » dis-je. Alors
Tinta ce mot d’argent : « C’est l’Amour, non la Mort ! »

Q15 – T30 – tr

Les spécieuses, les prenantes rêveries — 1905 (12)

John-Antoine Nau in Les écrits pour l’art

Roses jaunes

Les spécieuses, les prenantes rêveries
S’envolent de ton front où le caprice dort
De ton front pâle et chaud comme un lys au cœur d’or
Et s’enroulent dans nos têtes endolories,

Vapeurs de Hells ou de Walhallas trop fleuries,
Nuages de vertige embaumés de l’odor
Di fémina, vitale aube ou suave mort …
………………………………………………………………………
Tel au parc affolés de trompeuses féeries …

Dans le soir, d’un sachet, orchestre de parfums,
Bosquet lyre, s’éveille en pervers accords bruns,
Et s’émane le chant trouble des roses jaunes,

Hymne subtil et dur en ses fausses langueurs, –
Amoureuses, non – implacables aumônes
Qui glissent un affreux émoi des sens aux cœurs.

Q15 – T14 – 15v – Un vers faits de points allonge le poème. Le vers 3 est ‘racinien’ (douze mots sur le modèle de ‘le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur’).

Dans le bois trépidant d’étésienne force, — 1905 (10)

Willy Anches et embouchures

La flûte de Pan

Dans le bois trépidant d’étésienne force,
Le chêne millénaire étend ses verts arceaux,
Et sous l’ombrage illustre où paissent les pourceaux,
Pan s’arrête et s’appuie à la rugueuse écorce.

Cornu, la barbe d’or, drue et longue, le torse
Epais et ceint des fleurs écloses sur les eaux,
La bouche humide, il fait chanter les sept roseaux
En battant la mesure avec sa jambe torse.

De nymphes, brusquement, le site s’éblouit:
L’une est si blanche et si blonde qu’elle éblouit;
Une autre est brune, et c’est entre elles une lutte

Emouvante à ce point que, de les voir, le dieu
Se trouble et ne sait plus si ses lèvres en feu
S’éperdent en baisers ou soufflent dans la flûte.

Q15 -T15 (TLF) étésien : Vents étésiens. Vents qui soufflent du Nord pendant l’été sur la Méditerranée

 » De Léon Dierx à Jean Moréas, de Heredia à Fernand Mazade, tous nos poètes, madame Rosemonde Gérard et la Comtesse de Noailles y comprises, ont célébré la flûte de Pan. En revanche, elle est tenue en suspicion dans le monde des bookmakers, à cause de l’irrégularité de ses tuyaux. « 

Nuit splendide, nuit de printemps et de gala, — 1905 (9)

Willy Anches et embouchures

Le tambour de basque
(Les basques l’ignorent totalement. De là son nom)

Nuit splendide, nuit de printemps et de gala,
Sous les masques, des yeux brillants, qui sont illustres.
On chuchote qu’en clowns, pierrots, pêcheurs palustres,
Les Seigneurs de la Cour, le Roi même sont là.

Dans la dextre, un tambour aux grelots d’or, Lola
Danse, danse, frôlant les rideaux, les balustres;
Curieuse, elle scrute, à la clarté des lustres,
Ces fronts cachés et que, sans doute, elle troubla.

Elle halte, sourit, et troublement coquette,
Exquisément fantasque en un geste de quête,
Aguicheuse, elle tend la main vers le vieux roi.

Un instant, il tressaille et rougit sous le masque,
Mais, vite revenu de ce subtil émoi,
Il jette son anneau dans le tambour de basque.

Q15 – T14  –  banv – « …de nos jours, le tambour de basque s’est mis dans la peinture: les aquarellistes utilisent sa rondeur pour y reproduire celles de leurs jeunes maîtresses. « 

La grosse caisse est une aduste virago, — 1905 (8)

Willy Anches et embouchures

La grosse caisse

La grosse caisse est une aduste virago,
Du mangeur de ferraille épouse légitime;
Mais elle a pour amant le trombone Septime,
Noir d’avoir vu le jour aux rives du Congo.

Tous deux frappant, soufflant à tire-larigot,
Attroupent par leur bruit le public simplissime,
Et, quoique pour entrer on paie un seul décime,
La recette, à minuit, forme un joli magot.

Alors, quinquets éteints et close la baraque,
Le mari, qu’un excès de vieux clous estomaque,
Prend une dame-jeanne, et s’imbibe d’alcool.

Il s’écroule, pressant en ses bras la bonbonne;
Et, gorgée elle aussi (mais d’amour) jusqu’au col,
La grosse caisse meurt dans un coup du trombone.

Q15 – T14 – banv

Longtemps, l’aveugle (il y voit aussi bien que vous) — 1905 (7)

Willy Anches et embouchures

La clarinette

Longtemps, l’aveugle (il y voit aussi bien que vous)
Clarinetta Mignon au coin de la ruelle.
Son chien et lui, dans la posture rituelle,
Cueillaient l’heure charmante et trouvaient le jour doux.

Ironiques tous deux, la prunelle en dessous,
Pleins d’une confiance exquise et mutuelle,
Ils admiraient pleuvoir, au creux de l’écuelle,
La salive de la clarinette et les sous.

Maintenant, le caniche est mort et, sombre guigne!
Nul passant pitoyable, aucune main bénigne
Ne jette plus l’aumône à l’aveugle aux bons yeux.

Et celui-ci, jauni de disette et de bile,
Contemple, d’un regard aigu mais furieux,
Son seul mucus buccal tomber dans la sébile.

Q15 – T14 – banv

Depuis que le duc son mari — 1905 (6)

Willy Anches et embouchures

La mandoline

Depuis que le duc son mari
Est au loin parti pour la guerre,
Dona Linda ne quitte guère
Le balcon de jasmins fleuri.

Ce soir, en le parc assombri
Mais que parfois la lune éclaire,
Un mandoliniste accélère
Son libidineux pot-pourri.

Dans la pénombre intermittente,
Linda, lascive et palpitante,
Du joueur contemple les mains.

Et, soudain folle, elle s’incline,
Délirant parmi les jasmins :
« Je veux être une mandoline ».

Q15 – T14 – banv – octo

Bruit de l’homme, pas, cris, rires, appels, devant, — 1905 (5)

Paul Claudel Vers d’exil

V

Bruit de l’homme, pas, cris, rires, appels, devant,
Derrière, chants, amours, rixes, marchés, paroles!
Je te veux étouffer, ô peuple en moi mouvant!
Tais-toi, sonore esprit! Eteignez-vous, voix folles!

Bruit de la mer! Bruit de la terre! bruit du vent!
Murmure au bois profond, l’oiseau chante. Frivoles
Jours! Dors, passé! Que me veux-tu encore, enfant?
Fleur de ce monde-ci, referme  tes corolles?

Et toi aussi, tais-toi, cœur! Taisez-vous, soupir!
Le vieux murmure en moi dure et ne peut finir.
Tout s’est tu. Viens, ma nuit! Viens-t-en, ombre de l’ombre!

Viens, silence sacré et nuptial! Soleil
De mon âme, viens, paix! Viens amitié! Viens, nombre!
Viens avec moi, viens, mon Dieu, viens, ardent Sommeil!

Q8 – T14